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Document antidaté : non-lieu pour une juge d’instruction

Un doyen des juges qui s’auto-désigne dans une information judiciaire, qui omet de remplir le formulaire de désignation d’une juge d’instruction puis qui régularise ce document en l’antidatant commet-il un faux en écriture publique ?

par Pierre-Antoine Souchardle 18 mai 2018

C’est ce que soutient l’avocat pénaliste Thomas Bidnic qui a déposé plainte en 2013 à l’encontre d’une ancienne vice-présidente chargée de l’instruction et doyenne des juges d’instruction du tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre (Hauts-de-Seine), aujourd’hui à Paris. L’affaire a été révélée par Le Parisien, le 7 mai dernier. 

Début mai, la magistrate a bénéficié d’un non-lieu. « L’information n’a pas permis de réunir de charges suffisantes contre quiconque pour matérialiser l’infraction de faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique », relève un juge d’instruction du TGI de Lille où l’affaire avait été dépaysée. La juge avait été placée sous le statut de témoin assisté.

Petit retour en arrière.

Le 10 août 2010, le parquet de Nanterre ouvre une information judiciaire portant sur un trafic de stupéfiant et sollicite de la présidence du TGI la désignation d’un juge d’instruction. La doyenne des juges d’instruction, qui dispose d’une délégation du président du TGI, s’auto-désigne dans ce dossier. Et lance de treize commissions rogatoires.

En décembre 2011, Mohamed F. est mis en examen pour infraction à la législation sur les stupéfiants puis placé en détention provisoire. Son avocat, Me Thomas Bidnic, obtient la copie numérisée du dossier.

Le formulaire de désignation d’un juge d’instruction ne comporte aucun nom. Mais, dans l’original du dossier, la version papier, que l’avocat consulte au greffe de la cour d’appel, le nom de la juge, inscrit à la main, figure sur le formulaire à la date du 10 août 2010, timbre humide officiel, et signature de la magistrate. Or le CD-ROM a été gravé le 9 septembre.

L’avocat dépose alors une requête en nullité, qui sera rejetée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles. Il porte ensuite plainte contre X en avril 2013 pour « faux et usage de faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique ».

L’affaire sera dépaysée à Lille. Entendue le 19 mai 2017, la magistrate livre son explication. « J’indique alors à mon greffier que nous nous saisissons du dossier, elle l’enregistre et garde le dossier pour le côter et pour le numériser. Dans ce cas particulier, les services de police étaient venus pour expliquer le dossier et je pense que j’ai dû être dérangée ce qui fait que je n’ai pas matérialisé à l’instant le document de désignation du juge d’instruction (…) Dès que le dossier est côté et numérisé mon greffier me rend l’original afin que je l’étudie et c’est donc à ce moment que j’ai dû voir que la désignation que j’avais décidé le 10 août n’était pas matérialisée. Et c’est la raison pour laquelle j’ai juste matérialisé la décision que j’avais prise ».

Cette matérialisation serait intervenue, selon elle, juste après la numérisation, vers le 10 septembre. Soit une régularisation postérieure à sa désignation. Pourquoi dès lors, pour la sécurité juridique de son dossier, la magistrate n’a-t-elle pas saisie la chambre de l’instruction pour demander l’annulation des premiers actes ? Ou sollicité le parquet pour engager cette démarche ? La question reste en suspens. À l’époque, il n’y a aucun mis en examen dans le dossier.

Alors, cette régularisation postérieure est-elle un faux, à savoir une altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice, ou la rectification d’un simple oubli ?

« Elle commet un faux pour masquer et dissimuler son oubli », tempête Me Bidnic. « Il y a une altération consciente et indiscutable de la vérité. C’est une forfaiture chimiquement pure », poursuit-il. « Il n’y a aucune conséquence juridique dans la mesure où, en tant que doyenne, elle peut s’auto-désigner pour instruire ce dossier », tempère Me Eric Najsztat, l’avocat de la juge. « Elle régularise postérieurement le document de désignation. Et cela n’a aucune conséquence pour le justiciable », ajoute-t-il.

La magistrate quitte le TGI de Nanterre en janvier 2012. Son successeur renvoie devant le tribunal les mis en examen, dont Mohamed F.. Ce dernier écope de sept ans d’emprisonnement en avril 2013. Mais six mois plus tard, la cour d’appel de Versailles déclare recevable la demande de Thomas Bidnic en inscription de faux portant sur la désignation du juge d’instruction.

« Il est manifeste que le faux allégué est de nature à exercer une influence sur la solution de la présente instance, l’annulation de la pièce qui en résulterait étant de nature à entraîner l’annulation de toute la procédure d’information judiciaire », relève la cour. Elle décide de sursoeir à statuer en attendant la fin de la procédure pour faux en écriture publique et ordonne la remise en liberté de Mohamed F.

Autre juridiction, autre vision. Dans son ordonnance de non-lieu rendu début mai, le magistrat instructeur lillois rappelle que la désignation d’un juge d’instruction, qui relève de l’article 83 du CPP, est un « acte d’administration judiciaire, non juridictionnel », insusceptible de recours.

L’enquête « n’a pas permis de démontrer qu’elle ait pu avoir l’intention d’altérer la vérité dans des conditions de nature à causer un préjudice », conclut-il.

Me Bidnic a fait appel de cette ordonnance de non-lieu et dénonce « un corporatisme à courte vue qui porte atteinte à l’autorité de la justice ». Le prochain épisode se jouera devant la cour d’appel de Douai.