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Droits voisins, acte III : Google encaisse un uppercut, nouveau round de négociations
Droits voisins, acte III : Google encaisse un uppercut, nouveau round de négociations
Le 13 juillet 2021 restera une date à marquer d’une pierre blanche. L’Autorité française de la concurrence a sanctionné fortement Google pour non-respect des injonctions qui devaient le conduire à négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse et les agences la rémunération de leurs droits voisins.
par Fayrouze Masmi-Dazi, avocat associée, Frieh Associésle 23 juillet 2021
Au-delà du caractère exceptionnel de l’amende et de l’astreinte prononcées, la décision témoigne d’une détermination intacte à peser dans le débat réglementaire européen, à faire preuve de pragmatisme et d’agilité dans les itérations avec les géants numériques et dans le même temps, de toute la richesse du droit de la concurrence à périmètre constant. La décision ne met cependant pas un terme aux débats, elle doit permettre d’ouvrir un nouveau cycle de négociations alors que l’enquête au fond se poursuit.
Pour mémoire, la décision s’inscrit dans le contexte d’une opposition entre Google, les éditeurs français et les agences de presse sur l’application de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 transposant en France l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 créant un droit voisin. Il s’agit de la troisième décision depuis l’entrée en vigueur de ce mécanisme en France. La première décision, rendue par l’Autorité de la concurrence, infligeait à titre conservatoire des mesures d’injonction imposant en substance à Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences. La seconde décision, rendue cette fois par la cour d’appel de Paris, avait quasi intégralement validé la décision ordonnée par l’Autorité de la concurrence (v. notre art., Dalloz actualité, 14 oct. 2021).
Deux ans plus tard, la plupart des éditeurs de presse et les agences n’ont pu négocier effectivement avec Google ni obtenir rémunération au titre de leurs droits voisins dans le cadre et dans les délais prescrits malgré des avancées notables. C’est de cette incongruité dont il est question dans la décision du 13 juillet – autrement dit du non-respect par Google des injonctions ordonnées par l’Autorité de la concurrence – et, à travers cela, de sa persistance dans un comportement délibérément infractionnel en dépit de son évidente contrariété avec le cadre législatif et réglementaire applicable en France.
Google ou l’unilatéralisme contrarié
La décision de l’Autorité – longue de plus de 130 pages – témoigne d’une instruction particulièrement approfondie et fait le récit d’une année et demie de persistance de Google dans un unilatéralisme que ni la loi de transposition, ni les mesures conservatoires, ni la validation pour l’essentiel de celles-ci par la cour d’appel de Paris, pas plus que le rapport établissant les griefs n’ont altéré.
Après le rejet systématique par Google de toute discussion sur l’existence et la rémunération de droits voisins qui a conduit les plaignantes à saisir l’Autorité de la concurrence en formant notamment une demande de mesures conservatoires, un nouveau cycle semblait s’ouvrir. Google ayant accepté d’itérer avec les associations – les agences étant toujours exclues de toute discussion –, les prémisses d’une négociation semblaient posées.
Néanmoins, l’on comprend de la décision qu’au cours de ces échanges, Google a tout d’abord exclu toute discussion sur les droits voisins eux-mêmes pour se concentrer sur le lancement de nouveaux services – en déplaçant purement et simplement la discussion. C’est ainsi que l’Autorité a été amenée à analyser Showcase – un espace d’information dédié où les éditeurs bénéficient notamment d’une mise en avant améliorée de leurs contenus – ou encore « Subcribe with Google », des services d’aide à la conversion du lectorat en abonnements – au moins aussi essentiels à la survie de la presse que ne le sont les revenus publicitaires ou depuis peu, les droits voisins.
Google a en outre entrepris de segmenter unilatéralement les éditeurs de presse en scindant ceux qui bénéficient d’une certification délivrée par la Commission paritaire des publications de presse relative à la fourniture d’information dite politique et générale (IPG) de ceux qui ne disposaient pas de cette certification (non-IPG). Ces derniers, qui représentent la plus grande proportion d’éditeurs en France, ont été purement et simplement exclus tant du bénéfice d’une éventuelle rémunération de leurs droits voisins que des nouveaux services proposés par Google puisque les droits voisins avaient été opportunément dilués en leur sein.
Google a également réduit unilatéralement le champ de la négociation en ce qui concerne le périmètre des revenus tirés de l’affichage de contenus protégés en les réduisant à Google Search à l’exclusion de toute autre source de revenus notamment indirecte, et n’a en tout état de cause pas communiqué les données et chiffres aux éditeurs permettant qu’une négociation intervienne. Tout au plus, lorsque Google a décidé de communiquer des données, celles-ci apparaissent « partielles », « tardives » et « insuffisantes ».
Quant au caractère tardif, on observe avec étonnement que Google entendait pouvoir « prolonger » seul (ou éventuellement d’un commun accord avec l’éditeur qui en toute hypothèse n’avait d’autre choix puisqu’il n’avait reçu aucune information) le délai d’exécution des injonctions ordonnées par l’Autorité.
