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Droit de poursuite des créanciers d’un époux commun en bien et domicile conjugal : irrecevabilité de la QPC

L’article 1413 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, a pour effet de permettre au créancier de l’un des époux de recouvrer sa créance sur les biens communs. S’il expose ainsi le conjoint de l’époux débiteur à supporter, à hauteur de ses droits dans la communauté, la charge des dettes souscrites par son conjoint, il n’en résulte pas pour autant l’engagement de sa responsabilité.

Pour le meilleur et pour le pire. Ces vœux que beaucoup d’époux échangent les yeux dans les yeux sans en mesurer la portée trouvent de nombreuses illustrations. Le mariage est non seulement un acte d’amour mais un engagement juridique aux lourdes conséquences que l’on ne peut choisir à la carte. Si l’on fait le choix d’un régime communautaire, on s’expose à supporter les conséquences de l’inconséquence de son conjoint. Le législateur a pris soin de les limiter dans une certaine mesure mais cela fait partie des conséquences attendues du mariage.

Dans l’affaire qui nous occupe, un couple est marié sous le régime de la communauté légale. Il se trouve que le mari n’avait pas satisfait à ses obligations fiscales dans le cadre de sa vie professionnelle et que les services fiscaux se sont logiquement rappelés à son bon souvenir. Ainsi, le 6 octobre 2004, le comptable du service des impôts fait délivrer un commandement de saisie portant sur l’immeuble commun où le couple avait établi son domicile conjugal. Par la suite, le comptable du service des impôts des entreprises a été subrogé dans les droits du créancier poursuivant. Le 18 mars 2010, la chambre des criées du Tribunal de grande instance de Tarascon a fixé la date de vente sur adjudication, renouvelé les effets du commandement de saisie et décidé que les époux étaient irrecevables à contester la déclaration de subrogation du comptable du service des impôts des entreprises. La vente est alors reportée en raison de la contestation des titres exécutoire devant la juridiction administrative. L’affaire est à nouveau appelée devant le juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Tarascon qui refuse la demande de mainlevée de la saisie immobilière des époux sur le fondement d’une déclaration d’insaisissabilité opérée devant notaire le 16 novembre 2007. La cour d’appel (Aix-en-Provence, 15e ch. A, 16 févr. 2017, n° 16/11894) confirme le jugement. L’affaire fait alors l’objet d’un pourvoi rejeté le 11 avril 2019 par la seconde chambre civile (Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 17-26.651, AJDI 2019. 467 ). Après différents reports de vente et renvois de l’affaire, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Tarascon, par une décision du 9 juin 2021, ordonne la vente par adjudication du bien objet de la saisie et adjuge le bien. Par ailleurs, il déclare irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La cour d’appel (Aix-en-Provence, 5e ch. A, 27 oct. 2022, n° 21/09187) déclare irrecevable la QPC des époux et confirme la décision d’adjudication du bien commun où est sis le domicile conjugal des époux. Ces derniers forment alors à nouveau un pourvoi et déposent une QPC par mémoire distinct et motivé. C’est sur la recevabilité de cette QPC que la première chambre civile de la Cour de cassation est appelée à trancher.

Les parties soumettent la QPC en ces termes :

« L’article 1413 du code civil est-il contraire à la Constitution, et spécialement au droit pour toute personne de disposer d’un logement décent et au principe de responsabilité personnelle, tels qu’ils sont protégés par les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 et par l’article 4 de la Déclaration de 1789, en ce qu’il permet à un époux de voir son bien immobilier à usage d’habitation saisi et vendu dans le cadre des poursuites engagées par les créanciers de l’autre époux ? »

La Cour se pose la question de la recevabilité de cette question. L’article 1413 du code civil dispose que « Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu ». En vertu de ce texte, les biens communs peuvent être engagés du fait de l’activité d’un seul des membres du couple et c’est ce texte que les requérants entendaient écarter. Ce texte législatif n’ayant jamais fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, la question remplit en partie les conditions posées aux articles 23-2 et 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiés par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009.

Pourtant, la Cour de cassation va considérer qu’il n’y a pas lieu à renvoyer cette question devant le Conseil constitutionnel comme le permet l’article 61-1 de la Constitution. La première chambre civile soulève que la question posée n’est pas nouvelle puisqu’elle ne porte pas « sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application » (§ 10). Mais c’est sur le caractère sérieux de la QPC que la Cour de cassation va écarter la demande des époux (§§ 11-14). Deux fondements constitutionnels étaient alors visés dans le mémoire au soutien de la QPC.

Exclusion de la QPC fondée sur l’objectif de valeur constitutionnel de logement décent

En premier lieu, les époux invoquent le droit pour toute personne de disposer d’un logement décent. Selon leur argumentaire, permettre la saisie du domicile conjugal (alors commun) sur le fondement de l’article 1413 du code civil porterait atteinte au droit de disposer d’un logement décent. Ce « droit » n’a pas été reconnu par le Conseil constitutionnel en tant que droit mais uniquement en tant qu’objectif de valeur constitutionnelle résultant des alinéas 10 et 11 du Préambule de la...

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