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Droits des propriétaires tiers à la procédure de confiscation : une inconstitutionnalité prévisible

Le Conseil constitutionnel rend une décision de non-conformité totale avec effet différé au sujet des droits des propriétaires tiers à la procédure de confiscation des biens prévus à titre de peine complémentaire de l’escroquerie et du blanchiment.

par Dorothée Goetz, Docteur en droitle 29 septembre 2021

En l’espèce, la question portait précisément sur le troisième alinéa de l’article 131-21 du code pénal, sur les mots « ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » figurant au neuvième alinéa du même article, sur le 4° de l’article 313-7 et sur le 8° de l’article 324-7 du même code. Selon ces dispositions, les personnes physiques coupables d’une infraction relevant de l’escroquerie ou du blanchiment peuvent être condamnées à la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, à l’exception des objets susceptibles de restitution. Dans un tel cas, la confiscation peut également porter sur les biens dont ces personnes ont seulement la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

Les requérants adressent deux reproches à ces dispositions. D’abord, ils considèrent que le texte litigieux permet à la juridiction de jugement d’ordonner la confiscation d’un bien dont la personne condamnée a seulement la libre disposition, sans prévoir que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit cité à comparaître devant elle. En outre, ils estiment que le texte contesté est contraire au droit de l’Union européenne et qu’en conséquence le Conseil constitutionnel ne pourrait reporter la date de leur abrogation sans méconnaître l’exigence de respect du droit de l’Union européenne. Ce faisant, les requérants sollicitent la transmission à la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l’Union européenne de la possibilité pour une juridiction constitutionnelle nationale de faire application de cette faculté de modulation des effets dans le temps de ses décisions dans un tel cas.

Le Conseil constitutionnel constate qu’aucune disposition ne prévoit que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi. Il en déduit que les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Sans surprise, cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle déjà tracée par le Conseil constitutionnel le 21 avril 2021 au sujet des droits des propriétaires tiers à la procédure de confiscation de patrimoine en matière de proxénétisme et de traite des êtres humains (Cons. const. 23 avr. 2021, n° 2021-899 QPC, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2021. 323, obs. J. Hennebois ). Dans cette récente QPC les Sages avaient en effet déjà considéré que « ni ces dispositions ni aucune autre disposition ne prévoient que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi » (CEDH 22 mai 2001, Baumann c/ France, n° 33592/96, Gaz. Pal. 2001. 1996, note F. Jemoli). En l’espèce, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les textes contestés sont donc en toute logique déclarés contraires à la Constitution. Leur abrogation est reportée au 31 mars 2022. 

Toutefois, les Sages ajoutent qu’il ne leur appartient pas d’examiner la compatibilité des dispositions déclarées contraires à la Constitution avec les traités ou le droit de l’Union européenne. En outre, la question préjudicielle sollicitée ne porte pas sur la validité ou l’interprétation d’un acte pris par les institutions de l’Union européenne. Les conclusions aux fins de transmission de la dite question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sont donc écartées.