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Les droits de la défense à l’épreuve du confinement

Les exigences du confinement ont bousculé les principes essentiels gouvernant la procédure pénale. Le jugement rendu, le 23 mars 2020, par le tribunal judiciaire de Marseille en est une illustration.

par Lucile Priou-Alibertle 5 mai 2020

Cette décision mérite, en effet, qu’on s’y arrête, non quant aux faits ayant justifié la saisine du tribunal correctionnel, mais quant au motif ayant conduit les magistrats à retenir l’affaire.

En l’espèce, une personne avait été poursuivie devant le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours, commises avec usage d’une arme et avec la circonstance aggravante qu’il se trouvait en état de récidive légale. Il avait comparu, une première fois, le 10 février 2020. L’audience avait été renvoyée au 23 mars 2020 et il avait été placé, dans cette attente, en détention provisoire.

À cette date, le prévenu n’avait pas été extrait compte tenu d’un incident dans l’établissement pénitentiaire. Le tribunal a pourtant retenu l’affaire « en ce que le renvoi de l’audience n’étant pas envisageable, les audiences ultérieures se tenant dans les mêmes conditions de confinement, que ces mêmes audiences sont saturées en raison des conséquences de la grève des avocats, de sorte que l’extraction ultérieure du prévenu était très incertaine, qu’enfin l’ordre public sanitaire impose de juger le dossier afin de permettre au prévenu de passer à un statut de condamné, pouvant éventuellement bénéficier d’un aménagement de peine ; que le tribunal s’est estimé suffisamment informé par les déclarations initiales des parties ; Que s’il est regrettable qu’aucun avocat ne se soit présenté pour assurer la défense du prévenu, cela n’est dû qu’à la décision de l’Ordre des avocats de ne pas prévoir de commission d’office ».

Le prévenu a donc été jugé hors sa présence et sans être assisté. Nul n’est besoin d’épiloguer pour réaliser que les droits de la défense étaient ici réduits à peau de chagrin.

Rappelons que cette affaire a été jugée, le 23 mars 2020, et donc avant l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale et prévoyant en son article 17 la prolongation des délais de comparution (v. Dalloz actualité, 27 mars 2020, obs. D. Goetz). En l’état du droit, à la date du jugement, le dilemme pour les magistrats était soit de retenir l’affaire soit de consentir à la remise en liberté du prévenu qui n’aurait pas pu comparaître dans les délais impartis par les articles 397-3 et suivants du code de procédure pénale.

Est, bien sûr, louable l’objectif de célérité judiciaire permettant au condamné de bénéficier des aménagements de peine. Cependant, la poursuite de cet objectif doit être équilibrée avec les droits élémentaires du prévenu.

Il est vrai que, par le passé, les magistrats ont pu refuser des demandes de renvoi en raison de circonstances insurmontables, constituées notamment par la grève à durée indéterminée des avocats (Crim. 23 mai 2013, nos 12-83.721 et 12.-83.780, Dalloz actualité, 4 juin 2013, obs. L. Priou-Alibert ; 8 juill. 2015, n° 14-86.400, Dalloz actualité, 10 sept. 2015, art. A. Portmann). Il n’est pourtant fait nulle mention desdites circonstances insurmontables dans la motivation du jugement, la référence à « l’ordre public sanitaire » ne pouvant, à notre sens, y parer.

Il est à craindre que cette motivation ne soit que peu conforme à la Convention européenne des droits de l’homme car, au-delà de l’absence d’assistance par un avocat, c’est le droit le plus élémentaire du prévenu qui a été méconnu, celui d’être entendu par un tribunal. Accélérer le traitement de la procédure en retenant l’affaire aura, à notre sens, surtout contribuer à fragiliser la procédure. Nul ne s’étonnera, dans ces conditions, que le jugement ait été frappé d’appel.