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La difficulté de prouver le concubinage au jour du décès de l’assuré

Pour obtenir le versement du capital décès, le demandeur était tenu de rapporter la preuve du concubinage lors du dénouement du contrat, c’est-à-dire d’une vie commune au jour du décès. Les juges du fond ont souverainement apprécié les pièces soumises à leur examen et, hors toute dénaturation, ont estimé qu’une telle preuve n’était pas rapportée.

par Quentin Guiguet-Schieléle 6 novembre 2018

« Le concubinage semble être au mariage ce que le fait est au droit (J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes, la famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige Manuel », 2004, p. 1453). Preuve en est que, depuis 1999, il fait l’objet d’une définition « orpheline » : aucun régime juridique n’est attaché à sa qualification. Pour autant, les concubins ne sont pas hors du droit et cet arrêt rendu le 3 octobre 2018 est l’occasion de le rappeler.

Une dame, mère de quatre enfants, est décédée en 2009 dans un accident d’avion. Elle avait souscrit un contrat d’assurance prévoyance familiale en cas d’accident stipulant le versement d’un capital décès au profit du conjoint ou concubin survivant et de rentes « éducation » pour ses enfants. L’assureur versa les rentes mais s’opposa au règlement du capital au profit du père des enfants, qui se présentait comme concubin. Un jugement condamna l’assureur à verser le capital à l’intéressé, mais la décision fut infirmée sur ce point en appel : la cour d’appel Paris, dans un arrêt du 13 septembre 2016, rejeta la demande au motif que le concubinage n’était pas établi au jour du décès.

Un pourvoi fut formé en cassation, selon un moyen divisé en six branches dont toutes tentaient de convaincre de la pertinence des éléments de preuve au regard de la définition légale du concubinage.

Le pourvoi fut rejeté. Après un attendu de principe reprenant les principaux éléments de définition du concubinage de l’article 515-8 du code civil (« le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes qui vivent en couple » – ne manque que la précision relative au sexe des concubins), la Cour de cassation rappelle, d’une part, la nécessité de prouver la qualité de concubin au jour du décès et, d’autre part, le caractère souverain de l’appréciation des juges du fond sur les éléments de preuve qui leur sont soumis.

En tant que fait juridique, le concubinage se prouve librement (sur cette question, v. Rep. civ.,  Concubinage, par S. Ben Hadj Yiahia, nos 47 s.). Plus il dure dans le temps, plus il laisse de traces qui sont autant de modes de preuve permettant de l’établir. Mais les juges du fond sont souverains dans l’appréciation des éléments de preuve destinés à l’établir (Civ. 1re, 9 févr. 1965, Bull. civ. I, n° 112 ; 28 janv. 1997, n° 94-20.922 ; 28 févr. 2006, n° 04-13.786, Bull. civ. I, n° 109 ; D. 2007. Pan. 1561, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ). La difficulté consistait ici à démontrer que le concubinage avait perduré jusqu’au jour du sinistre, c’est-à-dire que la vie commune n’avait pas cessé au jour du décès. Les éléments invoqués par le demandeur étaient insuffisants : factures d’électricité, mention de deux noms sur le bail locatif (daté de 1996) et avis d’échéances postérieurs n’établissent pas la réalité d’une vie commune au jour du sinistre. Les attestations produites par les voisins étaient par ailleurs imprécises quant aux dates : elles indiquaient simplement que le couple assurait l’éducation de ses enfants « depuis 1996 » sans faire état d’un déménagement. Il eut mieux valu relater un fait objectif, tel que la présence du demandeur dans l’habitation un peu avant et/ou un peu après le décès.

