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Droit à un avocat durant la garde à vue : recul supplémentaire de la CEDH

L’absence de droit à l’assistance par un avocat durant la garde à vue, que ce soit en raison de restrictions générales d’origine légale ou de restrictions particulières, n’est contraire à la Convention, même en l’absence de raisons impérieuses, que si l’équité globale de la procédure n’a pas été respectée. 

par Sébastien Fucinile 22 novembre 2018

La Cour européenne des droits de l’homme, réunie en grande chambre, est une fois encore revenue sur le droit à l’assistance par un avocat dans la phase préparatoire de la procédure pénale, pour préciser davantage sa jurisprudence et amoindrir le caractère absolu de ce droit. Par un arrêt du 9 novembre 2018 rendu contre la Belgique, elle a rappelé et précisé davantage sa position quant à la question de savoir si l’absence d’assistance par un avocat au cours de la garde à vue emporte violation de l’article 6 de la Convention. Elle a affirmé que, lorsqu’un requérant n’a pas été assisté par un avocat au cours de sa garde à vue, que ce soit en raison de restrictions d’origine législative de portée générale et obligatoire ou de restrictions prises au cas par cas, la violation de l’article 6 de la Convention supposait systématiquement une démarche en deux temps. Tout d’abord, il appartient de rechercher l’existence ou l’absence de raisons impérieuses de restreindre l’assistance par un avocat. Mais cela ne suffit pas : qu’il y ait ou non des raisons impérieuses, il faut ensuite rechercher si l’équité globale de la procédure a été respectée, ce critère étant examiné différemment selon qu’il y ait ou non des raisons impérieuses. Ce n’est que si l’équité globale de la procédure n’a pas été respecté que le défaut d’assistance par un avocat emporte violation de la Convention. Pour le cas dont la Cour était saisie, celle-ci a conclu à la violation de la Convention : le requérant avait été privé de l’assistance par un avocat au cours d’une garde à vue subie en 2007 pour homicide volontaire et au cours de l’instruction qui a suivi, à une époque où le droit belge ne prévoyait pas d’assistance par un avocat au cours des interrogatoires. Ainsi, l’absence d’assistance par un avocat résultant d’une restriction générale et systématique issue de la loi de l’époque ne suffit pas à emporter violation de la Convention. L’absence de raisons impérieuses de restreindre ce droit ne suffit pas non plus. Encore faut-il que l’équité globale de la procédure ait été atteinte. Il s’agit d’un important infléchissement de la Cour s’agissant du droit à l’assistance par un avocat.

La jurisprudence de la Cour s’agissant du droit à l’assistance par un avocat dans la phase préparatoire de la procédure pénale n’a pas toujours été d’une clarté absolue. Il ressortait de l’arrêt Salduz, arrêt fondamental en la matière, que le défaut d’assistance par un avocat résultant de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes « suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 » (CEDH 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36391/02, § 56). La Cour précisait dans le même arrêt que le principe est le droit à l’assistance par un avocat dès les premiers interrogatoires de police. Elle ajoutait que ce droit pouvait être amoindri si la restriction était justifiée et, dans l’affirmative, si elle n’avait pas privé l’accusé d’un procès équitable (même arrêt, § 52). En somme, il ressortait de l’arrêt Salduz qu’une absence générale et systématique du droit à l’assistance par un avocat au cours de la garde à vue était à lui seul contraire à la Convention. Au-delà de cette hypothèse, ce droit pouvait faire l’objet de restrictions particulières, à la double condition que la restriction était justifiée et qu’elle n’avait pas privé l’accusé d’un procès équitable. Cela est bien éloigné de ce que dit désormais la Cour. Pourtant, celle-ci a longtemps distingué, pour statuer sur la violation de l’article 6 en raison de l’absence de l’assistance par un avocat, l’hypothèse d’une restriction générale et absolue de celle d’une restriction particulière. Ainsi, la Cour a-t-elle réaffirmé à plusieurs reprises que le défaut d’assistance résultant d’une législation excluant ce droit de manière générale et systématique était de ce seul fait contraire à la Convention (CEDH 27 oct. 2011, Stojkovic c/ France et Belgique, n° 25303/08, § 55, Dalloz actualité, 9 nov. 2011, obs. O. Bachelet , note J.-R. Demarchi ; RSC 2012. 241, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2012. 369, note E. Palvadeau ; 24 oct. 2013, Navone et autres c/ Monaco, n° 62880/11, § 84 ; 12 janv. 2016, Borg c/ Malte, n° 37537/13, § 58, Dalloz actualité, 13 janv. 2016, obs. A. Portmann isset(node/176662) ? node/176662 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>176662). Or, en l’espèce, il s’agissait bien d’une restriction générale et absolue résultant de la législation belge de l’époque, qui excluait en toute circonstance le droit à l’assistance par un avocat durant la garde à vue mais aussi durant l’instruction.

