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Distribution de dividendes hors AGOA : un arrêt déconcertant

Il résulte de la combinaison des articles L. 232-11, alinéa 1er et L. 232-12, alinéa 1er, du code de commerce, lesquels sont impératifs, que le report bénéficiaire d’un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution.

1. Le moins qu’on puisse dire est que l’arrêt rendu le 12 février 2025 par la chambre commerciale a surpris, voire déconcerté.

En substance, et pour la première fois, la Cour de cassation énonce qu’encourt la nullité la délibération de « l’assemblée générale » d’une société par actions simplifiée, qui décide de distribuer des bénéfices prélevés en partie sur le report bénéficiaire de l’exercice précédent, dès lors que cette assemblée n’est pas celle de l’approbation des comptes de l’exercice clos. La solution est clairement conçue comme énonçant un principe général, qui dépasse le cas d’espèce.

2. Quelques mots rapides sur les données factuelles sont nécessaires pour éclairer la portée de l’arrêt.

En avril 2017, l’assemblée générale d’une SAS Midi Plage approuve les comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2016 et décide de placer les bénéfices en « report à nouveau ». Trois semaines après, en mai, l’intégralité des actions de la SAS fait l’objet d’une promesse de cession, promesse qui sera exécutée le 28 juillet suivant. Mais entre-temps (le 3 juillet), une nouvelle assemblée se tient au cours de laquelle est décidée la distribution de dividendes prélevés sur le report à nouveau décidé en avril.

Pour des raisons qui ne sont pas indiquées dans l’arrêt, la mise en paiement des dividendes n’est pas réalisée avant le transfert des actions au cessionnaire. Sans doute ce dernier se fait-il un peu prier avant de verser les sommes, puisqu’en mars 2019 le cédant est contraint d’assigner la SAS en paiement de sa créance de dividendes.

3. Demande rejetée en cause d’appel, les juges condamnant même le cédant à payer à la SAS la somme correspondant aux prélèvements sociaux qu’elle avait dû acquitter en raison de la décision de distribution. En substance, la cour d’appel avait jugé irrégulière la distribution, au motif que le montant des capitaux propres de la société était, avant la décision de distribution des dividendes du 3 juillet 2017, inférieur au montant du capital augmenté des réserves non distribuables.

La décision est cassée au double visa de l’article 1103 du code civil (« les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ») et de l’article L. 235-1 du code de commerce définissant les causes de nullité, en particulier celles touchant les « actes ou délibérations » des sociétés commerciales. Est critiquée la décision de la cour d’appel ayant refusé de faire produire effet à la délibération de la SAS (de distribuer les dividendes), alors que celle-ci, « bien qu’encourant la nullité […], s’imposait tant que la nullité n’en avait pas été prononcée ».

4. Une fois n’est pas coutume ce n’est pas tant la cassation, en elle-même, qui mérite un commentaire.

En effet, la Cour de cassation reprend une solution bien connue en droit des contrats (Civ. 1re, 15 juin 2004, n° 00-16.392 F-D, RTD civ. 2004. 508, obs. J. Mestre et B. Fages ), appliquée en droit de la copropriété (en dernier lieu, Civ. 3e, 28 mai 2020, n° 18-20.368 F-D, AJDI 2021. 56 , obs. N. Le Rudulier ; réaffirmant que les décisions d’assemblées générales des copropriétaires s’imposent aux copropriétaires tant que la nullité n’en a pas été prononcée) et plus récemment étendue aux clauses statutaires des sociétés (Com. 24 oct. 2018, n° 15-27.911 FS-D, Rev. sociétés 2019. 534, note N. Morelli ; énonçant qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, fût-ce pour prévenir un dommage imminent, de prescrire, en vue de sa mise en œuvre par l’assemblée générale d’une société, une règle d’adoption d’une résolution différente de celle prévue par les statuts, celle-ci serait-elle illicite ; 12 oct. 2022, n° 20-16.009 F-D, Rev. sociétés 2023. 155, note E. Guégan ; en ce sens que les délibérations d’une société civile s’imposent aux associés tant que la nullité n’en a pas été prononcée).

Mais précisément, la Cour de cassation ne s’en tient pas là, ce qu’elle aurait pu parfaitement faire dans sa fonction de cour régulatrice. À la faveur d’un obiter dictum, reposant sur la combinaison d’un double fondement textuel (C. com., art. L. 232-11 et L. 232-12), elle vient indiquer en quoi et pourquoi « seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation [le report à nouveau bénéficiaire] et, le cas échéant, sa distribution ».

5. Disons-le immédiatement, cet énoncé aux fondements textuels fragiles nous paraît contestable. Au-delà de l’accrochage incertain aux deux articles qui viennent d’être cités, on peine à en saisir la justification substantielle. Ce qui invite, après mise en examen des fondements invoqués au soutien de la nullité, à tenter d’en explorer la portée.

Fondements de la nullité

6. Les termes du débat sont maintenant connus. Ils ont été très récemment réactivés à la suite d’un autre contentieux similaire par certains côtés à celui traité dans l’arrêt commenté et aux termes duquel la Cour d’appel de Paris a conclu à l’absence de compétence exclusive de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes (qu’on désignera ci-après sous l’acronyme AGOA) pour décider de la distribution du dividende prélevé sur les réserves et/ou le report à nouveau bénéficiaire (Paris, 30 janv. 2025, n° 22/17478, infirmant T. com. Paris, 23 sept. 2022, n° J2021000542, BRDA 7/23. Inf. 21, note R. Mortier ; BJS janv. 2023. 22 note B. Dondero ; B. Dondero, La distribution des bénéfices en dehors de l’assemblée approuvant les comptes de l’exercice, RJDA mai 2023. 13).

Dans l’arrêt du 12 février 2025, il est seulement question de la possibilité de décider, hors AGOA, la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent.

7. L’échafaudage construit par la Haute juridiction, pour conclure négativement à cette question, repose sur l’énoncé d’une première règle considérée comme impérative : le report bénéficiaire d’un exercice serait nécessairement inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant. Il faut entendre ici non pas seulement que le report à nouveau est un élément du bénéfice distribuable, mais aussi que, lorsqu’une assemblée approuvant les comptes de l’exercice a décidé d’affecter en report à nouveau bénéficiaire tout ou partie des bénéfices distribuables, ce report à nouveau serait intangible jusqu’à la prochaine AGOA. Le législateur aurait ainsi, implicitement, attribué une compétence exclusive à l’AGOA pour connaître du sort des sommes portées en report à nouveau.

8. Pour notre part, ce premier élément de raisonnement nous semble assez fragile. Deux raisons à cela.

D’abord, la Cour raisonne comme si l’assemblée générale d’approbation des comptes était un organe légalement défini et doté d’un statut spécifique, à l’image (dans les sociétés anonymes) de l’assemblée générale extraordinaire (C. com., art....

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