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Discrédit porté sur une décision de justice sur internet : pas de responsabilité en cascade

La publication d’articles portant le discrédit sur une décision de justice par internet, c’est-à-dire par la voie de la communication au public en ligne, n’a pas été commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, ce qui exclut les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Par un arrêt du 5 octobre 2021, la chambre criminelle a apporté une importante précision sur l’imputation de certains délits de droit commun commis par internet et soumis au régime spécial de la responsabilité en cascade de l’article 42 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. La décision porte spécifiquement sur le délit de discrédit porté sur une décision de justice sur internet : l’article 434-25, alinéa 3, du code pénal prévoit que « Lorsque l’infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ». La chambre criminelle a alors déduit que cette disposition ne s’appliquait pas lorsque l’infraction avait été commise par internet, car « la communication au public en ligne ne relève pas de la communication audiovisuelle, dès lors qu’elle en est expressément exclue par l’article 2, alinéa 3, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ». Elle a ajouté que « la publication des articles litigieux par internet, c’est-à-dire par la voie de la communication au public en ligne, n’a pas été commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, ce qui exclut les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ». Cette solution est tout à fait cohérente avec les dispositions interprétées, mais elle aboutit à un résultat qui n’avait peut-être pas été envisagé par le législateur lorsqu’il avait soumis le délit à ce régime particulier.

La Cour de cassation a ainsi considéré que l’expression « presse écrite et audiovisuelle », contenue à l’article 434-25, alinéa 3, du code pénal, ne s’appliquait pas à la communication au public en ligne, c’est-à-dire à internet. Cette disposition renvoie aux « dispositions particulières », en réalité à la responsabilité en cascade de l’article 42 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, lorsque le délit de discrédit porté sur une décision de justice est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle. Interprétant strictement ces notions, la chambre criminelle a exclu internet de la communication audiovisuelle, En effet, l’article 2 de la loi n° 86-1067, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juin 2004, définit la communication audiovisuelle comme, entre autres, « toute communication au public par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication au public en ligne telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ». Or, sur le fondement des dispositions antérieures à cette loi, la jurisprudence a considéré que la communication par internet relevait de la communication audiovisuelle (Crim. 10 mai 2005, n° 04-84.705, D. 2005. 1657, obs. A. Astaix ; ibid. 2986, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et C. Mascala ). Internet relève donc de la communication au public en ligne et non de la communication audiovisuelle. Pour autant, les modalités d’imputation des infractions de presse commises sur internet sont toujours régies par l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. De plus, encore récemment, la Cour de cassation a continué à affirmer que « le réseau internet constitue un moyen de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 (Crim. 7 mai 2019, n° 19-81.629, Légipresse 2020. 193, étude N. Verly )

Au-delà du discrédit porté sur une décision de justice, un certain nombre d’infractions de droit commun renvoie à l’imputation en cascade en cas de commission par voie de presse écrite ou audiovisuelle : il s’agit de l’atteinte à la vie privée par diffusion (C. pén., art. 226-2, al. 2), de l’atteinte à la représentation de la personne (C. pén., art. 226-8, al. 2), de la provocation au suicide et de la publicité pour les méthodes pour se donner la mort (C. pén., art. 223-15), de la participation à une entreprise de démoralisation de l’armée (C. pén., art. 413-4, al. 2), de la publication de commentaires tendant à exercer des pressions avant une décision de justice (C. pén., art. 434-16, al. 2), de la provocation à la rébellion (C. pén., art. 433-10, al. 2), de la diffusion d’images pédopornographiques (C. pén., art. 227-28) ou encore de la provocation à s’armer contre l’État ou une partie de la population (C. pén., art. 412-8, al. 3). Il paraissait jusque là clair que la référence, dans ces dispositions, à la communication audiovisuelle, renvoyait également aux infractions commises via internet (v. par ex., Rép. pén., Atteintes à la vie privée – Sanctions des atteintes, par N. Cazé-Gaillarde, n° 163). Lorsque de telles dispositions ont été adoptées, le législateur n’avait pas entendu exclure internet de la communication audiovisuelle, lequel n’était soit pas encore très développé, soit compris comme inclus dans la communication audiovisuelle.

L’interprétation retenue par la chambre criminelle n’en reste pas moins cohérente avec d’autres dispositions du code pénal, qui visent, pour renvoyer aux dispositions particulières d’imputation en cascade, en plus de la presse écrite ou audiovisuelle, la communication au public en ligne. Il en va ainsi de la diffusion d’un message violent envers les mineurs (C. pén., art. 227-24, al. 2), de la provocation au terrorisme (C. pén., art. 421-2-5) ou encore du tout nouveau délit de diffusion d’informations permettant d’identifier une personne (C. pén., art. 223-1-1). Si la communication au public en ligne est visée de manière distincte, c’est bien qu’elle n’est pas assimilée à la communication audiovisuelle, d’autant que le législateur distingue expressément ces deux notions. Il n’en reste pas moins un manque de cohérence de la législation quant à ces infractions de droit commun soumises à la responsabilité en cascade, excluant parfois internet, l’incluant parfois, sans autre logique que l’époque où ces textes ont été adoptés.

En excluant l’application de la responsabilité en cascade au délit de discrédit porté sur une décision de justice commis sur internet, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la responsabilité de l’auteur des propos litigieux, en qualité d’auteur du délit, alors même que le co-prévenu avait également été déclaré, par une décision devenue définitive, auteur en qualité de directeur de publication. Or, l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit que lorsque le directeur de publication est poursuivi comme auteur, l’auteur doit être poursuivi comme complice. S’affranchissant de ces règles de responsabilité en cascade, la Cour de cassation a considéré que l’auteur des propos litigieux publiés sur un blog était bien auteur de l’infraction, après avoir caractérisé à son égard les éléments constitutifs de l’infraction. Les modalités d’engagement de la responsabilité pénale pour de telles infractions commises sur internet mériterait peut-être davantage de cohérence.