Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Différends entre avocats : la conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier est facultative

Si les articles 7 et 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, prévoient une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier, elles n’instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.

Cette jurisprudence récente, appelée à une certaine publicité, est à contre-courants multiples. Elle est, d’une part, à contre-courant d’un vaste mouvement politique de promotion de l’amiable, qui devrait rapidement trouver une traduction réglementaire. Elle est, d’autre part, à contre-courant d’une politique jurisprudentielle globalement favorable aux modes amiables. C’est en somme une jurisprudence de contraste (sur laquelle, v. S. Grayot-Dirx, Arbitrage du bâtonnier : le défaut de conciliation préalable à sa saisine ne la rend pas irrecevable, JCP 2023. 368).

Son apport est là : si les articles 7 et 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, relatifs aux litiges nés d’un contrat de travail ou de collaboration libérale et aux différends d’ordre professionnel entre avocats, érigent, avec le soutien de l’article 142 du décret du 27 novembre 1991, un préalable de conciliation, celui-ci n’est pas obligatoire, de sorte que sa méconnaissance n’est pas sanctionnée par l’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier (v. réc. Civ. 1re, 8 févr. 2023, n° 21-21.893, sur la désignation par convention du bâtonnier compétent s’agissant d’un différend entre avocats de barreaux différents). Pour les différends entre avocats, la conciliation avant saisine du bâtonnier est donc facultative.

Revenons dans un premier temps sur la solution et le raisonnement qui y a conduit.

Litige relatif à un contrat de travail ou de collaboration libérale

La première affaire concerne un contrat de collaboration libérale (pourvoi n° 22-10.679). Un litige survient ; la collaboratrice saisit d’emblée le bâtonnier pour qu’il rende son arbitrage. Le bâtonnier repousse la fin de non-recevoir invoquée de l’autre côté de la barre, tirée de l’absence de tentative de conciliation préalable. Sur recours, une cour d’appel réforme la décision, au motif que la conciliation avant saisine du bâtonnier, prévue par la loi de 1971, ensemble le décret de 1991, revêtirait un caractère obligatoire, dont la méconnaissance se traduirait par l’irrecevabilité de la demande adressée au bâtonnier. Il est vrai que tel est le sens global de la jurisprudence du fond (v. not. Colmar, 31 mai 2019, n° 18/02195, représentatif de cette tendance). Pourvoi est formé et c’est sur moyen relevé d’office que la cassation est prononcée.

La première chambre civile relève, d’une part, que selon l’article 7 de la loi de 1971, les litiges nés d’un contrat de travail ou de collaboration libérale sont, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier (§ 6). D’autre part, elle rappelle que, selon l’article 142 du décret de 1991, le bâtonnier est saisi, à défaut de conciliation, par l’une ou l’autre des parties, l’acte de saisine précisant, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant (§ 7). Ce qui conduit à la conclusion que le préalable de conciliation dont s’agit n’est pas obligatoire.

Litige d’ordre professionnel entre avocats

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 21-19.620), le même raisonnement est développé pour la même conclusion, s’agissant de la conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier relativement aux différends d’ordre professionnel entre avocats, mettant en jeu l’article 21 de la loi de 1971 et les articles 142, 179-1 et 179-4 du décret de 1991 (ce dernier rend applicable l’article 142 aux litiges considérés ; le second prévoit l’arbitrage du bâtonnier à défaut de conciliation).

En adoptant, coup sur coup, la même solution au moyen d’un seul et même énoncé normatif, la première chambre civile adresse un message assuré et ferme. Toute la question est de savoir s’il est digne d’approbation. Au regard des dispositions en cause, la solution semble exacte.

La loi de 1971 et le décret de 1991

L’article 7 de la loi de 1971 indique bien que la saisine du bâtonnier est possible « en l’absence de conciliation ». L’article 21, III, de la même loi, seul pertinent ici, est pareillement libellé s’agissant des différends d’ordre professionnel entre avocats. Ainsi, ces dispositions législatives n’érigent explicitement pas le préalable de conciliation en obligation ni n’en sanctionnent la méconnaissance par l’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier.

On dira qu’une autre interprétation est possible. De fait, la loi n’est habituellement pas là pour bavarder, de sorte que, pour donner effet utile à cette incise – « en l’absence de conciliation » –, il faudrait y voir un préalable de conciliation obligatoire.

Deux considérations permettent cependant de repousser cette interprétation adverse.

D’une part, le principe est l’accès direct au juge (en l’occurrence, au bâtonnier arbitre). Ce n’est que par exception que des causes d’irrecevabilités sont élevées en forme de préalable obligatoire, exception qui sont théoriquement de droit étroit. Dès lors, en présence d’une disposition ambiguë, le doute doit profiter à l’accès direct au bâtonnier.

D’autre part et surtout, l’article 142 du décret de 1991 permet de lever ce doute subsistant. En effet, il prévoit diverses causes d’irrecevabilité. Or ne se trouve pas parmi ces causes le non-respect du préalable de conciliation. D’aucuns diront que c’est un simple oubli. C’est néanmoins douteux : l’alinéa 1er dudit article évoque bien le cas du défaut de conciliation préalable, mais sans lui attacher la moindre sanction.

L’intention du législateur est donc claire : avant la saisine du bâtonnier, une conciliation est possible mais pas obligatoire. Ne pas mettre en œuvre une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier n’expose en tout cas pas le requérant à l’irrecevabilité de sa demande.

Ainsi présentée, la solution paraît irrésistible. D’ailleurs, la motivation des arrêts est dans cette veine, d’un syllogisme conquérant et expéditif, à sens unique. Pourtant, un double malaise demeure, l’un relatif à la cohérence interne de la solution, l’autre à sa cohérence externe.

Cohérence interne

Tout d’abord, revient comme un boomerang la question de l’effet utile de cette fameuse incise présente dans la loi et...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :