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La diligence d’un juge d’instruction s’apprécie à l’aune des moyens dont il dispose, selon le CSM

Un juge d’instruction qui ne procède à aucun acte durant trois ans dans un dossier commet-il une faute professionnelle ? À cette question, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a jugé que l’absence de diligence devait s’apprécier non seulement à l’aune de la procédure mais également aux conditions de travail et moyens dont dispose le magistrat.

Dans sa décision du 25 avril 2022, la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour les magistrats du siège considère qu’il n’y a pas lieu de sanctionner une ancienne juge d’instruction du tribunal judiciaire d’Avignon, Violaine Guadagni, à qui un justiciable reprochait le peu de célérité dans un dossier le concernant et un manquement aux devoirs de diligence et de légalité.

Dans cette affaire, le CSM a été saisi directement par ce justiciable, un avocat. Me Régis Junqua a été mis en examen en novembre 2015 pour blanchiment de fraude fiscale par Mme Guadagni, dans un dossier ouvert en… mars 2004. Quatre juges d’instruction l’ont précédé dans cette affaire dont le nombre d’actes est relatif. Mise en examen des clients de Me Junqua en mars 2005, une perquisition en mars 2007, une audition de Me Junqua en décembre 2009 sous le statut de témoin assisté et un mois plus tard celle de ses anciens clients.

Lors de l’audience disciplinaire, le 31 mars 2022 (v. Dalloz actualité, 5 avr. 2022, par A. Bloch et P.-A. Souchard) Mme Guadagni a dressé un état déplorable du cabinet d’instruction qu’elle a repris à sa nomination en septembre 2012.

Quatre-vingt-douze dossiers en stock, dont certains en déshérence, des problèmes de greffe, et vingt-deux nouveaux dossiers en moins de trois mois. Fin 2013, le nombre de dossiers s’élevait à cent vingt-deux, dont plus de la moitié de nature criminelle. Un tableau à mille lieues de l’image d’une justice sereine et apaisée (v. Dalloz actualité, 31 mars 2022, obs. G. Thierry)

« Contraintes structurelles et conjoncturelles »

Mme Gudagni a expliqué s’être attachée en priorité aux dossiers urgents tels que ceux avec détenus, affaires criminelles, mineurs ou ceux signalés par les avocats. Celui de Me Junqua ne répondait à aucun de ces critères, a-t-elle précisé. Elle a calculé à un jour et demi, voire deux par an le temps qu’elle pouvait consacrer à chaque dossier.

Ce n’est qu’en septembre 2015, après s’être plongée dans ce dossier, qualifié par la juge de « complexe », qu’elle a procédé à la mise en examen de Me Junqua. À compter des premières diligences de la juge d’instruction, le CSM estime que le « dossier peut être considéré comme ayant eu un rythme normal ». Mme Guadagni l’a clôturé le 2 mai 2016, l’ordonnance de renvoi datant du 28 décembre 2017, quatre mois après le réquisitoire définitif.

Son inaction durant trois ans constitue-t-elle un manquement au devoir de diligence ? Cette inaction doit être appréciée « non seulement au regard de la procédure dans son ensemble mais aussi au regard des conditions de travail et des moyens dont disposait la magistrate, seule mise en cause », relève le CSM. Et, au regard « des contraintes structurelles et conjoncturelles » rencontrées par la juge d’instruction, « cette absence de diligences pendant 33 mois, relevée dans ce seul dossier, ne constitue pas en l’espèce une faute disciplinaire au sens de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ».

« Décision très attendue »

Le CSM a rejeté les deux autres griefs reprochés à Mme Guadagni, un manquement aux devoirs de légalité et d’impartialité. Sur le premier, l’absence de désignation dans le dossier d’instruction de Mme Guadagni par le président du tribunal (C. pr. pén., art. 83), la formation disciplinaire rappelle qu’il est de jurisprudence constante que la désignation d’un juge d’instruction « constitue un acte d’administration judiciaire qui n’intéresse pas les droits des parties qui ne peuvent donc en discuter ni la régularité ni l’existence ».

Quant au manquement au devoir d’impartialité, l’avocat reprochait à la magistrate d’avoir omis dans son ordonnance de renvoi les éléments à décharge le concernant et d’avoir tu une relation d’amitié avec l’une de ses collègues, épouse d’un collaborateur de Me Junqua avec lequel il en conflit. Sur le premier point, le CSM précise que la rédaction d’une ordonnance de renvoi, acte juridictionnel, ne relève pas des prérogatives du conseil de discipline mais de l’exercice des voies de recours. Sur le second point, le CSM rappelle qu’aucune demande de dépaysement n’a été formulée par la défense de Me Junqua.

Le secrétaire de l’Union syndicale des magistrats (USM), Ludovic Friat, l’un des défenseurs de Mme Guadagni, a fait part de sa « vive satisfaction » à l’issue du prononcé. « C’était une décision très attendue par les collègues de l’instruction. Beaucoup d’entre eux se sont reconnus dans le cas de Violaine Guadagni », a-t-il déclaré à Dalloz actualité.

Si la procédure disciplinaire est dorénavant close, le dossier dans lequel Me Junqua est mis en examen, toujours en cours, soit une procédure qui dure depuis dix-huit ans. Après quelques péripéties procédurales.

« Condamnation de l’État »

En février 2019, le tribunal correctionnel d’Avignon a annulé l’ordonnance de renvoi en raison de l’absence de désignation du juge d’instruction. Le parquet a donc classé la procédure. Mais, après intervention du parquet général, le procureur a demandé au président du tribunal de désigner un juge d’instruction. Désignée en mai, Mme Guadagni saisit la chambre de l’instruction afin de statuer sur d’éventuelles nullités antérieures à son ordonnance de renvoi.

Puis, sur requête du procureur général près la Cour de cassation, saisi par Me Junqua, la chambre criminelle, ordonne le dépaysement de l’affaire à Aix-en-Provence. En septembre 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence valide la procédure.

Pour parachever de complexifier cette affaire, l’avocat a obtenu en janvier 2022 la condamnation de l’État à 10 000 € pour fonctionnement défectueux du service public de la justice. Une décision définitive.

Dans une déclaration à Dalloz actualité, Me Olivier Morice, le conseil de Me Junqua regrette l’absence de sanction du CSM. « Il cède à la pression syndicale des magistrats. Le président de la République avait interpellé le CSM sur la raison de l’inexistence de sanction prononcée dans le cadre de saisine directe des justiciables depuis son origine. À notre sens, la raison est simple, le poids du corporatisme. Dans aucune autre profession que celle de magistrat, une telle indulgence n’est tolérée et cela ne fait que grandir le fossé existant entre les citoyens et les juges. »

Dix-huit ans de procédure, cela commence à faire long au regard du droit à être jugé dans un délai raisonnable.