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Divorce : ordonnance de non-conciliation et litispendance internationale

« L’exception de litispendance ne peut être invoquée que devant le juge aux affaires familiales avant toute tentative de conciliation. La décision rendue de ce chef est revêtue de l’autorité de chose jugée et l’appel est immédiatement recevable, même si l’ordonnance rendue ne met pas fin à l’instance ».

L’arrêt de la première chambre civile du 15 septembre 2021 retiendra l’attention des praticiens du droit du divorce.

Pour bien appréhender sa portée, il est impératif, d’une part, de préciser qu’il a été prononcé en application du droit antérieur à la réforme du divorce opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et par les textes postérieurs. Il faut, d’autre part, noter que l’affaire était également soumise aux dispositions de la convention franco-tunisienne relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires du 28 juin 1972.

En l’espèce, un époux, ayant les nationalités française et tunisienne, avait saisi en 2010 un juge tunisien d’une demande en divorce. Le divorce avait été prononcé en 2012, par une décision tunisienne devenue irrévocable.

Parallèlement, l’épouse, également française et tunisienne, avait saisi en France un juge aux affaires familiales en 2011 d’une requête en divorce. La difficulté tenant à l’existence d’une procédure engagée en Tunisie avait alors été soulevée par l’époux, par la voie d’une exception de litispendance. L’ordonnance de non-conciliation avait toutefois écarté cette exception ; et l’époux n’avait pas exercé de recours. Le divorce avait ensuite été prononcé.

Devant la cour d’appel, l’époux a tenté de se prévaloir à nouveau de la procédure tunisienne, en opposant à la demande en divorce l’existence du jugement de divorce tunisien, qui bénéficiait à ce stade de l’autorité de chose jugée en Tunisie.

Le débat s’est alors focalisé sur la portée de deux textes, à savoir :

  • l’article 15 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, selon lequel en matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État s’il est satisfait à différentes conditions et en particulier à la condition que la décision ne soit pas contraire à une décision judiciaire rendue dans l’État requis et y ayant l’autorité de la chose jugée ;
  • l’ancien article 1110 du code de procédure civile (dans sa rédaction antérieure au décr. n° 2019-1380 du 17 déc. 2019), qui dispose, à propos de la tentative de conciliation en matière de divorce, qu’« au jour indiqué, le juge statue d’abord, s’il y a lieu, sur la compétence. Il rappelle aux époux les dispositions de l’article 252-4 du code civil ; il procède ensuite à la tentative de conciliation selon les prescriptions des articles 252-1 à 253 du même code (…) ».

Dans ce cadre, la cour d’appel a considéré que par l’ordonnance de non-conciliation, le juge aux affaires familiales n’avait statué qu’à propos de la conciliation, sans préjuger de la compétence en ce qui concerne l’instance au divorce au fond. Elle en a déduit que le jugement tunisien de divorce pouvait être reconnu en France, ce qui conduisait à juger irrecevable la requête de l’épouse devant le juge français.

La décision d’appel est toutefois cassée par l’arrêt du 15 septembre 2021, qui s’appuie sur le principe reproduit en tête de ces observations et dont il faut déduire que le juge qui statue sur le fond du divorce est lié par la teneur de l’ordonnance de non-conciliation ayant statué sur la litispendance.

Cette cassation s’explique aisément au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

Il faut en effet rappeler que selon le droit du divorce antérieur à la réforme, le juge aux affaires familiales pouvait statuer, dans l’ordonnance de non-conciliation, sur une fin de non-recevoir tiré de l’existence d’un jugement de divorce déjà prononcé à l’étranger (Civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-12.476, D. 2007. 1432 ; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton ; ibid. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2007. 433, obs. A. Boiché ; JCP 2007. Act. 242, obs. A. Devers ; ibid. 2007. IV. 2192 ; v. égal. approuvant cette solution, M. Farge, I. Rein-Lescastereyres et R. Nato-Kalfane, in P. Murat [dir.], Droit de la famille 2020-2021, Dalloz Action, n° 511-222) et qu’il pouvait donc connaître d’une exception de litispendance.

Or, sur ce point, la Cour de cassation a déjà approuvé une cour d’appel ayant constaté que l’exception de litispendance soulevée lors de l’audience de conciliation avait été rejetée par une décision définitive d’en avoir déduit que ce rejet faisait obstacle à ce que cette exception soit à nouveau soulevée devant le juge du fond (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-14.506, Dr. fam. 2008. Comm. 114, note M. Farge ; Defrénois 2008. 572, note J. Massip).

La Cour a également retenu – dans une affaire proche de celle jugée le 15 septembre 2021 – que lorsque le juge aux affaires familiales a déclaré le juge français compétent pour connaître du divorce par une décision passée en force de chose jugée, la cour d’appel ne peut plus accueillir une exception de litispendance (Civ. 1re, 12 juill. 2017, n° 16-22.158, D. 2017. 1529 ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; JCP 9 oct. 2017. 1052, note E. Fongaro ; Dr. fam. mars 2018. Comm. 78, obs. M. Farge).

Si la solution consacrée par l’arrêt du 15 septembre 2021 n’est pas surprenante au regard de cette jurisprudence, elle sera sans doute critiquée. Une partie de la doctrine internationaliste s’est en effet prononcée, à propos de cette difficulté, en faveur de la solution opposée, au motif qu’« il semble qu’en raison de son “caractère provisoire”, la décision du juge conciliateur sur la régularité de la décision étrangère ne lie pas le juge saisi au fond » (J.-Cl. Divorce, Divorce prononcé en France, Introduction, Compétence des tribunaux français, Particularités de l’instance, par H. Gaudemet-Tallon, fasc. 420, n° 111). Néanmoins, sans doute faut-il considérer que cette solution, qui a été qualifiée de bon sens (J. Massip, note préc.), s’explique avant tout par une volonté d’efficacité procédurale, en faisant en sorte qu’une fois réglée par l’ordonnance de non-conciliation, la question de la litispendance et donc de la compétence sorte définitivement du champ des débats.

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