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Droit au procès équitable : les enseignements de la CJUE sur le mandat d’arrêt européen

La Cour de justice de l’Union européenne s’est récemment prononcée dans le cadre d’une question préjudicielle concernant le contrôle porté par l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

par Pauline Dufourqle 7 septembre 2018

L’examen des conditions relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen fait l’objet d’un important contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ces derniers mois.

Les précisions concernant le refus de la remise d’une personne visée par un mandat d’arrêt européen

Par un arrêt du 25 juillet 2018, la grande chambre de la CJUE a indiqué qu’un État membre peut ne pas exécuter un mandat d’arrêt européen en raison des défaillances systémiques et généralisées du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission.

L’étude des faits en question se révèle instructive. Durant les années 2012 et 2013, les juridictions polonaises ont émis trois mandats d’arrêt européens à l’encontre d’un ressortissant polonais, en vue de son arrestation et sa remise auprès desdites juridictions aux fins de l’exercice de l’action pénale pour des faits de trafic de produits stupéfiants. L’intéressé était interpellé en 2017 en Irlande et renvoyé devant la Hight Court d’Irlande. Il contestait sa remise aux autorités judiciaires polonaises et était incarcéré dans l’attente de la décision relative à sa remise.

Dans le cadre de son opposition, il faisait valoir que cette remise l’exposerait à un risque réel de déni de justice en violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon l’intéressé, les récentes réformes législatives du système judiciaire en Pologne le priveraient de son droit à un procès équitable et compromettraient ainsi la base de la confiance mutuelle entre l’autorité d’émission du mandat d’arrêt européen et l’autorité d’exécution de ce mandat, ce qui conduirait à remettre en cause le fonctionnement du mécanisme du mandat d’arrêt européen.

Au soutien de son raisonnement, il mentionnait en particulier une proposition motivée de la Commission européenne du 20 décembre 2017, laquelle faisait notamment état de « l’absence de contrôle constitutionnel indépendant et légitime » et de « risques d’atteinte à l’indépendance des juridictions de droit commun ».

La juridiction de renvoi relevait que les pouvoirs « larges et incontrôlés » du système judiciaire en République de Pologne étaient contraires à ceux octroyés dans un État démocratique régi par le principe de l’État de droit, qu’il existerait un risque réel que l’intéressé subisse l’arbitraire au cours de son procès dans l’État membre d’émission. Dans ces circonstances, la remise de l’intéressé conduirait à une violation de son droit à un procès équitable et devrait en conséquence être refusée conformément aux prévisions de la décision-cadre du 13 juin 2002 (décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres).

C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer afin d’obtenir l’interprétation de la CJUE. Il s’agissait de savoir si un risque réel de violation du droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du droit d’une personne à un procès équitable est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à un mandat d’arrêt européen.

La CJUE, au terme de cette décision, répondait par la positive en invitant les États membres à se pencher sur la situation personnelle de l’intéressé, la nature de l’infraction pour laquelle il est poursuivi et au contexte factuel, qui sont à la base du mandat d’arrêt européen, pour vérifier s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne courra un tel risque en cas de remise à l’État membre d’émission.

Elle ajoutait au surplus que l’autorité judiciaire d’exécution se devait de solliciter, auprès de l’autorité judiciaire d’émission, toute information complémentaire qu’elle juge nécessaire pour l’évaluation de l’existence d’un tel risque.

Une décision s’inscrivant dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

Cette décision fait écho à un arrêt rendu le même jour au sujet de l’examen des conditions de détention de l’État membre d’émission dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. C’est ainsi que les autorités judiciaires d’exécution doivent vérifier les conditions concrètes et précises de détention de la personne concernée. Parallèlement, l’autorité judiciaire d’émission doit renseigner son homologue et garantir que la personne concernée ne subira pas un traitement inhumain ou dégradant.

La CJUE s’était déjà prononcée sur ce point en 2016 dans un arrêt Aranyosi et Caldararu, au terme duquel la Cour de justice avait jugé, dans le cas d’une remise susceptible de conduire à une violation de l’article 3 de la Cour européenne des droits de l’homme, que, si l’autorité judiciaire d’exécution constate des défaillances systémiques ou généralisées dans les protections de l’État membre d’émission, cette autorité doit apprécier, « de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra un risqué réel d’être soumise dans cet État membre à un traitement inhumain et dégradant » (CJUE 5 avr. 2016, aff. C-404/15 et C-659/15, AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 786 ; AJ pénal 2016. 395, obs. M.-E. Boursier ; RTD eur. 2016. 793, obs. M. Benlolo-Carabot ; ibid. 2017. 360, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 363, obs. F. Benoît-Rohmer ).

