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Double publicité d’un acte administratif : revirement de jurisprudence sur le point de départ du délai de recours

En cas de double mesure de publicité d’un acte administratif, le délai contentieux court désormais à compter de la première des deux mesures.

par Thomas Bigotle 8 avril 2020

Le syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose sollicitait, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA), la suspension de l’exécution d’un arrêté du 6 avril 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a interdit la circulation sur la route forestière de Moreau, section de Douville, sur le territoire de la commune de Goyave.

Le bien-fondé de la requête requête étant conditionnée à la recevabilité du recours au fond qu’elle accompagne, le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe a, après avoir constaté la tardiveté du recours en excès de pouvoir, déclaré irrecevable le recours en référé.

Saisi du pourvoi en cassation, le Conseil d’État commence par annuler pour erreur de droit l’ordonnance du juge des référés, en rappelant sa jurisprudence selon laquelle en cas d’irrecevabilité de la demande d’annulation, il appartient au juge de rejeter la demande de suspension comme non-fondée et non pas comme elle-même irrecevable (CE 1er mars 2004, n° 258505, Socquet-Juglard, Lebon ; RDI 2004. 220, obs. P. Soler-Couteaux ). Réglant l’affaire au fond, il revire deux de ses anciennes jurisprudences.

Force de la première mesure de publicité

En l’espèce, le Conseil d’État est amené à trancher la question, qui s’avère délicate en l’espèce, du point de départ du délai de recours de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du CJA. En effet, si la décision attaquée du 6 avril 2019 a été publiée dès le 8 avril dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe, elle n’a été affichée à la mairie de la commune concernée que le 29 avril 2019, soit à une date sensiblement différente. Le recours en annulation a été quant à lui enregistré au tribunal le 13 août 2019, après l’exercice d’un premier recours administratif adressé au préfet le 18 juin 2019.

La question n’est pas nouvelle, puisqu’il résulte d’une jurisprudence ancienne qu’en cas de double publicité prévue par les textes réglementaires ou législatifs, le délai court à compter du jour de la plus tardive des mesures de publicité (CE 18 févr. 1976, n° 96293). Cette solution, qui se veut protectrice des intérêts contentieux des administrés, a été déclinée notamment en matière d’urbanisme commercial (CE 24 juill. 1987, n° 49016, Société Guichard Perrachon et compagnie, Lebon  ; 28 janv. 1998, n° 186124, Association des commerçants, artisans et industriels du pays d’Argonne champenoise et Depond, Lebon ; D. 1998. 62 ; 17 mars 2004, n° 227000, SARL Loisirs 2000, Lebon ) et d’occupation des sols (CE 28 juin 1996, n° 160434).

Le Conseil d’État revient sur cette jurisprudence, et juge ici que la publication sur le recueil des actes administratifs de la préfecture, « alors même que l’arrêté en litige n’a pas été affiché à la mairie […], a fait courir à l’égard du syndicat requérant le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du code de justice administrative ». Ainsi désormais, le délai court à compter de la date de la première mesure de publicité.

La mise en ligne sur le recueil des actes administratifs est désormais suffisante

En matière de décisions préfectorales, aucune disposition réglementaire ou législative ne prévoit de modalités spécifiques de publicité. La nature ayant horreur du vide, le Conseil d’État a affirmé en 2012 qu’en l’absence de telles normes, les actes réglementaires sont opposables aux tiers à compter de leur mise en ligne par l’administration, à condition que cette mise en ligne s’opère sur un support présentant des garanties suffisantes de fiabilité (CE, 24 févr. 2012, req. n° 336669).

Seulement jusqu’alors, le Conseil d’État jugeait que la seule publication d’un arrêté préfectoral au recueil des actes administratifs (RAA) n’était pas de nature à lui seul à faire courir le délai de recours contentieux vis-à-vis des tiers, dans la mesure où le RAA ne peut pas, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par les tiers (CE 27 oct. 1972, n° 80329, Depuydt, Lebon ; 24 oct. 1984, n° 36531, Association des amis des sites de la baie de Bandol, Lebon ; 4 août 2006, n° 278515, Bergeron, AJDA 2006. 2139 ).

Le Conseil d’État abandonne cette deuxième jurisprudence, et juge que la publication des actes préfectoraux au recueil des actes administratifs suffit désormais pour les rendre opposables, à condition que cette mise en ligne intervienne dans des conditions garantissant non seulement la fiabilité, mais aussi « la date de la mise en ligne de tout nouvel acte ». La juridiction harmonise ainsi les conditions de mise en ligne des actes administratifs des préfectures avec celles, récemment dégagées, des décisions des autorités départementales (CE 3 déc. 2018, n° 409667, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, Lebon ; AJDA 2019. 706 , note L. Janicot ; ibid. 2018. 2367 ; AJCT 2019. 140, obs. M.-C. Rouault ) et des circulaires ministérielles (CE 20 mars 2019, n° 401774, Lebon ; AJDA 2019. 661 ).