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Article
Dommages causés à un tiers au bail d’habitation : responsabilité extracontractuelle du bailleur
Dommages causés à un tiers au bail d’habitation : responsabilité extracontractuelle du bailleur
Les dommages causés à un tiers au contrat de bail d’habitation occupant légitimement les lieux, qui trouvent leur source dans le défaut d’entretien du bailleur, sont réparés sur le fondement de sa responsabilité extracontractuelle.
par Pierre de Platerle 29 mai 2020
Le statut des baux d’habitation est d’ordre public, nul ne saurait l’ignorer. Mais caractériser ainsi la relation contractuelle qui lie locataire et bailleur ne doit pas faire oublier au praticien que certains agissements sont également source de responsabilité civile extracontractuelle. Plus précisément, les manquements contractuels du bailleur peuvent également mettre en jeu sa responsabilité quasi délictuelle.
Dans les faits, une bailleresse d’habitation condamnée par feu le tribunal d’instance de Roanne suivant jugement rendu le 4 septembre 2018, a interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon. L’appel de la bailleresse était à la fois formé à l’encontre de sa locataire et de son compagnon, qui n’était pas partie à la relation locative, et qui était donc un tiers au contrat (il n’était pas en l’espèce question de cotitularité du bail – mariage ou PACS). Si le quantum des préjudices a été quelque peu modifié par les juges d’appel, qui ont par ailleurs condamné la bailleresse au titre du préjudice moral subi par la locataire, la décision du juge d’instance a été confirmée pour l’essentiel.
De première part, au terme d’un raisonnement classique, la bailleresse a été condamnée pour avoir consenti à bail un logement impropre à l’habitation. Le bien, qui avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral portant interdiction de mise à disposition à des fins d’habitation, était en outre présumé pollué, le logement ayant été aménagé dans un local industriel anciennement exploité par une activité textile polluante.
De seconde part, sur le fondement extracontractuel, la bailleresse a été condamnée pour défaut d’entretien du mur du garage inclus au bail, en ce que son effondrement avait causé d’importants dommages au véhicule qui y était entreposé. Véhicule qui appartenait au compagnon de la locataire.
En l’espèce, c’est bien ce dernier aspect qui nous intéresse, et qui nous amènera à apprécier la qualification de la faute quasi délictuelle tout d’abord, puis la causalité et le dommage, ensuite.
Identité du manquement contractuel et de la faute quasi délictuelle de la bailleresse
Pour la Cour : « […] si le propriétaire des lieux n’était pas lié par un contrat de dépôt et les obligations qui en découlent, il n’en demeure pas moins que la bailleresse a commis une faute quasi délictuelle en laissant une partie du mur de son garage s’effondrer par manque d’entretien sur un véhicule » qui y était entreposé.
Si les fondements de l’action de la locataire et de son compagnon ne font pas l’objet de développements, il est expressément indiqué qu’ils ont ensemble « assigné Madame G. [ndlr : la bailleresse] devant le tribunal d’instance de Roanne pour demander la condamnation de cette dernière à leur verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts suite à la mise à disposition d’un logement structurellement indécent ».
En d’autres termes, le compagnon de la locataire, tiers au contrat de bail, aurait invoqué l’indécence du logement consenti à bail – et donc, la violation par la bailleresse de son obligation contractuelle de délivrer un logement décent – pour obtenir la réparation de son préjudice.