Une telle solution est empreinte de pragmatisme et tient aux particularités du mandat d’arrêt européen. Le mandat d’arrêt européen constitue en droit pénal la première concrétisation du principe de reconnaissance mutuelle qui constitue la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire. Ce mécanisme repose dès lors sur un degré de confiance élevé entre les États membres, confiance qui peut être suspendue en cas de violation grave et persistante des principes énoncés par le droit de l’Union européenne.

La CJUE reprend parfaitement cette idée dans ses arrêts Tupikas et Poltorak : « tant que le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » (CJUE 10 août 2017, n° C-270/17, Tupikas ; 10 nov. 2016, n° C-452/16, Poltorak).

Le sort des mandats d’arrêt européen à la suite du Brexit

Plus récemment encore s’est posée la question de savoir si, en raison de la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne et des incertitudes quant aux accords applicables à l’issue du Brexit, l’État membre d’exécution devait refuser la remise au Royaume-Uni d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen (v. not. Dalloz actualité, 28 mai 2018, obs. D. Goez isset(node/190517) ? node/190517 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190517).

Dans cette affaire, deux mandats d’arrêt européens avaient été émis par le Royaume-Uni à l’encontre d’une personne aux fins d’exercer des poursuites pénales. L’intéressé avait été arrêté en Irlande sur la base de ces mandats d’arrêt européens et avait été incarcéré. Il s’opposait à sa remise au Royaume-Uni, en invoquant au soutien de son opposition le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Les juridictions irlandaises amenées à statuer sur cette question sollicitaient la CJUE afin qu’elle précise si, « à la lumière du fait que le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié son intention de se retirer de l’Union et des incertitudes quant aux accords qui seront en vigueur après le retrait du Royaume-Uni, elle est tenue de refuser la remise au Royaume-Uni d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et dont la remise serait par ailleurs obligatoire ».

L’avocat général, M. Maciej Szpunar, déclarait le 7 août 2018 que, tant que le Royaume-Uni est membre de l’Union, le droit de l’Union s’applique, à l’instar des dispositions de la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen et l’obligation de procéder à la remise. Il précisait en outre la règle selon laquelle l’exécution d’un mandat d’arrêt européen constitue le principe et le refus d’exécution doit être apprécié comme une exception, cette dernière devant faire l’objet d’une interprétation stricte. Se livrant à une interprétation in concreto des faits, l’avocat général constatait l’absence de motifs de non-exécution obligatoire ou facultative du mandat d’arrêt européen dans cette affaire.

Plus intéressant encore, il indiquait « qu’il n’existe pas d’indice tangible que les circonstances politiques ayant prévalu avant la notification du retrait, celles qui l’ont provoqué ou celles qui régneront après soient telles que le contenu matériel de la décision-cadre et des droits fondamentaux consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne soit plus respectés. Il accueille l’argument selon lequel le Royaume-Uni a décidé de se retirer de l’Union et non de s’affranchir de l’État de droit ou de la protection des droits fondamentaux ». Selon lui, « il n’y a pas lieu de douter de la persistance des engagements du Royaume-Uni en matière de droits fondamentaux ».

Il suggérait ainsi que, « lors de l’exécution du mandat d’arrêt européen, les autorités judiciaires de l’État d’exécution sont en droit de présumer que l’État membre d’émission se conforme au contenu matériel de la décision-cadre, en ce compris pour des situations post-remise après le retrait de l’Union dudit État membre d’émission. Une telle présomption est permise si d’autres instruments internationaux continuent à être applicables à l’État membre après son retrait de l’Union. Ce n’est qu’en présence de preuves concrètes du contraire que les autorités judiciaires d’un État membre peuvent décider de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen » (CJUE, communiqué de presse n° 124/18, 7 août 2018).

La Cour de justice de l’Union européenne, interrogée sur cette question, sera amenée à se prononcer prochainement.