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La dissolution d’une société n’interrompt pas l’instance

La Cour de cassation refuse d’assimiler la dissolution d’une société à un décès, de sorte que le délai pour saisir une juridiction de renvoi continue de courir à l’égard de la société absorbante après la dissolution de la société absorbée, laquelle n’interrompt pas l’instance.

par Nicolas Hoffschirle 31 mai 2021

« Dieu a créé l’homme à son image et l’homme a créé les groupements à son image » ; cette formule, que l’on doit à Malaurie, illustre l’anthropomorphisme qui entoure la création des personnes morales qui, comme un être physique, naissent, vivent et meurent (P. Malaurie, Nature juridique de la personnalité morale, Defrénois 1990. 1068). Mais cet anthropomorphisme à ses limites, comme l’illustre un arrêt rendu le 20 mai 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Était en cause l’article 370 du code de procédure civile dont on sait qu’il prévoit que l’instance est interrompue, à compter de la notification qui en est faite, par « le décès d’une partie dans les cas où l’action est transmissible ». La question qui se posait était de savoir si la dissolution d’une personne morale assortie d’une transmission universelle de son patrimoine pouvait être assimilée à un « décès » et elle n’est pas nouvelle. L’arrêt commenté posait spécifiquement ce problème à propos de la saisine d’une cour d’appel de renvoi. Alors qu’un tribunal de commerce avait condamné une société au paiement d’une somme d’argent, une cour d’appel avait finalement déclaré la demande indemnitaire irrecevable, ce que son auteur s’était empressé de contester devant la Cour de cassation. À raison puisque la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel et ainsi ressuscité le jugement rendu par le tribunal de commerce. Restait donc à la société, si elle souhaitait échapper à la condamnation indemnitaire contenue dans le jugement, à saisir la cour d’appel de renvoi dans les deux mois suivant la notification de l’arrêt rendu par la Cour de cassation (C. pr. civ., art. 1034). Mais voilà que, quelques jours après la signification de l’arrêt, intervenait la dissolution de la société dont le patrimoine était transféré à une autre société qui l’absorbait. La société absorbante ayant saisi la cour d’appel de renvoi plus de deux mois après la signification de l’arrêt, celle-ci fit valoir, pour justifier son retard, que l’instance avait été interrompue par la dissolution de la société absorbée. Ni la cour d’appel de renvoi ni la Cour de cassation ne firent droit à cette argumentation.

Avant d’en exposer les raisons, il convient de dire un mot de la mise au ban des articles 531 et 532 du code de procédure civile. Selon ces textes, le délai de recours est interrompu en cas de changement de la capacité ou de décès de la partie à laquelle le jugement a été notifié. S’il est vrai que l’acte de saisine de la juridiction de renvoi « contient les mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction » (C. pr. civ., art. 1033), il ne concrétise pas l’exercice d’un recours (Soc. 21 juin 2000, n° 98-42.172 NP ; v. égal. Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-23.638 P, Dalloz actualité, 15 févr. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 291 ). Devant la juridiction de renvoi, il s’agit moins de critiquer une décision que de combler les vides apparus dans celle-ci en raison de la cassation intervenue. L’acte de saisine de la juridiction de renvoi prend place dans le cadre du recours en cassation, mais qui n’emporte pas en lui-même l’exercice d’une voie de recours : l’instance est simplement appelée à se poursuivre devant une autre juridiction (Civ. 2, 19 févr. 2015, n° 13-25.728, Bull. civ. II, n° 36 ; D. 2015. 493 ; 19 juin 2007, n° 06-20.240, Bull. civ. I, n° 238 ; D. 2007. 1971, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2690, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2007. 811, obs. R. Perrot ), un peu comme cela peut être le cas lorsqu’une juridiction se déclare incompétente au profit d’une autre (C. pr. civ., art. 82). Les articles 531 et 532 du code de procédure civile étaient bel et bien hors-jeu et seul l’article 370 du code de procédure civile pouvait donc être mobilisé dans l’instance qui se poursuivait !

