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Du désistement de la partie civile au stade de l’instruction

Pour être régulier, le désistement de la partie civile dans le cadre de la procédure d’instruction suppose l’existence d’une renonciation par laquelle le plaignant manifeste sans équivoque sa volonté d’abandonner l’action, sans condition et en l’état.

par Lucile Priou-Alibertle 10 novembre 2017

Une personne a déposé plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction du chef de discrimination syndicale. À l’issue de l’information alors que l’avis prévu par l’article 175 du code de procédure pénale avait été adressé aux parties et que le ministère public avait pris des réquisitions aux fins de non-lieu, le conseil de la partie civile a écrit au juge d’instruction pour l’informer de ce qu’il avait fait citer directement la partie adverse devant le tribunal à raison des faits visés dans la plainte initiale ainsi que de faits nouveaux et pour lui demander, en conséquence, de donner acte à son client du désistement de sa plainte et « procéder à la radiation de ce dossier d’instruction ». On imagine, sans peine, que le Conseil de la partie civile, sentant se profiler une ordonnance de non-lieu, a souhaité modifier son choix processuel initial en saisissant directement le tribunal correctionnel par voie de citation directe. En effet, l’article 190 du code de procédure pénale aurait fait obstacle à ce que soit délivrée, après l’ordonnance de non-lieu, une citation directe à l’encontre de la personne visée dans la plainte avec constitution de partie civile (V. not., Ch. réunis, 24 avr. 1961, J. Pradel, La partie civile ne peut après clôture de l’information par ordonnance de non-lieu, user de la citation directe contre les personnes non inculpées mais visées nommément dans la plainte, D. 1990. 377 ).

Face à la demande de radiation manifestement inefficace sur un plan processuel, le magistrat instructeur, tout en relevant que « la partie civile a fait choix d’un autre mode procédural pour faire état des infractions pénales dont elle serait victime » a constaté le désistement et procédé au règlement de l’information par une ordonnance de non-lieu pour insuffisance de charges.

La partie civile a relevé appel de cette décision.

Pour déclarer ce recours irrecevable, la chambre de l’instruction a souligné qu’en faisant délivrer à son employeur une citation directe devant la juridiction correctionnelle et en en informant parallèlement le juge d’instruction, la partie civile avait manifesté sa volonté non équivoque de se désister de sa constitution de partie civile ce qu’avait acté le magistrat instructeur de telle sorte qu’elle n’avait plus qualité pour former un recours contre l’ordonnance de non-lieu.

La partie civile était l’auteur du pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction soumettant à la sagacité de la Haute Cour l’appréciation du caractère équivoque de son désistement.

Ce pourvoi donne aux magistrats de la Cour de cassation l’occasion de rappeler dans un attendu de principe « que le désistement de la partie civile en cours d’information suppose l’existence d’une renonciation par laquelle le plaignant manifeste sans équivoque sa volonté d’abandonner l’action » et de préciser que cette volonté doit être exprimée « sans condition et en l’état ».

Puis, articulant ce principe aux faits de l’espèce, la Haute Cour considère que le désistement demandé par l’avocat de la partie civile était subordonné à la condition que le juge d’instruction s’abstînt de procéder au règlement d’une information, à laquelle ce seul désistement n’était pourtant pas de nature à mettre un terme. Aussi, la chambre de l’instruction ne pouvait retenir que l’intéressé avait renoncé à sa qualité de partie civile sans condition ni équivoque. L’arrêt est donc cassé.

Le code de procédure pénale traite du désistement de la partie civile à l’audience (C. pr. pén., art. 425 et 426) et devant la Cour de cassation (art. 608). S’il est muet sur la question du désistement lors de l’instruction, la jurisprudence en a admis, de longue date, le principe. Néanmoins, la condition sine qua non de la régularité du désistement, rappelé à maintes reprises, est qu’il doit être manifeste et dépourvu d’équivoque (Crim. 21 mai 1974, Bull. crim. n° 190 ; 7 févr. 1984, Bull. crim. n°44). La Haute Cour veille scrupuleusement au respect de ce point ce qu’illustre, du reste, l’arrêt commenté.
En effet, à reprendre les termes du courrier qui avait été adressé par le Conseil de la partie civile au juge d’instruction, il est loisible de constater que ce professionnel du droit avait demandé au magistrat de constater le désistement de telle sorte que, raisonnablement, ce dernier pouvait être considéré comme dépourvu d’équivoque. La Cour de cassation demande, cependant, davantage aux magistrats en leur imposant de rechercher l’intention réelle de la partie. En l’espèce, il est aisé d’imaginer que le conseil de la partie civile a souhaité anticiper l’ordonnance de non-lieu et le fait que cette dernière allait l’empêcher de saisir directement le tribunal correctionnel. Aussi, a-t-il tenté de se désister de sa plainte avec constitution de partie civile pour échapper à cette interdiction. La demande de désistement était, de fait, conditionnée à la possibilité de saisir le tribunal correctionnel et ne marquait aucune volonté d’abandonner l’action, bien au contraire. Certes, une telle demande était maladroite car elle oubliait que, devant le juge d’instruction, le désistement de la partie civile est sans influence sur l’action publique (Crim. 15 janv. 1976, Bull. crim. n° 13). C’est d’ailleurs ce que soulignent les juges de cassation en notant que le seul désistement de la partie civile n’était pas de nature à mettre un terme à l’information. Cependant, en l’espèce, le juge d’instruction n’aurait pas dû acter le désistement dès lors qu’il était évident que la partie civile ne souhaitait pas renoncer à son action.