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Distribution : office du juge de l’exécution, attention aux excès… de pouvoir

En l’absence de contestation du projet de distribution amiable du prix d’adjudication et après avoir vérifié que tous les créanciers parties à la procédure et le débiteur ont bien été en mesure de faire valoir leurs contestations ou réclamations, le juge de l’exécution ne peut refuser de conférer force exécutoire audit projet sans commettre un excès de pouvoir.

par Frédéric Kiefferle 24 septembre 2020

Cet arrêt, qui fera l’objet d’une large diffusion, est d’importance pour les praticiens de la procédure de saisie immobilière, qu’ils soient magistrats ou avocats.

Les faits sont les suivants : à l’issue de la procédure de saisie immobilière, un créancier poursuivant est déclaré adjudicataire pour le montant de la mise à prix, à défaut d’enchères (C. pr. exéc., art. L. 322-6, dernier al.).

Le créancier poursuivant élabore ensuite un projet de distribution (C. pr. exéc., art. R. 332-2) aux termes duquel y est inséré un paiement partiel du prix par compensation.

Ce projet, notifié aux avocats des parties, créanciers inscrits et débiteur saisi, ne fait l’objet d’aucune contestation dans le délai de quinze jours (C. pr. exéc., art. R. 332-4), de sorte qu’une requête aux fins d’homologation est présentée au juge de l’exécution pour lui voir conférer force exécutoire (C. pr. exéc., art. R. 332-6).

Le juge de l’exécution rejette la requête en homologation du projet de distribution du prix d’adjudication, en retenant que l’adjudicataire, malgré sa qualité de créancier poursuivant, qui s’est volontairement abstenu de payer le prix de la vente et les frais taxés, ne saurait valablement opposer la compensation de sa créance au stade de la distribution, alors même qu’il n’est pas partie à la procédure de distribution.

Le créancier a formé un pourvoi en cassation.

Deux questions sont ici à envisager :

1. Le pourvoi est-il recevable ?

Sur la recevabilité du pourvoi, la Cour de cassation avait déjà répondu dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 18 octobre 2012 (Civ. 2e, 18 oct. 2012, n° 11-20.314, Dalloz actualité, 6 nov. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 2529, obs. G. Antoine Sillard ; ibid. 2013. 1574, obs. A. Leborgne ) en jugeant que l’ordonnance rendue en dernier ressort par laquelle le juge de l’exécution confère, en application de l’article R. 332-6 du code des procédures civiles d’exécution, force exécutoire au projet de distribution était une décision susceptible d’un pourvoi en cassation.

Elle le rappelle dans l’arrêt commenté mais précise les contours de la recevabilité de ce pourvoi, celui-ci n’est recevable que si l’ordonnance tranche une partie du principal ou met fin à l’instance relative à la procédure de saisie immobilière.

Si tel n’est pas le cas, le pourvoi ne sera pas recevable, sauf si un excès de pouvoir se trouve caractérisé.

2. Le juge de l’exécution pouvait-il refuser de conférer force exécutoire à un projet de distribution non contestée ?

La Cour de cassation avait déjà jugé que les débiteurs saisis qui n’avaient pas contesté le projet de distribution dans le délai de quinze jours à compter de la réception de sa notification étaient réputés l’avoir accepté.

Par suite, ils n’étaient pas recevables à élever devant la Cour de cassation un moyen contraire à l’accord qu’ils avaient donné par leur silence (Civ. 2e, 18 oct. 2012, n° 11-20.314, préc.).

Cette ordonnance du juge de l’exécution homologuant le projet de distribution du prix de vente est revêtue de l’autorité de chose jugée, quand bien même elle peut se retrouver fragilisée, même devenue irrévocable en l’absence de recours, lorsque survient une procédure collective et que le prix n’a pas encore été partagé (Com. 17 avr. 2019, n° 17-15.960, Dalloz actualité, 15 mai 2019, obs. J. CouturierRECUEIL/JURIS/2019/1924, note A. Touzain ; RTD com. 2019. 991, obs. A. Martin-Serf >).

Elle marque en outre le terme de l’effet interruptif de la prescription attachée la mise en œuvre de la saisie immobilière (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-21.337, Dalloz actualité, 1er oct. 2018, obs. G. Payan ; D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne ; AJDI 2019. 301 , obs. F. de La Vaissière ), ce qui est logique puisque la saisie immobilière et la distribution constituent les deux phases d’une même procédure (Cass., avis, 16 mai 2008, n° 08-00.002, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. L. Dargent ; D. 2008. 1631 ; ibid. 2009. 1168, obs. A. Leborgne ).

Mais, quel est l’office du juge de l’exécution lorsque la requête en homologation lui est présentée et que le projet de distribution, régulièrement notifié, n’a pas été contesté ?