Par ailleurs, l’examen des raisons impérieuses de restreindre le droit à l’assistance par un avocat et de l’équité globale de la procédure était mise en œuvre dans les affaires où la restriction du droit à l’assistance par un avocat résultait d’une décision particulière prise par les autorités. Dans l’arrêt Salduz, la Cour semblait dire la chose suivante : les restrictions particulières doivent être justifiées par des raisons impérieuses. En présence de raisons impérieuses, encore faut-il que l’équité globale de la procédure ait été respectée. A contrario, l’absence de raisons impérieuses entraînerait alors violation de l’article 6. Mais la Cour avait affirmé, dans l’arrêt Ibrahim, « qu’il faut statuer sur l’existence ou non d’une violation du droit au procès équitable en tenant compte de la procédure dans son ensemble […]. L’absence de raisons impérieuses n’emporte donc pas à elle seule violation de l’article 6 de la Convention » (CEDH 13 sept. 2016, Ibrahim et autres c/ Royaume-Uni, n° 50541/08, § 262, Dalloz actualité, 19 déc. 2014, obs. A. Portmann ; RSC 2017. 130, obs. J.-P. Marguénaud ). Elle avait affirmé déduire cela de l’arrêt de grande chambre Dvorski, qui statuait pourtant, non pas sur le défaut d’assistance par un avocat, mais sur l’absence de choix de l’avocat (CEDH 20 oct. 2015, Dvorski c/ Croatie, n° 25703/11, §§ 100 s., Dalloz actualité, 2 nov. 2015, obs. A. Portmann isset(node/175391) ? node/175391 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>175391). Plus généralement, l’arrêt Ibrahim a entendu redéfinir la « méthodologie générale » applicable au défaut d’assistance par un avocat, dans une affaire où elle faisait face à une restriction particulière du droit à l’assistance par un avocat en raison de risques graves d’atteinte à la vie résultant d’attentats terroristes projetés par les suspects. Elle a affirmé qu’il convenait d’examiner en premier lieu l’existence ou l’absence de raisons impérieuses de restreindre ce droit. Quelle que soit la réponse donnée à ce premier critère, il convenait ensuite de rechercher si l’équité de la procédure dans son ensemble avait été respectée. Elle avait alors précisé qu’en l’absence de raisons impérieuses, ce contrôle devait être très strict (CEDH 13 sept. 2016, préc., § 265). S’agissant de la recherche de l’équité de la procédure, elle avait déterminé une série de dix facteurs à prendre en considération, parmi lesquels la vulnérabilité du requérant, le dispositif légal encadrant cette phase de la procédure, la possibilité de contester les preuves recueillies, leur légalité, leur qualité, la manière dont elles sont utilisées ou encore l’existence d’autres garanties procédurales (même arrêt, § 274).

