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Lundi et mercredi, Éric Dupond-Moretti était auditionné par les commissions des lois des deux assemblées. Devant les députés, puis les sénateurs, le nouveau ministre a semblé coincé dans sa cravate, son masque et son costume de ministre. S’il a pu clarifier la feuille de route de ses six cents prochains jours place Vendôme, les moments les plus intéressants venaient des instants où il sortait de son rôle.
par Pierre Januelle 23 juillet 2020
Le banc du gouvernement est la chaise de Judas des ministres. Et le ministre de la justice, avec celui du budget et de l’intérieur, est celui qui est le plus astreint à représenter le gouvernement devant le Parlement. Certains s’en sortent par la fougue (Taubira), d’autres par la technicité (Belloubet). Les premières auditions d’Éric Dupond-Moretti, ministre surprise du remaniement, étaient particulièrement attendues.
Même si les parlementaires ont été plutôt bienveillants, le nouveau ministre a semblé parfois surpris par cet exercice. Quand, pendant trente-cinq ans, on a travaillé à partir de la loi, on peut être décontenancé quand on rencontre ceux qui l’écrivent. Surtout quand ils lisent chacun des fiches écrites par leur collaborateur, dans des interventions de trois minutes mélangeant cinq questions, dont deux ont déjà été posées. Le contrôle tel que l’envisage le Parlement est parfois une succession de monologues où chacun, député comme ministre, lit ses fiches. Parfois, le député quitte la salle après sa question, mais le ministre, surpris, apprend qu’il doit quand même lui répondre. À l’Assemblée, l’exercice a duré trois heures ; au Sénat, il était plus resserré.
« On se défend souvent mal soi-même, et c’est d’ailleurs pour cela que les avocats existent »
Le ministre a annoncé reprendre plusieurs projets préparés sous l’ère Belloubet. Ainsi, le cyberharcèlement sera centralisé au parquet de Paris, la réforme de la justice des mineurs se fera et la directive sur les lanceurs d’alerte sera transposée. Il a bon espoir que la réforme constitutionnelle sur l’avis conforme du CSM pour les magistrats du parquet, votée par le Parlement en 2016, soit un jour envoyée au congrès.
Le ministre est souvent renvoyé à ses propos passés. Il doit ainsi plusieurs fois revenir sur son engagement contre les violences sexistes (« On se défend souvent mal soi-même, et c’est d’ailleurs pour cela que les avocats existent »). Et il enterre plusieurs des idées qu’il soutenait (v. Dalloz actualité, 7 juill. 2020, art. P. Januel), comme la suppression de l’École nationale de la magistrature ou la séparation du siège et du parquet, impossibles à faire en six cents jours. Dès mardi, Dupond-Moretti a défendu pour le gouvernement la loi instaurant des mesures de sûreté aux sortants de prison condamnés pour terrorisme (v. Dalloz actualité, 19 juin 2020, art. P. Januel). Le ministre est toujours favorable à la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux. Dans le même temps, il se déclare contre la culture de la transparence, issue de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Sur les cours criminelles départementales, les intentions sont floues : « on va laisser faire l’expérimentation. Je ne vais pas démolir ce qui a été fait. Mais je me battrai pour que les cours d’assises ne meurent pas ». Et, après un plaidoyer pour les jurés d’assises, il annonce un vieux truc : la création d’une commission sur l’avenir des cours d’assises. Elle sera composée d’avocats et de hauts magistrats, « qui aiment les cours d’assises ».
« Je suis aussi le chef de la politique pénale »
Sur le budget, le ministre est également en recul. « Sur la transition numérique, j’ai obtenu 530 millions d’euros et 260 emplois ». Un montant déjà voté en 2019, dans la loi d’orientation de la justice. Cette loi ambitieuse prévoit 300 millions d’euros d’augmentation par an jusqu’en 2022. Mais, depuis 2020, elle n’est plus respectée, 500 millions d’euros sur trois ans étant retirés du fait de retard dans le programme pénitentiaire. La crise covid-19 fait que la justice aura du mal à consommer tous ses crédits en 2020. Au final, si Dupond-Moretti arrive à suivre la trajectoire de la loi d’orientation, ce serait déjà une performance.
