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Discriminations et harcèlement chez les avocats : des chiffres inquiétants

Présentés en ligne le 9 septembre dernier, les résultats du 3e Baromètre des droits du barreau de Paris sur les discriminations et le harcèlement, peu reluisants, pourraient agir comme un électrochoc sur la profession d’avocat. Focus sur certains chiffres et quelques pistes évoquées.

par Chloé Enkaouale 16 septembre 2021

« Il y a des moments difficiles dans la vie d’un bâtonnier. Celui-ci en fait partie » a soupiré le bâtonnier de Paris Olivier Cousi en introduction de la présentation des résultats de la troisième étude du Baromètre des droits. Portant sur le thème « Discriminations et harcèlement », celle-ci a encore une fois été réalisée par l’institut MRCC. Et les chiffres ne sont pas bons. Ceux-ci résultent des réponses de deux cibles distinctes : un échantillon représentatif de la population française, ainsi que 500 avocats inscrits au barreau de Paris qui, en moyenne, ont été pour 29 % d’entre eux témoins ou victimes de comportements discriminatoires au sein de leur profession. Ils relèvent notamment des discriminations liées au genre (42 % des avocats répondants) ainsi qu’à l’apparence physique (41 % des avocats répondants). De même, le racisme est considéré comme en évolution par 40 % d’entre eux. L’étude révèle également que les robes noires ont sur la société un regard plus pessimiste que l’ensemble des Français sur l’évolution des discriminations liées à la religion, à l’âge, à la vulnérabilité économique ou encore à la résidence. En revanche, l’orientation sexuelle semble moins impacter les avocats, qui observent même une certaine régression de ce motif de discrimination dans leur profession.

La grossesse, principal facteur discriminatoire

Principale spécificité des avocats en matière de discriminations, la grossesse. 50 % des répondants affirment en effet avoir été directement victimes ou témoins de difficultés rencontrées par des avocates enceintes au moment de leur grossesse ou à leur retour de congé maternité – contre 21 % des Français de manière générale. Face à ce problème persistant au sein de la profession, comme pour d’autres types de discriminations, des initiatives ont d’ores et déjà été mises en place au barreau de Paris ; la commission « Harcèlement et Discrimination » (Comhadis) en fait partie, tout comme la possibilité d’avoir recours à un référent collaboration. « Le souci, c’est que l’on voit dans cette enquête des freins à la saisine » a toutefois déploré Anne-Laure Casado, avocate au barreau de Paris et référente collaboration. « Les avocats ont en quelque sorte peur de se “griller” auprès du reste de la profession. Il faut remédier à cela, et faire confiance à son Ordre. » Selon Boris Martor, associé chez Bird & Bird et secrétaire général du Club du XXIe siècle, cette question de la maternité nécessite un gros travail de prévention au sein des cabinets. « Il s’agit de mieux aménager les congés en interne, en ayant par exemple à disposition un vivier d’avocats pouvant assurer les remplacements, et de mettre davantage en avant les congés paternité », a-t-il proposé. « Le problème, c’est que certains cabinets sont très orientés sur la productivité et le temps passé. Un avocat en congé maternité ou paternité est, par essence, un avocat qui va moins produire. » Mettant en avant la politique de son cabinet pour éviter les discriminations en tous genres – comité diversité et inclusion, fonds de dotation dédié à la diversité et aux engagements RSE,… –, l’associé a en outre souligné la nécessité pour les avocats de se montrer exemplaires sur la question de l’inclusion. « Il faut mobiliser la profession pour éviter et sanctionner les déviances », a-t-il insisté. « Je pense qu’il est important de mieux mettre en lumière un certain nombre d’actions, et de rendre publiques les heures de pro bono des cabinets. On doit valoriser les avocats qui agissent pour un monde meilleur. »

L’essor du cyberharcèlement

Outre les discriminations, les avocats comme la population française de manière globale font face à un autre fléau : le harcèlement. Des deux côtés, on se dit préoccupé face à ce risque ; selon l’étude, près d’un avocat sur deux y a été confronté, notamment sur les réseaux sociaux où 26 % des avocats interrogés disent avoir été victimes de harcèlement. « Le droit à l’oubli n’existe pas dans la sphère numérique où la haine en ligne prend de plus en plus d’ampleur. Or, on manque cruellement de formation sur ces sujets-là, y compris dans la profession d’avocat » a fait remarquer Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance et membre du comité d’experts contre le harcèlement auprès du ministère de l’Éducation nationale. Pour elle, il apparaît nécessaire de mieux faire monter les avocats en compétence sur ce sujet, à l’heure où le cyberharcèlement gagne du terrain et où, au final, peu de cabinets sont aujourd’hui réellement spécialisés en la matière. Après avoir rappelé la création des commissions « Déontologie » et « Médias et réseaux sociaux », ainsi que la récente organisation par le barreau de Paris d’une journée de formation des avocats au numérique, Olivier Cousi a de son côté reconnu l’importance de donner l’exemple en montrant les bonnes pratiques et souhaite avancer rapidement sur des propositions concrètes, que cela en soit en termes de discriminations ou de harcèlement. « La profession étant multiple, il est toutefois difficile de mettre en place des mesures uniformes », a-t-il ajouté. « Dans l’attente, il est important d’éviter la solitude et l’isolement dans un métier pour le moins exigeant, et où l’on n’a pas toujours connaissance des bons relais. » L’avenir dira si ces résultats auront au moins contribué à éveiller davantage les consciences.