Plus étonnement encore, l’on comprend à la lecture de la décision que Google a transmise au service juridique des propositions d’accords avec les éditeurs – que les éditeurs eux-mêmes ne s’étaient pas encore vus proposer. En d’autres termes, Google entendait convenir avec l’Autorité de la concurrence de la teneur des accords de licence de droits voisins qu’il envisageait d’imposer aux éditeurs, alors même que la procédure ayant donné lieu à la décision du 13 juillet n’avait pas pour objet le fond et ne permettait donc a priori pas d’engagement, mais uniquement le non-respect des injonctions ordonnées par l’Autorité. Google ne pouvait donc pas décemment s’engager à respecter les injonctions ordonnées puisqu’elles lui sont applicables, ne lui en déplaise. En définitive, Google a, par ces mêmes dispositions unilatérales tardives, admis le non-respect des injonctions ordonnées, et ce auprès du service juridique de l’Autorité.
Seule certitude : ce que Google n’a pas respecté
Ce ne sont pas moins de quatre injonctions sur dix prononcées par l’Autorité qui n’ont pas été respectées par Google. Notamment, l’injonction 1, qualifiée par l’Autorité de « plus importante », relative à l’obligation de négociation de bonne foi, mais également les injonctions nos 2, 5 et 6 de la décision de mesures conservatoires. Les négociations intervenues postérieurement au délai de trois mois fixé par les injonctions ne conduisent pas l’Autorité à revenir sur ce constat.
• Google n’a pas négocié de bonne foi (injonction n° 1). L’Autorité estime que le fait de lier systématiquement les discussions portant sur la rémunération des droits à la conclusion d’un nouveau partenariat global par lequel Google a cherché à obtenir une licence portant sur l’intégralité des contenus des éditeurs, sans valorisation financière spécifique des droits voisins ou encore le fait d’avoir exclu le principe d’une rémunération des contenus de presse issus d’éditeurs ou agences de presse ne disposant pas d’une qualification « information politique et générale » (IPG) ainsi que des contenus des agences de presse repris par les éditeurs, de même que le fait d’avoir adopté une conception excessivement restrictive de la notion de revenus tirés de l’affichage de contenus de presse témoignent de sa mauvaise foi.
• Google n’a pas communiqué à suffisance aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l’article L. 218-4 du CPI (injonction n° 2). L’Autorité relève que les communications d’informations par Google ont été soit partielles, soit tardives par rapport à l’échéance des négociations, soit non spécifiques aux contenus et, partant, insuffisantes pour permettre à l’éditeur ou à l’agence de presse de faire le lien entre l’utilisation par Google de contenus protégés, les revenus qu’elle en tire, et sa proposition financière.
• Google n’a pas préservé la neutralité des conditions commerciales (injonction n° 6). Outre l’exclusion des non-IPG du périmètre de ces discussions, l’Autorité reproche à Google d’avoir conditionné l’accès au programme de partenariat global Showcase à l’acceptation par les éditeurs et agences de presse d’une rémunération globale, sans rémunération spécifique, avec un risque de voir leurs conditions de visibilité se dégrader à l’égard des autres éditeurs et agences de presse ayant accepté de et ayant été autorisé à participer à ce programme.
• Google n’a pas respecté la neutralité sur la façon dont sont indexés, classés et, plus généralement, présentés les contenus protégés sur ses services (injonction n° 5). L’Autorité constate qu’en établissant un lien entre les négociations sur la rémunération des droits voisins au titre des utilisations actuelles et celles sur la rémunération de nouveaux partenariats tels que Showcase, ce qui pouvait emporter des conséquences importantes sur la visibilité des éditeurs et agences de presse sur les services de Google, cette dernière a violé l’obligation de neutralité des négociations sur la présentation des contenus protégés sur ses services.
Il est d’autant plus important de souligner que l’objet de la procédure ayant donné lieu à la décision du 13 juillet était uniquement de déterminer si Google avait respecté ou non les injonctions ordonnées que la décision ne préjuge donc pas de la qualification juridique de comportements intervenus à l’occasion de ces discussions, qui auraient été portés à la connaissance de l’Autorité, qui pourraient être problématiques d’un point de vue concurrentiel mais qui relèvent d’une procédure au fond. Il est ici rappelé que la procédure au fond se poursuit parallèlement à ce processus relatif au non-respect des injonctions.
Tout en posant des jalons pour les négociations à venir
La décision de l’Autorité est particulièrement motivée et circonstanciée. Cela est extrêmement utile et appréciable pour le commentateur mais également très structurant pour l’avenir. Non seulement l’Autorité examine de très nombreux comportements mis en œuvre par Google à l’occasion des itérations intervenues tant avec les éditeurs qu’entre les éditeurs eux-mêmes au sein des associations mais l’Autorité pose également quelques jalons à l’occasion de cette décision de manière aussi subtile que percutante.
