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Donation-partage : l’acceptation par un enfant rend l’acte opposable aux autres

L’acte de donation-partage est valable et opposable aux héritiers dès lors qu’un attributaire, au moins, a accepté son lot. Seule l’action en réduction prévue par l’article 1077-1 du code civil est possible à compter de l’ouverture de la succession du donateur.

par Véronique Mikalef-Toudicle 1 mars 2019

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, les partages d’ascendant ont laissé la place aux libéralités partage puisque le disposant n’est plus nécessairement un ascendant (sur cette question, v. not. Rép. civ., Libéralités-partage, par F. Sauvage, nos 7 s. ; R. Le Guidec, Les libéralités-partages, D. 2006. Chron. 2584 ; A. Tisserand-Martin, La nouvelle dynamique de la donation-partage, AJ fam. 2006. 349 ; D. Vigneau, La nouvelle donation-partage, Dr. fam. 2006. Étude. 46 ; F. Fruleux, Les stratégies fondées sur les nouvelles donations, Actes pratiques et stratégie patrimoniale 2007, n° 1, dossier 1, p. 5 ; L. Leveneur, Les nouveaux visages des libéralités-partages, in J. Foyer, Economica, 2008, p. 637 ; M. Grimaldi, Des donations-partages et des testaments-partages au lendemain de la loi du 23 juin 2006, JCP N 2006. 1320). La donation-partage est l’une des formes possibles de la libéralité-partage et consiste dans « la distribution et le partage de ses biens » selon les termes de l’article 1075 du code civil. Il s’agit d’un acte hybride réalisant tout à la fois un acte de donation entre vifs et un partage anticipé entre héritiers présomptifs.

La donation-partage repose essentiellement sur la volonté du donateur. Il doit gratifier ses héritiers présomptifs de lots qu’il compose comme bon lui semble. Les bénéficiaires ne peuvent qu’accepter ou refuser le lot qui leur est destiné. Dès lors qu’au moins un bénéficiaire accepte, la donation-partage est valable et opposable aux autres héritiers. Ces derniers ne peuvent s’opposer à la réalisation par leur auteur d’une donation-partage. Ils doivent attendre l’ouverture de sa succession pour obtenir, le cas échéant, leur part de réserve conformément à l’article 1077-1 du code civil.

En l’espèce, un homme consent dans un premier acte notarié une donation-partage entre ses quatre enfants. Parmi les biens objets de la libéralité figurent des œuvres d’art dont la liste est annexée à l’acte. La donation-partage porte sur 60 % de cette liste. Chaque enfant reçoit dans son lot 15 % des œuvres d’art. Dans un second acte notarié, le donateur procède au partage effectif des œuvres données à ses enfants. Seuls deux des quatre enfants acceptent leur lot. L’une des filles demande l’annulation de l’acte. Dans un arrêt du 29 novembre 2017, la cour d’appel de Paris rejette sa demande aux motifs que l’acte répond à toutes les exigences légales pour sa validité. La fille forme un pourvoi en cassation fondé sur deux moyens dont seul le premier est examiné.

La fille reproche notamment aux juges du fond de ne pas avoir vérifié que le partage établi par le donateur dans le second acte notarié respectait les limites définies dans le premier, autrement dit, de ne pas avoir vérifié que le donateur avait constitué des lots correspondant à 15 % de la valeur des œuvres d’art. À la lecture du moyen annexé, l’on comprend que l’auteur du pourvoi fait valoir que les lots ne seraient pas égaux en valeur et que le donateur aurait conservé plus de 40 % des œuvres litigieuses. La fille conclut ainsi à la nullité de l’acte de partage en ce qu’il porterait sur des biens indisponibles au donateur au moment du partage puisqu’ils appartenaient à des tiers. La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que la cour d’appel a établi que la donation-partage répondait parfaitement aux conditions de validité exigées par la loi pour sa validité et son opposabilité aux héritiers. La haute juridiction affirme que « le partage d’ascendant se forme dès que l’un des enfants a accepté son lot ». Cet arrêt est l’occasion de rappeler que la donation-partage n’est pas un partage ordinaire mais résulte de la seule volonté du donateur, même formalisée en deux actes distincts. Les héritiers n’ont pas d’autre alternative que d’accepter ou de refuser leur lot. S’ils refusent de concourir à l’acte ou s’ils reçoivent un lot inférieur à leur part de réserve, ils doivent attendre l’ouverture de la succession du donateur pour agir.

