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Article
Diffamation sur internet : responsabilité en cas d’insertion d’un lien hypertexte
Diffamation sur internet : responsabilité en cas d’insertion d’un lien hypertexte
Si l’insertion d’un lien hypertexte constitue bien un nouvel acte de publication, une cour d’appel n’a pas justifié sa décision en déclarant l’auteur du lien coupable de diffamation sans examiner les éléments extrinsèques au contenu incriminé que constituaient les modalités et le contexte dans lesquels avait été inséré le lien hypertexte y renvoyant.
par Sabrina Lavricle 5 octobre 2020
Le 20 février 2017, le groupe Alternative libertaire mit en ligne sur son site internet un communiqué annonçant la suspension provisoire d’un de ses membres appartenant au groupe local de Moselle en raison d’une accusation de viol. Le 5 mars, le syndicat dont l’intéressé était adhérent publia un texte se référant à ce communiqué, critiquant les procédures internes au groupe Alternative libertaire et rappelant que celui-ci avait précédemment agi différemment avec deux autres de ses membres qui, bien qu’accusés également de viols, n’avaient pas été exclus. Le 9 mars suivant, ces deux textes furent reproduits intégralement sur un site internet tiers, introduits par le titre « Accusé de viol, X. provoque une crise chez les antifas (MàJ) ». Le même jour, une élue locale mit en ligne, sur son compte Facebook, un lien hypertexte renvoyant à cette publication, précédé du texte suivant : « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol … en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir …deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n’était pas aussi grave ». Le 27 mai, X. porta plainte et se constitua partie civile pour diffamation publique à raison du seul texte émanant du groupe Alternative libertaire, mais en ce qu’il avait été reproduit ultérieurement sur divers sites, dont celui de l’élue. Celle-ci fut renvoyée devant le tribunal correctionnel et reconnue coupable. La cour d’appel confirma ce jugement, estimant que la circonstance que la diffamation ait eu pour support un lien hypertexte était indifférente, l’insertion d’un lien hypertexte valant reproduction et nouvelle publication.
Dans son pourvoi, l’élue soutenait que ces propos fustigeaient la querelle entre deux groupuscules « antifa » et n’imputaient à X. aucun fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération. Selon elle, faute d’avoir approuvé ou repris à son compte le contenu vers lequel renvoyait le lien hypertexte, elle ne pouvait engager sa responsabilité pénale.
Avant de répondre au moyen, la chambre criminelle examine la question de la prescription de l’action publique soulevée au rapport. Retraçant la jurisprudence relative à la reprise d’une information diffamatoire par le biais d’un lien hypertexte (V. not. Crim. 7 févr. 2017, no 15-83.439, Dalloz actualité, 1er mars 2017, obs. S. Lavric ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 234, obs. N. Verly ; Dalloz IP/IT 2017. 233, obs. E. Derieux ; Légipresse 2017. 125 et les obs. ; ibid. 200, Étude B. Ader ; Dr. pénal 2017. Chron. 6, obs. O. Mouysset ; 2 nov. 2016, no 15-87.163, Dalloz actualité, 17 nov. 2016, obs. S. Lavric , note A. Serinet ; ibid. 181, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 39, obs. J.-B. Thierry ; Dalloz IP/IT 2017. 61, obs. E. Derieux ; Légipresse 2017. 69 et les obs. ; ibid. 200, Étude B. Ader ; RSC 2017. 85, obs. A. Giudicelli ), elle retient qu’« un lien hypertexte qui […] renvoie directement à un écrit qui a été mis en ligne par un tiers sur un site distinct constitue une reproduction de ce texte qui fait courir un nouveau délai de prescription, de sorte que l’action publique n’était pas prescrite », moins de trois mois séparant cette nouvelle publication et la plainte avec constitution de partie civile.
Sur le bien-fondé de la condamnation de l’élue, la chambre criminelle, statuant au visa des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 29, alinéa 1er, de la loi sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale, rappelle les contours de la jurisprudence européenne s’agissant des liens hypertextes (CEDH 4 déc. 2018, Magyar Jeti Zrt c/ Hongrie, no 11257/16, AJ pénal 2019. 93, obs. J.-B. Thierry , qui énonce que les juges doivent rechercher si l’auteur du lien hypertexte a approuvé le contenu vers lequel celui-ci renvoie) et ceux de sa propre jurisprudence en matière de diffamation (impliquant un examen des éléments extrinsèques au contenu incriminé, V. Crim. 27 juill. 1982, no 81-90.901, Bull. crim. no 199 ; 11 déc. 2018, no 17-84.899, Bull. crim. no 214, Dalloz actualité, 10 janv. 2019, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2019. 151, obs. N. Verly ; Légipresse 2019. 9 et les obs. ; 8 oct. 1991, no 90-83.336, Bull. crim. no 334). Elle relève alors que, pour condamner la demanderesse, la cour d’appel a simplement constaté que le lecteur qui activait le lien hypertexte accédait à l’imputation diffamatoire, « sans examiner les éléments extrinsèques au contenu incriminé que constituaient les modalités et le contexte dans lesquels avait été inséré le lien hypertexte y renvoyant, et spécialement le sens de l’autre texte auquel renvoyait le lien, qui contredisait le propos poursuivi, et les conclusions que tirait la prévenu de l’ensemble formé par ces deux textes ». Estimant que les juges du fond n’ont pas, dans ces conditions, justifié leur décision, elle casse et annule l’arrêt et renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris. Ce faisant, la chambre criminelle nous précise que relayer n’est pas forcément diffamer, comme l’avait déjà affirmé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire précitée (V., J.-B. Thierry, obs. préc.). Tout dépend du contexte de la publication, qu’il revient aux juges du fond d’apprécier.
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