Il en va ainsi de la distinction artificiellement introduite par Google quant au caractère IPG ou non-IPG des éditeurs éligibles selon lui, à une discussion en vue d’une rémunération de leurs contenus. L’Autorité ne se contente pas de souligner qu’une telle exclusion n’est pas compatible avec la loi ni avec les injonctions ordonnées s’agissant des droits voisins, elle aborde cette différenciation en indiquant qu’elle est susceptible de créer des distorsions de concurrence à l’aval dès lors qu’elle est liée à la participation des éditeurs aux nouveaux programmes de Google visant à augmenter leur visibilité.
Bien entendu, l’Autorité réaffirme la liberté de Google de proposer de nouveaux services, mais le fait de lier ce lancement à l’acceptation d’une rémunération indistincte avec les droits voisins tout en excluant de fait du bénéfice de ces dispositions des acteurs non-IPG alors que ce n’est aucunement requis par la loi est une violation supplémentaire des injonctions. La décision ne dit pas si une même différenciation hors couplage avec les droits voisins serait problématique au fond, tout en soulignant les distorsions de concurrence que cela est susceptible de générer à l’aval s’agissant de contenus concurrents.
C’est cette même logique qui conduit l’Autorité à souligner que si la décision en cause ne poursuit d’autre objectif que de constater et sanctionner le non-respect des injonctions, certains accords conclus pourraient devoir être modifiés ou amendés en considération de la décision. Ce faisant, elle rappelle que rien de ce qui lui a été présenté n’a échappé à son attention et que si elle n’a pas – dans le contexte de cette procédure spécifique – le pouvoir de se prononcer sur la validité de tels accords, la décision peut néanmoins justifier qu’ils soient modifiés.
Face à la mauvaise foi, le choix de la sécurité juridique plutôt que de la certitude
D’un point de vue plus général dans le contexte des discussions actuelles sur le plan des réformes du droit de la concurrence et de la régulation future des plateformes structurantes, il est intéressant d’observer que l’Autorité a fait preuve d’une grande agilité. Tout en appliquant strictement le cadre de ses compétences lorsqu’elle est amenée à examiner une saisine en non-respect d’injonctions, l’Autorité a appréhendé le comportement de Google à la fois dans son ensemble et individuellement, en le rapportant au marché et en s’en rapportant au marché par la voie d’auditions et de témoignages.
Dans une déclaration postérieure à la décision du 13 juillet, Google a fait part d’une forme de déception par rapport à la décision de l’Autorité qui n’aurait pas tenu assez compte des efforts finalement déployés. Cela interroge sur les attentes réelles de Google quant à l’issue de cette procédure alors même que toutes les caractéristiques d’une violation systémique semblent ici réunies et parfaitement assumées. À cet égard, il est difficile d’isoler totalement l’issue de cette procédure de la décision récente de l’Autorité infligeant également une forte sanction à Google dans le display mais acceptant des engagements – la première décision du genre.
Google s’attendait-il à négocier puis obtenir la validation d’une forme d’engagement consistant à préconvenir des termes de l’accord de licence qu’il proposerait avec l’Autorité de la concurrence sans même avoir présenté son projet aux éditeurs ? Si l’on comprend bien, du point de vue de Google – couper court par avance à des discussions avec les éditeurs sur les points structurants, valider et faire levier auprès de tous les autres éditeurs européens qui auraient des lois de transposition nationales et des velléités de s’en saisir, mais également faire levier auprès de toute autre autorité de concurrence de l’Union –, une telle approche paraît outrageusement intenable. L’Autorité n’ignore pas l’enjeu d’une telle décision sur d’autres juridictions, et c’est toute la subtilité de sa décision.
En ne fournissant pas de liste exhaustive de ce que Google doit faire ou en ne validant pas ce que l’Autorité considérerait comme approprié, l’Autorité de la concurrence ne remet aucunement en cause le principe de sécurité juridique puisqu’elle ne fait qu’appliquer strictement le cadre de ses compétences dans une telle procédure de non-respect d’engagements. Dans le même temps, l’Autorité pointe ce qui dysfonctionne, tout en ne préjugeant pas de la qualification que recevraient d’autres dysfonctionnements, tant dans le cadre des injonctions qui restent en vigueur jusqu’à la décision au fond, que pour ce qui concerne cette dernière. Elle crée ainsi une forme d’équilibre d’incertitude dissuasive, incertitude quant à l’appréciation des pratiques et quant à l’issue d’une décision. Elle ne fournit aucune garantie de résultat atteignable à Google en adoptant une approche casuistique fortement ancrée dans le périmètre des pouvoirs dont elle dispose en fonction du fondement de la saisine.
Autant de pistes de régulation à l’heure où l’on discute de l’approche adoptée par la Commission dans le projet de Digital Market Act ?
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