Plus troublant, la cour d’appel a fait mention d’avis d’imposition faisant apparaître une « Madame B… » (du nom du demandeur). Pouvait-il s’agir de l’assurée alors même que, simples concubins, aucun ne disposait d’un droit d’usage du nom de l’autre ? Cette observation était d’autant plus troublante que ces avis au nom de « Mme B… » n’indiquaient pas le même numéro fiscal ni la même date de naissance que la souscriptrice. Le demandeur qui se prétendait concubin avait visiblement procédé à une déclaration commune de ses revenus avec une autre personne qui devait être sa femme. C’est sans aucun doute cette suspicion, bien légitime, qui a conduit les juges à une telle sévérité dans l’appréciation des éléments de preuve. Non seulement ces avis d’imposition n’étaient pas de nature à prouver une vie commune au jour du décès, mais ils rendaient éminemment douteux le bien-fondé de la demande. Sans cela, on aurait pu s’étonner que les juges ne déduisent pas de l’ensemble des éléments fournis, qui attestaient d’une vie commune antérieure au décès, une présomption, par faisceaux d’indices concordants, de vie commune au jour du décès. En effet, comment rapporter une telle preuve, si ce n’est par la réunion de divers éléments qui rendent vraisemblable une vie en commun qui aurait duré jusqu’au décès ? Les juges du fond auraient sans doute été plus facilement convaincus si le demandeur ne leur avait pas, de lui-même, suggéré qu’il était marié à une autre femme l’année où était survenu le décès. Certes, comme l’arguait les cinquièmes et sixièmes branches du moyen, ce mariage à une autre femme n’était pas établi (l’acte de naissance du demandeur faisait en ce sens preuve contraire) et, quand bien même, cela n’aurait pas exclu un concubinage, qui aurait alors été adultérin. Mais sur le terrain probatoire, les juges du fond disposent d’une liberté d’appréciation qui leur permet de s’affranchir de ces considérations. Peu importe que le mariage soit ou non établi – et qu’il soit par ailleurs compatible avec un concubinage – : cet avis d’imposition est troublant, ce qui suffit à fragiliser la force probante de l’ensemble des éléments présentés. Pour rejeter la demande, les juges n’avaient nullement besoin d’une certitude sur l’absence de concubinage : il suffisait d’une incertitude sur l’existence d’un concubinage.

Sur le terrain assurantiel, cette décision est l’occasion de rappeler la nécessité de soigner la rédaction de la clause bénéficiaire (sur cette question, v. « La rédaction de la clause bénéficiaire », in M. Leroy [dir.], Guide de l’assurance-vie 2018, LexisNexis, 2018, p. 273). Si le bénéficiaire est déterminé, c’est-à-dire précisément nommé, l’identification sera aisée et la question de la preuve ne portera que sur l’identité, ce qui ne posera pas de difficulté. Une telle stipulation est préférable, au risque de devoir révoquer la désignation en cas de changement de circonstances, tel que la rupture du concubinage. Lorsque le bénéficiaire est simplement déterminable, son identification sera plus complexe. Elle invite en général le juge à sonder la volonté du souscripteur : a-t-il stipulé en considération de celui qui était concubin au jour de la désignation ou de celui qui serait son concubin au jour de son décès ? Dans la plupart des cas, en l’absence de précision, l’interprétation se fait au jour de la rédaction de la clause. Mais, en l’espèce, il s’agissait d’un contrat d’assurance accident standardisé, donc probablement d’une assurance temporaire décès conditionnée au mode de décès, destinée à protéger la famille de l’assurée, entendue dans un sens large incluant le concubin. Le contrat ouvrait en effet droit au versement du capital au « conjoint survivant », lequel était assimilé au concubin (pour la cour d’appel, selon l’article 5 des conditions générales, « le conjoint est toute personne unie à l’assuré par les liens du mariage et […] suivant les termes du code civil, sont assimilés au conjoint le concubin, le partenaire ou la personne assimilée vivant de façon constante avec l’assuré » [sic]).

Il est logique – et constant devant la Cour de cassation – que l’octroi de la garantie soit conditionné à la qualité de concubin (membre de cette famille élargie) au jour du décès. C’est bien cette exigence particulière qui rend la preuve si délicate. Ici, il semblait davantage s’agir de ce que Jean Carbonnier appelait le « concubinage sauvage, anormal », auquel manque la condition de stabilité, de continuité ou de vie en couple (J. Carbonnier, op. cit., p. 1454) et non un concubinage tel que décrit par l’article 515-8 du code civil. Or cette forme archaïsante de couple « est une situation dégradée, équivoque, laissant au juge une plus grande marge d’appréciation » (ibid.).