La donation-partage est tout à la fois une donation et un partage. Le donateur doit se dépouiller immédiatement et irrévocablement des biens objets de la donation et il doit également procéder à une répartition matérielle de ces biens entre les bénéficiaires. Mais, si ce partage matériel des biens est indispensable à la validité de la donation-partage, l’acte peut résulter de deux actes séparés ainsi que le consacre l’alinéa 2 de l’article 1076 du code civil. Il appartient au disposant de déterminer les biens objets de la donation et de composer les lots entre ses héritiers présomptifs qui prennent alors la qualité de copartagés et non pas de copartageants. La volonté du donateur est prépondérante. Lorsque la donation et le partage anticipé sont réalisés par un acte unique, la qualification de donation-partage ne pose pas de difficultés. Elle peut s’avérer plus délicate en présence d’actes séparés. L’article 1076, alinéa 2, du code civil prévoit cette hypothèse et admet que la donation et le partage résultent « d’actes séparés pourvu que le disposant intervienne aux deux actes ». Tel était le cas en l’espèce. Le premier acte, même intitulé « donation-partage », contenait la donation au profit des enfants et le second procédait au partage selon la volonté du donateur. Une clause du premier acte authentique stipulait d’ailleurs expressément que « le partage à intervenir sera fait sous l’autorité et la médiation du donateur ». Ce second acte était indispensable pour parachever la donation-partage. Sans cet acte, le disposant n’aurait procédé à aucune répartition définitive entre les attributaires et le premier acte authentique aurait été requalifié de donation entre vifs. En effet, ce premier acte, bien qu’intitulé « donation-partage », n’attribuait aux enfants que des quotes-parts indivises. Or, depuis les arrêts de mars et novembre 2013 (Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892, D. 2013. 706 ; ibid. 2014. 1905 ; obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 301, obs. Vernières ; RTD civ. 2013. 424, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 2013. 463, note F. Sauvage ; RLDC 2013/108, n° 5170, obs. M. Nicod ; JCP N 2013. 1162, obs. Garçon ; Dr. fam. 2013. Comm. 91, note Beignier ; 20 nov. 2013, n° 12-25.681 P, D. 2013. 2772 ; AJ fam. 2014. 54, concl. P. Chevalier ; JCP 2014, n° 92, note F. Sauvage ; Defrénois 2013. 1259, note M. Grimaldi ; Dr. fam. 2014, n° 25, obs. M. Nicod ; JCP N 2014, n° 1002, obs. Garçon ; v. égal., C. Brenner et a. Bouquemont, Disposer en indivision par voie de donation-partage. D’un mal doit sortir un bien, JCP N 2015, n° 1140), la Cour de cassation retient que l’acte n’attribuant que des droits indivis aux attributaires ne peut caractériser un véritable partage et doit être requalifié de donation entre vifs. Rien ne permet de douter en l’espèce de la volonté du donateur de procéder à une répartition des biens objets de la donation ; il intervient bien aux deux actes conformément à l’article 1076 précité. Le disposant demeure libre de fixer le nombre de lots. Il n’est nullement tenu de composer autant de lots qu’il a d’héritiers présomptifs. De même, il n’est pas obligé de réaliser des lots d’égale valeur. En cas de dépassement de la quotité disponible, il appartiendra aux cohéritiers du copartagé privilégié d’agir en réduction pour atteinte à leur réserve individuelle. Ainsi, en l’espèce, les arguments de la fille ne pouvaient être retenus. Son père pouvait, et même devait, procéder au partage en répartissant les œuvres d’art entre ses enfants et il n’était pas tenu de composer des lots équivalents en valeur.