Sur la question brûlante des remontées d’information, il ne souhaite pas les supprimer : « Je suis aussi le chef de la politique pénale » et il « est normal que le garde des Sceaux connaisse des affaires de l’État ». Dupond-Moretti a toutefois indiqué avoir établi une liste d’affaires qui l’ont concerné pour lesquelles il souhaitait n’avoir aucune remontée d’information. Il a aussi affirmé n’avoir pas eu de remontées concernant Gérald Darmanin.
Il y a trois sujets sur lesquels le ministre insiste : d’abord, la limitation des enquêtes préliminaires (« qui deviennent souvent des enquêtes perpétuelles »). Il veut limiter le temps les enquêtes et introduire du contradictoire : « cela va dans le sens de l’histoire, de l’histoire que l’on écrit à Strasbourg ». Ensuite, la violation de secret de l’instruction (sur lequel il « veut aller très loin »). Enfin, la protection du secret professionnel des avocats (« un cabinet d’avocat ce n’est pas l’annexe d’un commissariat »).
« Faire naître l’émotion, le compassionnel, c’est tout ce que je ne veux pas »
Plus que de grandes réformes, le ministre veut du bon sens ! Il indique vouloir ainsi convoquer les justiciables à des horaires différents. Ou faciliter l’accès à la médecine légale pour les victimes. Un membre de son cabinet sera d’ailleurs dédié aux bonnes pratiques. Ainsi, sur la justice de proximité, il s’agit simplement, à droit constant, d’augmenter le nombre d’audiences foraines ou d’utiliser le nouvel article L. 212-8 du code de l’organisation judiciaire qui a créé des chambres de proximité.
Autre idée : « j’envisage, avec le ministère des armées, de reprendre une idée déjà formulée par Éric Ciotti », l’encadrement militaire de jeunes délinquants. « Je préfère qu’un gamin ait un militaire comme idole plutôt qu’un islamiste radical ou un caïd. » Une idée qui revient régulièrement. Autre serpent de mer : qu’un mineur délinquant fasse un travail d’intérêt général dans les quarante-huit heures qui suivent l’infraction. Mais si ces idées n’aboutissent jamais, ce n’est pas sans raison (v. Dalloz actualité, 14 févr. 2020, interview de Christian Mouhanna, par P. Januel).
Si le nouveau ministre cède trop au bon sens, il tente de résister au populisme pénal.
Ainsi, quand Éric Ciotti reprend son discours sur les juges politisés : « Monsieur Ciotti, que voulez-vous ? Vous voudriez donc peut-être que le garde des Sceaux envisage d’interdire aux magistrats de se syndiquer ? »
Ciotti : « Oui ! »
Dupond-Moretti : « Alors, mais pardon, mais nous irions vers la guerre avec les magistrats. »
Ciotti : « J’ai déposé une proposition de loi à ce sujet, mais elle n’a pas prospéré. »
Dupond-Moretti : « J’ai le souvenir que le droit de se syndiquer est un droit constitutionnel. Alors faites-moi votre proposition, vous avez peut-être le goût de l’effort inutile ! »
Et il poursuit : « Je ne serai pas le garde des Sceaux du laxisme. Mais je ne serai pas non plus le garde des Sceaux du tout-répressif. Je n’ai pas de baguette magique, mais je ne veux pas de matraque non plus. » Car « la politique pénale ne s’envisage pas dans le compassionnel. Je sais qu’on me posera un jour la question à l’Assemblée. Un crime aura été commis et on me dira “mais Monsieur le Garde des Sceaux, qu’avez-vous fait ?” Mais la rémission des crimes n’existe pas ! Et si la répression était la solution, il y a des années que nous le saurions. » Et plus tard, à un autre député : « faire naître l’émotion, le compassionnel, c’est tout ce que je ne veux pas dans ma politique pénale ».
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