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Diligence interruptive et interdépendance d’instances : la péremption à l’honneur

La diligence interruptive s’entend de celle effectuée dans l’instance concernée par l’incident de péremption. Si, en principe, l’interruption de la péremption ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement en cas de lien de dépendance direct et nécessaire entre deux instances, les diligences accomplies par une partie dans une instance interrompant la péremption de l’autre.

La péremption d’instance fait l’objet d’une certaine actualité. Le 14 septembre 2023, la deuxième chambre civile a procédé à un renvoi dans quatre affaires distinctes afin d’entendre des amicii curiae le 19 décembre 2023 (n° 21-19.475, n° 21-23.230, n° 21-19.761 et n° 21-20.719). Se trouve en ligne de mire apparente la jurisprudence selon laquelle, dans l’attente d’une clôture et fixation, le délai de péremption court normalement, quand bien même les parties n’auraient plus aucune diligence utile à réaliser (v. not., Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-17.618, Dalloz actualité, 23 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 262, obs. M. Jean ), étant rappelé que des conclusions identiques aux précédentes n’interrompent pas la péremption (Civ. 2e, 2 févr. 2012, n° 10-27.761). Cette jurisprudence conduit les avocats à multiplier les demandes de fixation, effectivement interruptives ; elle les conduit aussi à réaliser des actes de procédure parfaitement inutiles et artificiels à seule fin d’interrompre la péremption, ce dont on ne saurait leur tenir rigueur. Une reconfiguration de cette jurisprudence inique peut donc être espérée. En attendant le dénouement de cette séquence qui devrait offrir un beau moment de justice, au moins sur la forme, la deuxième chambre civile a rendu le 23 novembre 2023 un arrêt publié en formation de section intéressant aussi la péremption.

Un couple acquiert un bien immobilier financé par prêt bancaire garanti par cautionnement. À la suite d’impayés, la caution est actionnée et régularise plusieurs échéances en lieu et place des débiteurs. Après paiement, la caution assigne les débiteurs en remboursement. Déboutée en première instance, elle relève appel. Par ordonnance du 2 juillet 2020, le conseiller de la mise en état relève, sur saisine des intimés, que la dernière diligence accomplie était constituée par des conclusions du 6 décembre 2017 ; il a en conséquence constaté la péremption de l’instance, donnant force de chose jugée au jugement querellé. La cour d’appel confirme sur déféré. La caution se pourvoit contre l’arrêt rendu.

Deux moyens sont développés au soutien de la cassation.

D’une part, la caution fait valoir qu’elle a procédé, depuis la dernière diligence interruptive du délai de péremption, au renouvellement d’une hypothèque judiciaire provisoire pour garantir la condamnation à intervenir dans l’instance qui encourt la péremption. Or, selon le demandeur à la cassation, cette diligence manifesterait suffisamment sa volonté de poursuivre l’instance jusqu’à son terme, de sorte qu’il s’agirait d’une diligence interruptive.

D’autre part, la caution souligne que deux procès étaient parallèlement en cours, l’un portant sur la nullité de la vente immobilière, l’autre sur le recours de la caution solvens contre les débiteurs principaux. Or, de l’avis de la caution, il existerait un lien de dépendance direct et nécessaire entre ces deux instances – et même entre ces deux procès. Et la caution de souligner que les débiteurs principaux ont déposé des conclusions en 2018 et 2019, c’est-à-dire postérieurement à la dernière diligence interruptive réalisée dans l’instance qui encourt la péremption. De sorte que, selon la caution, le délai de péremption aurait été interrompu par ces diligences. Par ce second moyen, la caution critiquait pour l’essentiel l’approche retenue par les juges du fond pour refuser de caractériser un « lien de dépendance direct et nécessaire » entre les instances en présence.

Ainsi rédigé, le pourvoi adressait deux interrogations à la Cour de cassation. La première est de savoir si une diligence réalisée hors de toute instance, à l’instar du renouvellement d’une hypothèque provisoire, peut interrompre le délai de péremption. La seconde question n’est pas tant de savoir si une diligence réalisée dans une instance liée est de nature à interrompre la péremption d’une autre instance ; elle est plutôt de savoir de quelle manière est apprécié et caractérisé le lien de dépendance direct et nécessaire entre les instances en présence.

Sur le premier versant, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond de façon expéditive : au sens de l’article 386 du code de procédure civile, « la diligence interruptive s’entend de celle effectuée dans l’instance concernée par l’incident de péremption » (pt 9). Dit autrement, une diligence réalisée hors de l’instance dont la péremption est discutée n’est pas de nature à interrompre cette dernière.

Sur le second versant, la Cour de cassation procède un peu plus progressivement.

Tout d’abord, elle rappelle que si, en principe, l’interruption de la péremption ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement au cas de lien de dépendance direct et nécessaire entre deux instances, les diligences accomplies par une partie dans une instance interrompant la péremption de l’autre (pt 13). Ensuite et surtout, la Cour souligne que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a estimé (…) qu’il n’y avait pas de lien de dépendance direct et nécessaire entre l’instance tendant à la nullité de la vente par les acquéreurs et celle engagée par la caution » (pt 14). Le tout pour décider que la cour d’appel en a « exactement déduit » que les conclusions déposées dans l’instance liée n’étaient pas de nature à interrompre le délai de péremption...

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