Le partage réalisé n’est pas un partage ordinaire. Parce qu’il résulte de la volonté du donateur, il se forme dès l’acceptation par au moins l’un des héritiers présomptifs de son lot. Tel est, sans doute, le principal apport de l’arrêt commenté et permet de répondre à une interrogation qui subsistait en doctrine (v. not. M. Grimaldi, Libéralités, Partage d’ascendants, Litec, 2000, n° 1743 ; Rép. civ., Libéralités-partage, préc., n° 42) : suffit-il qu’un seul héritier accepte son lot pour parachever la donation-partage ou en faut-il au moins deux ? Les attributaires n’ont d’autre alternative que d’accepter ou de refuser le lot composé par le donateur à leur intention. Cependant, le refus de certains ne suffit pas à entacher la validité de l’acte. Il suffit qu’au moins l’un des bénéficiaires accepte son lot pour que la donation-partage soit opposable aux autres héritiers. L’exigence imposée par le code de 1804 de la présence de tous les héritiers à l’acte de donation-partage n’a cessé d’être atténuée au fil des ans. Tout d’abord, la loi du 7 février 1938 amoindrit cette exigence puisque selon les termes de l’ancien article 1077 du code civil, la nullité n’était prononcée que « […] s’il n’existe pas au moment de l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour constituer la part des héritiers qui n’y ont pas reçu leur lot […] ». Ensuite, la loi du 3 juillet 1971 supprime purement et simplement cette cause de nullité en reconnaissant au donateur la possibilité de ne pas allotir tous ses héritiers dans la donation-partage, solution maintenue par la loi du 23 juin 2006. L’héritier omis, soit parce qu’il n’était pas conçu, soit parce qu’il n’était pas appelé, ou encore parce qu’il a refusé le lot qui lui était destiné, ne peut pas remettre en cause la validité de la donation-partage. S’il n’était pas conçu, l’article 1077-2, alinéa 4, du code civil dispose que l’héritier peut agir en réduction pour composer ou compléter sa part héréditaire. L’héritier conçu au moment de l’acte ne peut demander la réduction que s’il a la qualité d’héritier réservataire et si les biens laissés par le défunt ne suffisent pas à le remplir de ses droits à réserve en application de l’article 1077-1 du code civil. C’est ainsi qu’il faut comprendre la décision commentée. La fille du donateur n’avait d’autre choix que d’accepter ou de refuser le lot composé par son père. Dès lors que deux de ses frère et sœurs ont accepté leurs lots respectifs, l’acte de donation-partage est parfaitement valable et opposable. Son refus est sans effet sur la validité et l’opposabilité de l’acte. Le moment venu, si l’actif de la succession du donateur ne suffit pas à composer sa part de réserve, elle pourra agir en réduction sur le fondement de l’article 1077-1 du code civil. Le refus d’un enfant de participer à une donation-partage n’empêche pas son auteur de quand même réaliser cet acte. La primauté de la volonté du donateur est ainsi consacrée. Il doit demeurer libre d’anticiper le partage des biens de sa succession même en présence d’héritiers récalcitrants. Il faut, cependant, noter qu’en application de l’article 1078 du code civil, pour l’établissement de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, l’évaluation des biens sera faite conformément au droit commun, c’est-à-dire au jour de l’ouverture de la succession et non pas au jour de la donation-partage puisque tous les enfants n’auront pas accepté expressément leur lot. La donation-partage perd ainsi, sans doute, l’un de ses principaux avantages surtout en présence d’œuvres d’art dont la valeur est susceptible d’évolution.