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Le droit d’asile et les aléas de la procédure administrative

Le Conseil d’État a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 531-16 du CESEDA qui ne prévoit pas de dérogation à la possibilité ouverte à l’OFPRA de mener l’entretien individuel avec le demandeur d’asile sans la présence d’un avocat, dans le cas où l’avocat d’un demandeur incarcéré et dont l’entretien se déroule par visioconférence n’a pu se rendre au centre pénitentiaire pour un motif indépendant de la volonté du demandeur.

par Dhiego Telesle 28 septembre 2022

Alors que le droit d’asile est reconnu comme un droit fondamental, la procédure administrative devant les autorités compétentes peut se dérouler sans la présence d’un avocat. Un tel choix pourrait sembler incohérent, mais dans la mesure où une décision défavorable ne saurait se confondre avec une sanction, le Conseil d’État reconnaît la légalité de cette démarche sans soulever des réserves.

En juillet 2020, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rejette la demande d’asile de M. A. B. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), saisie, refuse d’annuler cette décision. Dès lors, M. A. B. demande au Conseil d’État d’annuler la décision de l’OFPRA et de régler l’affaire au fond en lui reconnaissant le statut de réfugié, ou à défaut, le bénéfice de la protection dite subsidiaire.

La complexité d’application du droit d’asile en France

Le droit d’asile est reconnu comme un droit fondamental en France, mais son application s’avère souvent complexe car les sources de ce droit sont très éparses. En effet, le droit d’asile est protégé par le préambule de la Constitution de 1946, précisé par l’article 53-1 du texte de 1958 (v. par ex., Cons. const. 13 avr. 1993 où le Conseil constitutionnel qualifie le droit d’asile « d’exigence constitutionnelle »), mais il est aussi protégé par des conventions internationales, comme la Convention de Genève du 28 février 1951, ou encore de nombreuses directives européennes, telles que la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 évoquée par la défense dans l’arrêt du 16 septembre. À cet édifice juridique labyrinthique, il faut aussi citer les dispositions qu’on trouve dans le livre VII du code de l’entrée et du séjour du droit des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

On retrouve justement toute cette complexité dans la requête de M. A. B. En effet, par un mémoire distinct à l’appui de son pourvoi, le requérant conteste la légalité de l’article L. 531-16 du CESEDA, qui indique que l’absence d’un avocat ou d’un représentant d’une association n’empêche pas l’OFPRA de mener un entretien avec le demandeur. Or, le requérant considère que l’absence d’un avocat est contraire aux droits de la défense et au droit à un recours effectif. Il demande donc au Conseil d’État de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionalité portant sur l’article L. 531-16. Le ministre de l’Intérieur et l’OFPRA soutenaient en défense que les dispositions contestées du premier alinéa de cet article se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises du troisième alinéa du point 4 de l’article 23 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Toutefois, l’article 5 de la directive 2013/32/UE indique que les États « peuvent prévoir ou maintenir des procédures plus favorables en ce qui concerne les procédures d’octroi ou de retrait de la protection internationale ». Cette disposition rend donc l’État français apte à interpréter cette directive dans un sens plus favorable. Mais pour autant, le Conseil d’État estime que la question ne présente pas un caractère nouveau ou sérieux, car la reconnaissance de la qualité de refugié dépend d’une procédure administrative et non d’une procédure juridictionnelle. Dans ce cas, la décision de refus de l’OFPRA « ne saurait être assimilée à une sanction ».

Selon le raisonnement de la Haute juridiction administrative, la présence d’un avocat ne serait requise que dans un contexte où les décisions de l’autorité publique auraient « le caractère d’une punition ». Ainsi, l’article L. 531-16 est tout à fait dans la lignée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui justifie le refus de transmission de la QPC. Il se pose tout de même la question de savoir comment le refus de reconnaissance du statut de refugié est vécu par les nombreux demandeurs. Certes, il ne s’agit pas d’une punition, mais plutôt d’une décision défavorable. Mais cette décision a un impact non négligeable sur la vie des personnes impliquées. Pour autant, il est difficile de ne pas envisager le caractère pragmatique de cette décision. Dans un contexte où l’application du droit d’asile est déjà complexe, le Conseil d’État n’a sans doute pas voulu s’immiscer dans la procédure menée par l’OFPRA, où l’absence d’avocat peut être perçue comme une forme d’injustice, mais où le nombre croissant de dossiers exige de plus en plus un examen rapide et efficace des dossiers. Dans ce contexte le moindre report serait préjudiciable à plusieurs demandeurs en attente, donc la présence d’un avocat ne semble pas indispensable.

La complexité du travail de la Cour nationale du droit d’asile

La suite de la décision est assez laconique. Le requérant conteste la décision de la CNDA, en affirmant notamment que celle-ci a dénaturé ses écritures et les pièces de son dossier et qu’elle a commis une erreur de droit en suivant la décision de l’OFPRA. Or, le Conseil d’État rappelle d’abord qu’aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, les pourvois en cassation peuvent être refusés si les moyens invoqués ne sont pas sérieux. Il décide donc de ne pas admettre la question prioritaire de constitutionnalité de M. A. B. en écartant tous les moyens invoqués, sans aucune motivation supplémentaire.

Il est possible que le Conseil d’État ne veuille pas s’immiscer dans la procédure de la CNDA, qui est une juridiction administrative spécialisée, mais compte tenu des faits et des erreurs en question, on peut a minima s’étonner de l’absence d’argumentation de la réponse. Le Conseil d’État est non seulement compétent pour contrôler les décisions de la CNDA, mais il est en outre gardien du droit d’asile en tant que liberté fondamentale (CE 12 janv. 2001, n° 229039, Mme Hyacinthe, Lebon ; AJDA 2001. 589 , note J. Morri et S. Slama ; D. 2001. 526, et les obs. ). Si cette réponse très succincte peut surprendre, force est de constater que le travail de la CNDA est complexe. La difficulté d’apporter des preuves concernant les risques encourus dans leur pays d’origine ne fait que compliquer une procédure déjà éprouvante, où effectivement une décision défavorable est vécue comme une véritable sanction. Si certains regrettent le caractère flou de cette réponse, peut-être que la principale erreur du Conseil d’État n’est pas une erreur de fond, mais plutôt une erreur de forme. Sa décision aurait sans doute été mieux accueillie s’il avait été un peu plus prolixe dans la motivation de son refus.