Ainsi, le défaut d’entretien du mur qui incombe à la bailleresse au titre de son obligation locative contractuelle engage sa responsabilité civile extracontractuelle à l’encontre du tiers dont le véhicule a été endommagé par la chute dudit mur (s’agissant des notions de responsabilité quasi délictuelle et de responsabilité extracontractuelle, v. J.-S. Borghetti, Responsabilité des contractants à l’égard des tiers : pas de pitié pour les débiteurs, D. 2020. 416 ). Dans ce contexte, il n’est pas exclu que cette décision illustre le principe de l’identité entre le manquement contractuel et la faute quasi délictuelle. L’apport de cet arrêt pourrait dès lors être rapproché du principe dégagé par l’arrêt d’assemblée plénière rendu le 6 octobre 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Sté Myr’Ho, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister , note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295 , obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain ), récemment réaffirmé par un arrêt rendu le 13 janvier 2020 (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 394, point de vue M. Bacache ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier ), dans le cadre duquel la Cour de cassation a jugé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
Dès lors, le tiers voit sa charge probatoire allégée, à partir du moment où le manquement contractuel est la cause de son dommage. En effet, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Réaffirmation par l’assemblée plénière de la jurisprudence Boot shop / Myr’Ho, CCC 2020, n° 58, obs. L. Leveneur ; v. aussi G. Viney, La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle, D. 2006. 2825 ).
Causalité et dommage : la charge de la preuve incombe au tiers qui s’était vu autoriser à entreposer son véhicule dans le parking loué à la locataire
La Cour poursuit ensuite, déclarant que le véhicule était « légitimement entreposé par la volonté conjuguée de son propriétaire et de la locataire ».
La présence « légitime » du véhicule dans le garage est alors une condition à la réparation du dommage subi par son propriétaire (v. M. Bacache, L’assimilation des fautes délictuelle et contractuelle réaffirmée par l’assemblée plénière, D. 2020. 394 ).
En d’autres termes, la locataire avait accepté que son compagnon entrepose son véhicule dans le garage qu’elle avait loué : il était donc régulièrement utilisé, conformément à sa destination. Les magistrats rappellent alors de manière induite que le locataire d’habitation peut vivre avec qui il souhaite dans le logement loué. Sans doute cette mention est ainsi liée à la protection de la vie privée et familiale des locataires de baux soumis à la loi du 6 juillet 1989, qui ne peuvent se voir reprocher le fait d’héberger des proches. Aussi, la locataire avait le droit de jouir de sa place de parking, en autorisant son compagnon à y entreposer sa voiture. Tel n’aurait sans doute pas été le cas en présence d’une sous-location irrégulière du parking par la locataire, ou d’un prêt du logement en présence d’une clause l’interdisant (Civ. 3e, 10 mars 2010, n° 09-10.412, Bull. civ. III, n° 57 ; D. 2010. 1531, obs. Y. Rouquet , note J.-M. Brigant ; ibid. 2011. 1181, obs. N. Damas ; AJDI 2010. 808 , obs. N. Damas ; RTD civ. 2010. 343, obs. P.-Y. Gautier ).
Dès lors, le tiers devait prouver que les dommages causés à son véhicule résultaient de l’effondrement du mur du parking. Les magistrats ont alors conclu en ce sens, réduisant cependant de manière franche le quantum de l’indemnisation prononcée au profit du propriétaire du véhicule par feu le tribunal d’instance de Roanne, considérant que rien n’indiquait qu’il s’agissait d’un véhicule de collection et que l’indemnisation allouée ne pouvait dès lors être supérieure à sa valeur marchande.
D’un point de vue pratique, nous retiendrons que la relation contractuelle ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité extracontractuelle, que la mise en œuvre de cette responsabilité soit le fait du bailleur contre un occupant (Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-31.461, D. 2019. 7 ; ibid. 1129, obs. N. Damas, spéc. 1138 ; AJDI 2019. 630 , obs. N. Damas ; AJ contrat 2019. 93, obs. K. Magnier-Merran ; RTD civ. 2019. 338, obs. P. Jourdain ; ibid. 360, obs. P.-Y. Gautier ; LEDC févr. 2019. 4, obs. G. Guerlin) ou, comme en l’espèce, de l’occupant légitime contre un bailleur. S’agissant particulièrement du manquement contractuel d’une partie qui cause un dommage à un tiers : la responsabilité extracontractuelle du contractant peut être engagée, sur la base de ce seul manquement. La preuve de la causalité et du dommage incombe néanmoins toujours au tiers qui se prétend lésé.
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