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Éclairage sur le déréférencement des données relatives aux condamnations pénales

Dans un arrêt du 27 novembre 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré la cour d’appel de Paris d’avoir rejeté la requête en déréférencement formée par un particulier auprès de Google Inc.

par Amanda Dubarryle 19 décembre 2019

Le droit au déréférencement, consacré par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans son célèbre arrêt Google Spain (CJUE 13 mai 2014, aff. C-131/12, Dalloz actualité, 21 mai 2014, obs. L. Constantin ; AJDA 2014. 1147, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1476 , note V.-L. Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J. Rochfeld ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou ; Légipresse 2014. 330 et les obs. ; JAC 2014, n° 15, p. 6, obs. E. Scaramozzino ; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ; ibid. 2016. 249, étude O. Tambou ; Rev. UE 2016. 597, étude R. Perray ), reconnaît aux internautes le droit de maîtriser leurs traces numériques et, en conséquence, leur e-réputation.

Le droit au déréférencement, improprement dénommé « droit à l’oubli » (v. G. Haas, Le guide juridique du RGPD, Eni, 2018, p. 112 s.), permet en effet à un internaute de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête effectuée à partir de l’identité (nom et prénom) de cette personne. Si le contenu « préjudiciable » demeure accessible en ligne, il n’apparaîtra plus dans les premiers résultats sur les moteurs de recherche. Concrètement, il s’agit davantage d’un droit à la désindexation qu’un droit à la suppression des données.

Alors que les demandes de déréférencement sont de plus en plus nombreuses – dans son rapport Transparency, Google fait état de 866 193 requêtes depuis 2014 –, les moteurs de recherche demeurent réticents, y opposant la liberté d’information.

L’arrêt de la première chambre civile rappelle les enjeux majeurs du déréférencement au regard des droits et libertés des internautes.

En l’espèce, le 9 octobre 2013, le requérant – expert-comptable et commissaire aux comptes de profession – avait été déclaré coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie et condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 20 000 € d’amende, ainsi qu’à payer une certaine somme à l’administration fiscale.

Cette condamnation pénale avait été publiée sur le site internet du journal Le Républicain lorrain, les 18 novembre 2011 et 15 novembre 2013.

Constatant que ces articles étaient accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, le requérant fait une requête auprès du moteur de recherche afin de voir supprimer les liens litigieux. Face au refus du « géant du numérique », le requérant l’assigne aux fins de déréférencement.

La cour d’appel refuse de faire droit à la demande, estimant que :

  • l’infraction commise par l’intéressé (escroquerie au préjudice du fisc) avait un intérêt pour le public au regard de son activité professionnelle dès lors qu’il était amené, en sa qualité d’expert-comptable, à donner des conseils de nature fiscale à ses clients et que ses fonctions de commissaire aux comptes appellent une probité particulière,
     
  • en tant que membre d’une profession réglementée, le prévenu occupait un rôle dans la vie publique.

Le juge d’appel en déduit que l’intérêt des internautes à avoir accès à cette information prévaut sur le droit à la protection des données personnelles du requérant.

Le requérant forme alors un pourvoi en cassation. La haute juridiction est saisie de la problématique suivante : un particulier peut-il légitimement réclamer le déréférencement d’un lien révélant des données sensibles le concernant sans porter atteinte à la liberté d’information des internautes ?

La Cour de cassation répond par la positive, rappelant la nécessité d’opérer une balance des intérêts en présence. Elle censure ainsi les juges d’appel en ce qu’ils n’ont pas pris en compte la sensibilité des données en cause et la particulière gravité de l’ingérence dans les droits du prévenu au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, dans le cadre leur mise en balance des intérêts en présence.

La cour d’appel aurait en effet dû déterminer si l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats était strictement nécessaire à la protection de la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès aux pages internet concernées.

Cette solution s’inscrit en cohérence avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 septembre 2019 qui avait considéré que l’interdiction de traiter certaines catégories de données personnelles sensibles s’appliquait également aux exploitants de moteurs de recherche (CJUE, 24 sept. 2019, aff. C-136/17, GC, AF, BH, ED c. Commission nationale de l’informatique et des libertés, Dalloz actualité, 27 sept. 2019, obs. N. Maximin ; AJDA 2019. 1839 ; ibid. 2291, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2019. 2022 , note J.-L. Sauron ; Dalloz IP/IT 2019. 631, obs. N. Martial-Braz ; Légipresse 2019. 515 et les obs. ; RLDI 2019/163, n° 5580, obs. L. Costes).

Les données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté, si elles ne font pas partie de la catégorie des données sensibles à proprement parler, constituent une catégorie particulière de données dont le traitement est rigoureusement encadré (règl. [UE] 2016/679, 27 avr. 2016, RGPD, art. 10) au regard des risques qu’il comporte pour la vie privée des personnes.

Notons que le droit au référencement a été intégré à l’article 17 du règlement européen sur la protection des données du 27 avril 2016 (RGPD), entré en application le 25 mai 2018, intitulé « droit à l’effacement ». Le législateur européen a en effet repris la construction prétorienne du « droit à l’oubli » en allant plus loin et en consacrant un droit à l’effacement soumis au respect de certaines conditions.

On ne peut que saluer la décision de la Cour de cassation qui s’inscrit dans le courant actuel de renforcement des droits sur les données personnelles au profit d’une meilleure protection de la « vie numérique » des internautes.