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Le « droit fondamental à la protection de la santé » : limite effective à l’action administrative ?

Le Tribunal administratif de Montreuil a annulé l’arrêté déclarant d’utilité publique le projet de réalisation du campus hospitalo-universitaire du Grand Paris Nord. L’opération, dont la configuration ne permet pas des évolutions futures, conduisait à une diminution non compensée de l’offre de soins dans un territoire souffrant déjà d’importantes inégalités de santé.

L’énoncé constitutionnel aux termes duquel « la Nation garantit à tous la protection de la santé » se manifeste classiquement comme une invitation solennelle adressée aux pouvoirs publics en vue de développer, selon les cas, une législation ou une réglementation de nature sociale à cet égard, rarement comme une limite à leur action. À ce jour, l’opposabilité des dispositions figurant à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 a surtout permis de légitimer l’action du législateur au bénéfice de la santé publique, au besoin en restreignant partiellement d’autres droits et libertés. Jamais ces dispositions n’avaient cependant conduit à sanctionner des mesures, de nature législative ou réglementaire, jugées attentatoires aux enjeux de santé publique (on renverra pour un état des lieux sur ces questions à T. Gründler, Le juge et le droit à la protection de la santé, RDSS 2020. 835 s. ).

Le jugement rendu le 10 juillet dernier par le Tribunal administratif de Montreuil au sujet d’un arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique la réalisation d’un projet de complexe hospitalier, offre une perspective tout à fait différente. La garantie constitutionnelle de protection de la santé n’y opère plus uniquement comme une habilitation à agir mais agit également comme une limite effective aux mesures prises par les pouvoirs publics en matière sanitaire.

Afin de mieux mesurer l’avancée sociale que pourrait potentiellement induire une telle approche, il est sans doute utile de prêter une attention particulière aux faits générateurs du litige.

Depuis plus d’une décennie à présent, le projet de fusion de deux hôpitaux de la région parisienne (Bichat et Beaujon) au sein d’un campus hospitalo-universitaire du Grand Paris Nord (CHUGPN) se trouve au cœur d’un conflit social opposant les pouvoirs publics à de nombreux syndicats et autres collectifs de soignants. Ces derniers contestent une diminution du nombre de lits disponibles, et par conséquent l’altération de l’offre de soins, qui en résulterait, ce alors que le département concerné, la Seine-Saint-Denis, connaît déjà de lourdes carences à cet égard. Sur ce moyen notamment, le syndicat Sud Santé Solidaires des personnels de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris ainsi que d’autres requérants ont sollicité auprès du juge administratif l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du Préfet de Seine-Saint-Denis portant déclaration d’utilité publique du projet de CHUGPN.

Leur requête a été accueilli favorablement par les juges du fond du Tribunal administratif de Montreuil puisque celui-ci a prononcé l’annulation de l’arrêté préfectoral litigieux au motif que la diminution de l’offre de soins hospitaliers résultant du projet « porte atteinte au droit fondamental à la protection de la santé » garanti par l’alinéa 11 du Préambule de 1946 ainsi que par les articles L. 1110-1 et suivants du code de la santé publique.

En se fondant expressément sur une méconnaissance des dispositions de l’alinéa 11 du Préambule de 1946 pour annuler un acte administratif unilatéral, la décision rendue par le Tribunal administratif de Montreuil apparaît, ainsi, comme comme une interprétation singulière et particulièrement audacieuse du texte constitutionnel. En ce sens, elle invite à une mise en perspective des questions relatives à la justiciabilité de ce droit social par excellence qu’est le droit à la santé.

L’absence d’invocabilité directe de l’alinéa 11 du Préambule de 1946 : une position constante du juge administratif

Par-delà la remarquable exception que constitue le jugement du Tribunal administratif de Montreuil, la jurisprudence du Conseil d’État converge avec constance vers l’absence d’invocabilité directe d’un droit à la protection de la santé. Une telle conclusion se vérifie tout autant à l’occasion devant le juge des référés qu’en présence de recours au fond. Alors que le Conseil constitutionnel a admis – sur un renvoi émanant de la Cour de cassation – que les dispositions du onzième alinéa du Préambule de 1946 relatives à la protection de la santé figuraient bien au rang des droits et libertés invocables dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const. 29...

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