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Discipline des professions du droit et du chiffre : l’IGJ rend son rapport

L’inspection générale de la justice (IGJ) a remis au garde des Sceaux son rapport sur La discipline des professions du droit et du chiffre. Les travaux portent sur les métiers du droit et les métiers du chiffre dont le ministère de la justice a la tutelle.

par Yves Avrille 18 décembre 2020

D’emblée l’on doit préciser la portée du rapport sur les professions qu’il vise. Quand on évoque les professions du droit et du chiffre, l’on pense immédiatement à l’expert-comptable (v. par ex. R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle, l’exemple des professions du droit et du chiffre, Defrénois/Lextenso éditions, 2014). Or le périmètre de la mission concerne les professions suivantes : avocats aux conseils, avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers auprès des tribunaux de commerce, commissaires aux comptes, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.

Tout en soulignant la difficulté d’obtenir des statistiques et leur manque de fiabilité, le rapport relève des insuffisances avérées. On évoquera ici la profession d’avocat car, avec environ 70 000 membres, elle possède l’effectif le plus important, en augmentation constante, avec la responsabilité disciplinaire la plus ancienne (elle date de la restauration du barreau par le décret du 14 décembre 1810). Les derniers chiffres font apparaître cent dix saisines en 2019, chiffre qui baisse d’année en année, comme si les vertus déontologiques des avocats s’accroissaient avec leur nombre : davantage d’inscrits, moins de poursuites. Celles qui proviennent des parquets généraux sont dérisoires quand elles ne sont pas inexistantes. Pour les notaires, avec un effectif moindre, il est vrai (15 720 au 31 octobre 2020), il n’y a eu que soixante-deux poursuites disciplinaires en 2019. Ainsi, il y a des instances disciplinaires, notamment des cours d’appel, qui ne siègent pas une fois par an pour la discipline des professions envisagées.

Le rapport est respectueux des professions et n’emploie pas de mots qui fâchent. Le corporatisme, ce poison, est appelé l’entre-soi, mais son influence, inspirée par la peur du scandale, est parfaitement décrite. Il est aussi nocif en matière disciplinaire qu’en matière de responsabilité civile tant pour l’avocat (Y. Avril, L’assurance obligatoire de l’avocat, D. avocats 2017. 180 ) que pour le notaire (R. Bigot, op. cit., n° 542).

Pour les avocats, des projets de réforme ont été présentés de façon aboutie, mais n’ont jamais connu que le sort des vœux pieux (Observations du Conseil national des barreaux, assemblée générale des 10 et 11 févr. 2012). Le rapport présente un intérêt nouveau : la proposition de créer un droit commun disciplinaire. Cette perspective jusqu’ici n’avait émané que de la doctrine (P. Ancel et J. Moret-Bailly [dir.], Vers un droit commun disciplinaire ?, Publication de l’Université de Saint-Étienne, 2007).

D’un rapport exprimé sur 92 pages, on retiendra la proposition de vingt-cinq mesures. La réforme commencerait par une implication et une surveillance accrue de la Direction des affaires civiles et du Sceau et des parquets généraux avec l’appoint des professions du droit. Un régime commun serait appliqué aux professions du droit, tant pour une déontologie à codifier que pour un régime identique de responsabilité disciplinaire. Dans la procédure, à différents stades, une possibilité d’information et d’intervention serait réservée au public. Des sanctions disciplinaires seraient communes et un fichier national des sanctions tenu par la Direction des affaires civiles et du Sceau avec une typologie détaillée des manquements poursuivis.

Un nouveau pouvoir serait donné aux bâtonniers, celui du rappel à l’ordre, qui viendrait remplacer le parfum désuet de l’admonestation. Il s’exercerait à charge d’en informer le parquet général.

Des services d’enquête seraient formés au niveau de l’instance régionale composée sur le modèle échevinal dans le ressort de chaque cour d’appel. Pour l’appel, une commission nationale serait créée.

Actuellement, l’activité de la Direction des affaires civiles et du Sceau ferait l’objet d’un rapport sur la surveillance et la discipline avec des mesures de publicité adaptée.

Des recommandations sont faites pour une meilleure formation en déontologie qui pourrait être envisagée dans une formation continue régulière et obligatoire.

L’homogénéité des régimes présenterait des avantages pour la crédibilité et la confiance nécessaire des citoyens. Ce souci rejoint l’honneur des professionnels. Une justice de qualité doit être comprise aisément et la simplification y contribuerait. L’unité de juridictions éparses permettrait d’avoir des juges plus expérimentés et des sanctions d’un autre âge disparaîtraient. On pense ici à la censure simple ou à la censure devant la chambre assemblée pour les notaires qui relèvent actuellement de deux juridictions distinctes.

Dotée de telles conditions, une réforme ne relève plus de la compétence du gouvernement. Il sera nécessaire de saisir le législateur, ce que le rapport appelle « un processus légistique ». Les rapporteurs indiquent qu’une réforme d’ampleur suppose de nouveaux moyens, matériels et humains. Ces moyens seront-ils accordés ? Ils sont indispensables.

La réforme intervenue, l’on souffrira moins à la lecture de certaines décisions judiciaires. On pense à la décision récente (Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 19-10.939 P, Dalloz actualité, 14 févr. 2020, obs. D. Landry ; D. 2020. 1509 , note B. Beignier ; D. avocats 2020. 77 et les obs. ; Lexbase avocats, n° 301, 5 mars 2020, note Y. Avril) qui refuse l’honorariat à un avocat, ce qui n’est pas une sanction. Bâtonnier, celui-ci avait prélevé sur des fonds destinés à la Caisse nationale des barreaux français le montant de la liste civile pour ne pas subir une trésorerie insuffisante de l’ordre. Après des années de procédure, l’avocat avait fini par combler des comptes CARPA débiteurs. Il n’a jamais été poursuivi devant l’instance disciplinaire.