Ce qui amène au cœur du problème : celui de savoir si la dissolution de la personne morale résultant de son absorption emporte interruption de l’instance.

Incontestablement, même en cas de transmission universelle de son patrimoine, la société absorbante « acquiert de plein droit, à la date de l’assemblée générale ayant approuvé l’opération de fusion-absorption, la qualité pour poursuivre les instances engagées par la société absorbée » (Soc. 22 sept. 2015, n° 13-25.429, Bull. civ. V, n° 175 ; D. 2015. 1952 ; RDT 2015. 700, obs. F. Guiomard  ; Com. 21 oct. 2008, n° 07-19.102, Bull. civ. IV, n° 174 ; Dalloz actualité, 29 oct. 2008, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 2792, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2009. 351, note V. Thomas ; RTD civ. 2009. 323, obs. B. Fages ; ibid. 362, obs. P. Théry ; ibid. 363, obs. P. Théry  ; Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-20.213, Bull. civ. II, n° 399). La Cour de cassation ne manque pas de le rappeler en l’espèce, si bien que la société absorbante, unique associé de la société absorbée, avait acquis la qualité de partie à la procédure à l’issue du délai de trente jours suivant la publication de la dissolution laissé aux créanciers pour former opposition à la dissolution de la société conformément à l’article 1844-5 du code de commerce (Civ. 3e, 20 juin 2007, n° 06-13.514, Bull. civ. III, n° 112 ; D. 2007. 1797 ). Que la société absorbante acquière la qualité de partie à la procédure « de plein droit » à compter de cette date n’impliquait cependant pas nécessairement que l’instance n’était pas interrompue. Même en l’absence de toute modification dans la situation d’une partie, l’instance peut être interrompue à son profit dans quelques hypothèses : par exemple, en cas de décès de son représentant lorsque la représentation est obligatoire (C. pr. civ., art. 369). L’ennui est que le code de procédure civile ne dit rien du cas d’une dissolution d’une société, d’où la tentative d’assimiler la dissolution à un décès afin de se rentrer dans le giron de l’article 370 du code de procédure civile. Tentative infructueuse puisque la Cour de cassation juge dans l’arrêt commenté que « la dissolution d’une personne morale, même assortie d’une transmission universelle de son patrimoine, qui n’est pas assimilable au décès d’une personne physique, même lorsque l’action est transmissible, ne constitue pas une cause d’interruption de l’instance au sens de l’article 370 du code de procédure civile ». En conséquence, le délai pour saisir la cour d’appel de renvoi avait continué de courir à l’égard de la société absorbante sans être interrompu. Au soutien de cette solution qui rejette toute assimilation de la dissolution à un décès, il est toujours possible d’affirmer que la fusion constitue « une opération programmée » dont la société absorbante ne peut être surprise (P. Théry, art. préc.). Même si cela est vrai, il n’en demeure pas moins quelques aléas. Au cas d’espèce, par exemple, la dissolution de la société absorbée était subordonnée à l’absence de toute opposition d’un éventuel créancier, événement dont la société absorbante ne maîtrise pas la survenance et qui crée une petite période d’incertitude car la société absorbante, qui s’apprête à accomplir un acte de procédure, n’est pas à l’abri d’une opposition de dernière heure qui laisserait finalement à la société absorbée le flambeau procédural ! La situation n’est donc pas si différente de celle des personnes physiques. Cela est si vrai que la Cour de cassation avait pu admettre, dans un arrêt ancien dont la portée reste, il est vrai, assez incertaine, qu’une dissolution interrompt l’instance (Soc. 7 mars 1990, n° 86-44.176, Bull. civ. V, n° 57 ; RTD civ. 1990. 558, obs. R. Perrot). Telle n’est plus l’opinion de la deuxième chambre civile dans l’arrêt commenté : le passage du flambeau d’une société à une autre ne donne pas lieu à un aménagement procédural afin de tenir compte du « temps mort » qui résulte de l’opération de fusion (R. Perrot, art. préc.). Son arrêt a au moins le mérite de mettre un terme, semble-t-il définitif, à ces hésitations…