À cette question, la Cour de cassation répond sans ambiguïté au visa des articles 6 du code civil et R. 332-6 du code des procédures civiles d’exécution : « alors que le projet de distribution n’avait pas été contesté dans le délai imparti et que la faculté, qui y était insérée, d’un paiement partiel du prix de vente par compensation n’était pas contraire à l’ordre public, le juge de l’exécution, qui n’avait pas le pouvoir d’apprécier sur le fond le projet de distribution, a, excédant ses pouvoirs, violé le texte susvisé ».

En statuant de la sorte, la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel relatif à la procédure de distribution.

En effet, étrangement, la pratique a parfois le défaut de rendre complexe ce qui est simple et à tordre la règle de droit jusqu’à la rendre incongrue alors que le bon sens voudrait que l’esprit l’emporte sur la lettre.

D’aucuns ont pu faire une mauvaise lecture des dispositions du premier alinéa de l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution : « À défaut de versement du prix ou de sa consignation et de paiement des frais, la vente est résolue de plein droit ».

Tirant de la lecture de cet alinéa la conclusion que le versement du prix était incontournable, même pour le créancier poursuivant déclaré adjudicataire à défaut d’enchères, se retrouvant à la fois créancier (pour une créance dont le recouvrement avait engendré la poursuite d’une saisie immobilière) et en même temps débiteur de son débiteur pour le prix de vente.

Pourtant, plus que le versement, c’est le paiement qui importe.

Or, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, ne s’opère-t-il pas une compensation qui éteint les deux dettes ? (C. civ., art. 1289 dans sa rédaction antérieure l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).

L’actuel article 1347 du code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, maintient cette conception : « la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».

La compensation opère une forme de paiement simplifié : l’extinction ne se produit qu’à concurrence du montant le plus faible des créances. Lorsque l’une des parties est tenue de plusieurs dettes compensables, la détermination des dettes éteintes suit l’ordre établi par les règles d’imputation des paiements prévues par l’article 1342-10 du code civil (Rép. civ., Compensation, par A.-M. Toledo-Wolfsohn).

C’est la compensation légale.

Or, bien que la rédaction de l’article L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution soit un peu maladroite, il est permis d’affirmer que la présence du seul mot « versement » ne saurait exclure le paiement par compensation, qui est légale et issue des règles du code civil. C’est un paiement.

Retenir une position contraire reviendrait à une solution absurde, en contraignant le créancier poursuivant à verser le prix de vente entre les mains du séquestre ou de la caisse des dépôts et consignations, pour le récupérer ensuite dans la procédure de distribution, alors que le paiement par compensation lui permet de s’affranchir de ce versement en tout ou en partie en fonction du montant de sa créance, laquelle, de surcroît, aura préalablement été vérifiée par le juge de l’exécution dans le jugement d’orientation ayant autorité de chose jugée (Com. 13 sept. 2017, n° 15-28.833, Dalloz actualité, 3 oct. 2017, obs. G. Payan ; D. 2017. 1829 ; ibid. 2018. 1223, obs. A. Leborgne ; AJDI 2018. 295 , obs. F. de La Vaissière ).

Certes, pour pouvoir se prévaloir d’un paiement par compensation, le créancier devra rapporter la preuve qu’il est créancier de premier rang et qu’il n’est pas primé par d’autres créanciers, car, dans ce cas, il sera contraint de verser la partie du prix d’adjudication qui doit revenir aux créanciers qui le priment (créancier de rang antérieur ou des art. 2374, 1°, bis, et 2375, C. civ.) avant de pouvoir se prévaloir d’un paiement par compensation pour le solde.

C’est d’ailleurs ce que stipule l’annexe 1 du Règlement intérieur national des avocats dans le dernier alinéa de son article 15 (ayant valeur normative, JO 7 mars 2019 ; v. Dalloz actualité, 22 mars 2019, obs. F. Kieffer) : « Le créancier poursuivant de premier rang devenu acquéreur, sous réserve des droits des créanciers privilégiés pouvant le primer, aura la faculté, par déclaration au séquestre désigné et aux parties, d’opposer sa créance en compensation légale totale ou partielle du prix, à ses risques et périls, dans les conditions des articles 1347 et suivants du code civil ».

Cette décision du 17 septembre 2017 ne fait donc que rappeler que, si le juge doit appliquer la règle de droit, il doit le faire avec bon sens.

Pourtant, il y a huit ans, dans son commentaire de l’arrêt du 18 octobre 2012 (préc.), Gilles-Antoine Sillard alertait déjà les juges de l’exécution sur ce risque d’excès de pouvoir et indiquant : « Cet arrêt sous-entend l’interdiction, à peine d’encourir la cassation, pour le juge qui ne dispose pas de plus de droits que les parties elles-mêmes, de modifier le texte du projet soumis à son homologation, sauf s’il constate une violation d’une disposition d’ordre public, auquel cas il devra refuser de l’homologuer ».

La Cour de cassation le rappelle à nouveau, notamment en précisant que le paiement partiel du prix de vente par compensation n’est pas contraire à l’ordre public, mais qui a pu penser le contraire ?