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Du non-respect d’engagements en droit des concentrations s’infèrent une faute civile et un préjudice…fût-il seulement moral

Dans un arrêt inédit, la Cour de cassation juge que le non-respect d’engagements auxquels l’Autorité de la concurrence a subordonné une opération de concentration crée nécessairement une faute et un trouble commercial aux entreprises qui opèrent sur le marché en cause, constitutif d’un préjudice, fût-il seulement moral.

Depuis plusieurs années, de nombreux efforts sont entrepris pour que les victimes d’infractions au droit de la concurrence soient incitées à saisir les juridictions civiles ou commerciales pour demander réparation de leur préjudice. Toutefois, les questions relatives à la responsabilité civile d’une entreprise en matière de droit de la concurrence se cantonnent généralement au droit des pratiques anticoncurrentielles. Pourtant, le droit de la concurrence porte également sur le contrôle des concentrations, également susceptible de générer des contentieux privés. En témoigne l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 16 novembre 2022.

L’arrêt est inédit. Aussi, la diffusion qu’a souhaité en faire la Cour de cassation est modeste. Mais cela n’atténue pas sa richesse, et l’on ne saurait condamner à l’oubli les arrêts inédits qui peuvent s’avérer utiles à la réflexion et à l’argumentation.

C’est en 2014 que l’affaire débute. Par la décision n°Â 14-DCC-15 du 10 février 2014, l’Autorité de la concurrence avait autorisé l’opération par laquelle Canal+ Overseas (devenue Canal+ International), principal opérateur de télévision payante dans les départements et régions d’outre-mer, avait pris le contrôle de Mediaserv (devenue Canal+ Telecom), l’un des principaux fournisseurs d’accès à Internet dans ces territoires. L’Autorité de la concurrence avait toutefois conditionné cette opération de concentration à plusieurs engagements. Parmi eux, et pour éviter que Canal+ ne s’appuie sur sa base d’abonnés en télévision payante pour développer de manière anticoncurrentielle ses ventes de services de fourniture d’accès à Internet, l’entreprise s’était engagée à ne pas commercialiser d’offres associant les deux services. Il s’agissait, en quelque sorte, de prévenir une éventuelle vente liée susceptible de constituer un abus de position dominante.

Soutenant que Canal+ avait commis un abus de position dominante en démarchant ses abonnés et par la même, avait violé les engagements pris de lors de la concentration, la société Orange avait assigné le groupe en réparation du préjudice subi. En réformant le jugement de première instance, la cour d’appel avait condamné les sociétés Canal+ à des dommages et intérêts en caractérisant une vente liée sanctionnée au titre des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE.

Canal+ avait formé un pourvoi en cassation au soutien de trois moyens. Selon les premier et deuxième moyens, le groupe Canal+ reprochait à la cour d’appel de n’avoir pas caractérisé un effet d’éviction concurrentiel, fût-il potentiel, et donc, l’abus de position dominante. Fallait-il, dès lors, déduire une faute civile de la violation d’un engagement pris dans le cadre d’une opération de concentration ?

Le troisième moyen portait quant à lui sur le préjudice moral. Le groupe Canal+ faisait en effet grief à l’arrêt d’avoir considéré qu’Orange avait, en raison du « trouble économique imputable à la pratique des ventes liées », subi un préjudice « essentiellement moral » sans qu’ait été rapportée la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. C’était donc la question de la présomption de préjudice qui se posait devant les juges.

En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation répond sur ces deux volets. Dans le prolongement de sa jurisprudence, et par une transposition des principes applicables en matière de concurrence déloyale, la Cour de cassation se fonde sur une double présomption : une présomption de faute et une présomption de préjudice, fût-il seulement moral.

La faute tirée de la violation des engagements

Les engagements ne font pas obstacle à la qualification de la faute civile

C’est d’abord sur le terrain de la faute que l’arrêt attire l’attention, parce qu’il porte sur des engagements pris dans le cadre du contrôle des opérations de concentration. Rappelons que les jurisprudences européenne et française avaient déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’interaction entre le contentieux civil et la procédure d’engagements fondée sur l’article 9 du règlement 1/2003 : de tels engagements ne sauraient créer une confiance légitime à l’égard des entreprises concernées quant au fait que leur comportement serait conforme à l’article 101 TFUE (CJUE 23 nov. 2017, aff. C-547/16, Gasorba, RTD eur. 2018. 817, obs. L. Idot ) ou 102 du TFUE (Com. 14 oct. 2020, Betclic, n° 18-24.221). La question de la transposition de ce raisonnement aux engagements pris sur un autre fondement, à savoir l’article L. 430-5 du code de commerce relatif au contrôle des concentrations, était toutefois en suspens....

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