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Droit de retour légal des collatéraux privilégiés et conjoint survivant : précisions

Le droit de retour légal des collatéraux privilégiés, qui s’applique aux biens reçus par le défunt à charge de soulte, n’est pas subordonné au versement d’une indemnité à la succession ordinaire, que ce soit au titre de la soulte payée par le défunt ou des améliorations qu’il a apportées aux biens.

par Nathalie Peterkale 15 mars 2018

L’arrêt du 28 février 2018 apporte d’importantes précisions sur la mise en œuvre du droit de retour légal des collatéraux privilégiés en présence du conjoint survivant. Après avoir décidé que l’article 757-3 du code civil ne joue au profit des collatéraux privilégiés que lorsque ces derniers se trouvent face au conjoint survivant du de cujus et non de son partenaire de Pacs gratifié d’un legs universel (Civ. 1re, 28 janv. 2015, n° 14-20.587, AJ fam. 2015. 178, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2015. 363, obs. J. Hauser ; ibid. 446, obs. M. Grimaldi ; Dr. fam. 2015. n° 76, note M. Nicod), la Haute juridiction définit aujourd’hui les contours de ce droit.

En l’espèce, un homme s’était vu attribué, par deux actes notariés de partage, divers biens immobiliers dépendant des successions de ses père et mère, moyennant le versement d’une soulte à ses trois sœurs et à son frère. À son décès, son épouse a contesté le droit de retour légal de ces dernières et des enfants de son beau-frère prédécédé. Déboutée en appel, elle invoquait un double argument devant la Cour de cassation. Elle faisait valoir, d’abord, que le de cujus avait versé une soulte à la succession afin d’obtenir l’attribution en nature de biens excédant sa part successorale et que ces derniers, distincts de la quote-part indivise reçue par le de cujus dans la succession de ses parents, n’étaient pas soumis au droit de retour de l’article 757-3 puis, à titre subsidiaire, le bénéfice d’une indemnité à son profit à raison de la soulte payée par son mari et des améliorations qu’il avait apportées aux biens. De manière parfaitement orthodoxe, l’arrêt rejette ces prétentions. Il fournit ainsi l’occasion de revenir sur les conditions du droit de retour légal quant aux biens et sur sa nature.

Les conditions de l’article 757-3 quant aux biens traduisent le fondement du droit de retour légal des collatéraux privilégiés. Reposant sur le souci d’assurer la conservation en nature des biens dans la famille par le sang, le droit de retour implique que les biens reçus par le défunt de ses père et mère, se retrouvent en nature dans sa succession à l’ouverture de celle-ci. Il est vrai que la finalité du texte peut être compromise toutes les fois que les biens constituant l’assiette du droit de retour ne sont pas aisément partageables en nature entre le conjoint et les collatéraux privilégiés et que les ressources de l’attribution préférentielle ne peuvent être exploitées. Il n’en demeure pas moins que pareille finalité conduit à étendre ce droit à l’ensemble des biens reçus à titre gratuit de ses parents par le de cujus, dès lors qu’ils figurent en nature dans la succession et que les bénéficiaires du droit sont issus du parent à l’origine de la transmission dont a bénéficié le de cujus. Ainsi que le souligne la Haute juridiction, l’article 757-3 « n’opèr(e) aucune distinction selon que les biens reçus par le défunt l’ont été ou non à charge de soulte ». Outre qu’elle méconnaîtrait la lettre et l’esprit du texte, une telle distinction conduirait à fragiliser encore davantage l’objectif qu’il poursuivit.

L’arrêt fait ensuite rebondir, en creux, le débat relatif à la nature du droit de retour des collatéraux privilégiés. En effet, pour rejeter l’argument du pourvoi tendant au versement au profit du conjoint survivant, d’une indemnité à raison de la soulte payée par le défunt et des améliorations qu’il avait apportées aux biens, la Cour de cassation retient « que l’article 757-3 du code civil ne subordonne pas l’exercice du droit de retour des collatéraux privilégiés sur des biens reçus par le défunt par succession de ses ascendants, après attribution contre paiement d’une soulte lors du partage, au versement d’une indemnité à la succession ordinaire » puis que « le droit de retour prévu à l’article 757-3 du code civil a pour objet la moitié des biens en nature tels qu’ils se retrouvent dans la succession au jour de son ouverture ; qu’à défaut de disposition en ce sens, les améliorations apportées aux biens par le défunt n’ouvrent pas droit à indemnisation au bénéfice de la succession ordinaire ».

Si le rejet du pourvoi apparaît justifié à l’aune des dispositions de l’article 757-3 et du caractère successoral du droit de retour qu’il consacre, la référence faite par l’arrêt à la « succession ordinaire » conduit à s’interroger sur la nature exacte de ce droit. Le caractère successoral du droit de retour exclut, à n’en pas douter, toute indemnisation à la charge ou au profit des collatéraux privilégiés à raison des améliorations ou des dégradations imputables au défunt. Ces derniers recueillent, à l’instar de tout héritier, les biens dans leur état matériel et juridique à l’époque du décès (M. Grimaldi, Droit des successions, 7e éd., LexisNexis, 2017, n° 267, texte et note 72).

L’article 757-3 organise-t-il, pour autant, une succession anomale indépendante de la succession de droit commun ? La question est féconde d’enjeux pratiques. Suivant que le droit de retour légal s’analyse ou non comme une succession anomale, les biens qui y sont assujettis sont écartés ou pris en compte pour l’établissement de la masse de calcul de la réserve héréditaire du conjoint (C. civ., art. 922) et ce dernier dispose d’une option successorale distincte pour chaque succession ou seulement d’une option unique. Il est, certes, possible d’invoquer au soutien de la thèse de l’unicité de succession, le caractère dérogatoire du droit de retour à la dévolution ordinaire de l’article 757-2 ainsi que la soumission de l’immeuble qui y est assujetti au droit viager au logement, alors même que ce dernier dépend totalement de la succession (en ce sens, F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2014, nos 223 s. ; Adde, Rép. min. JO 14 nov. 2006, p. 11972). Il n’en demeure pas moins que l’analyse fondée sur l’existence d’une succession anomale ne met pas obstacle à cette soumission. À la succession ordinaire, le droit d’habitation du logement et d’usage du mobilier le garnissant, à la succession anomale les biens objets du droit viager accordé au conjoint. Reste à souhaiter que la Cour de cassation ait l’occasion de trancher la controverse dont elle n’était pas saisie au cas d’espèce.