Dans le présent arrêt, qui ne portait pas sur une restriction particulière décidée par les autorités mais sur une restriction légale générale et systématique du droit à l’assistance par un avocat en garde à vue, elle a réaffirmé ces mêmes critères. Elle affirme ainsi explicitement que les critères dégagés par l’arrêt Ibrahim doivent s’appliquer en présence d’un défaut d’assistance de portée générale et obligatoire ayant son origine dans la loi (§ 142). Ainsi, la Cour procède à un examen de l’existence de raisons impérieuses et affirme que le gouvernement n’a pas établi de circonstances exceptionnelles (§ 163). Cela ne suffit pas pour emporter violation de la Convention : elle procède ensuite à un examen de l’équité globale de la procédure, en précisant cependant que la Cour doit opérer « un contrôle très strict et ce, à plus forte raison, dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire ». La manière dont elle examine l’équité de la procédure est éclairante sur l’infléchissement de sa jurisprudence : elle constate que le requérant, bien que privé de liberté et ayant des capacités intellectuelles limitées, n’était pas dans une situation particulière de vulnérabilité (§ 168). S’agissant des circonstances dans lesquelles les preuves ont été obtenues, elle n’y voit aucune difficulté en l’absence de coercition exercée par les enquêteurs belges (§ 169). En revanche, s’agissant de l’admissibilité, de la contestation et de l’utilisation des preuves obtenues, la Cour précise que la cour d’assises n’a pas procédé « à une analyse, pourtant nécessaire, de l’incidence de l’absence d’un avocat à des moments cruciaux de la procédure » (§ 174). Examinant ensuite la nature des dépositions, elle constate que le requérant a fait des déclarations auto-incriminantes en l’absence de son avocat et sans avoir reçu une information suffisamment claire « pour assurer l’effectivité du droit du requérant de garder le silence et de ne pas s’incriminer lui-même » (§ 181). Quant à l’utilisation faite des preuves, la Cour reproche une absence de mise en garde par le président de la cour d’assises « quant au poids à attribuer » aux déclarations faites par le requérant (§ 188). Passant rapidement sur les critères de l’importance de l’intérêt public et de l’existence d’autres garanties procédurales, la Cour conclut à la violation de l’article 6.

Cela permet de saisir l’important infléchissement de la jurisprudence de la Cour en la matière. Pour enfoncer le clou et expliciter les raisons de son infléchissement, la Cour précise, dans son ultime paragraphe sur cette question, « qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance » et que c’est « la conjonction des différents facteurs précités et non chacun d’eux pris isolément qui a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble » (§ 194). Cet important infléchissement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg résulte probablement des critiques que celle-ci a pu subir quant aux importantes obligations qu’elle imposait aux États en matière procédurale dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Pourtant, il s’agissait en l’espèce de poursuites pour homicides de droit commun. Si l’assouplissement de la jurisprudence peut se comprendre s’agissant des restrictions particulières prises au cas par cas du droit à l’assistance par un avocat, il est plus difficile à comprendre pour ce qui est d’une absence générale et obligatoire de ce droit, qui n’a aucun lien avec le contexte terroriste. Dans une opinion concordante, plusieurs juges ont contesté cette évolution et regrettent qu’une restriction générale et obligatoire n’entraîne plus de ce seul fait violation de l’article 6. Qui plus est, la manière dont la Cour a examiné l’équité globale de la procédure, peut inquiéter : l’absence de droit à l’assistance par un avocat, qui n’était justifié par aucune raison impérieuse, aurait pu être conforme à la Convention sans la conjonction des différentes difficultés soulevées quant à l’équité globale de la procédure.

On pourrait alors en conclure que l’absence générale et absolue du droit à l’assistance par un avocat peut être conforme à la Convention si le reste de la procédure a été équitable : il faut pour ce faire, entre autres, que la restriction ne s’applique pas au-delà de la garde à vue, que le suspect soit clairement informé de son droit de garder le silence, que la juridiction de jugement examine l’incidence de l’absence de l’assistance par un avocat sur les déclarations ainsi recueillies, que ces déclarations n’aient pas une place trop importante et, le cas échéant, que les jurés soient informés de la manière dont ils doivent apprécier ces éléments de preuve. D’une obligation positive de prévoir le droit à l’assistance par un avocat dès le premier interrogatoire de police avec l’admission de restrictions particulières, on en arrive désormais en une admission conditionnée de l’absence générale et absolue de l’assistance par un avocat durant les premiers interrogatoires. L’évolution est regrettable, tant le droit à l’assistance par un avocat dès le début de la garde à vue constituait l’un des acquis issus de la Cour de Strasbourg les plus importants et les plus marquants de la décennie. Elle est d’autant plus regrettable en ce que le droit à l’assistance par un avocat dès le début de la garde à vue est devenu une garantie indispensable, la procédure pénale exigeant le respect strict de certaines formes pour respecter les droits et libertés.