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Écoutes téléphoniques : validité de la décision d’interception portant sur un boîtier IMEI

La décision d’interception du juge d’instruction répond aux exigences légales lorsqu’elle est limitée à l’interception des communications des seules lignes téléphoniques identifiées à partir du boîtier de téléphone, dont le numéro d’identification était précisé. 

par Sébastien Fucinile 3 janvier 2018

Par un arrêt du 28 novembre 2017, la chambre criminelle s’est prononcée sur la légalité de la mesure consistant pour le juge d’instruction à délivrer une commission rogatoire en vue de procéder à des interceptions de correspondances téléphoniques émises en détention à partir d’un boîtier IMEI, dont le numéro d’identification était précisé, sur le fondement de laquelle les enquêteurs se sont adressés à plusieurs opérateurs mobiles pour procéder à l’interception des différentes lignes utilisées depuis ce boîtier. La Cour de cassation a affirmé, dans un premier temps, qu’un tel dispositif ne constituait pas « un appareil ou un dispositif technique entrant dans les prévisions des articles 706-95-4 et suivants » du code de procédure pénale. Elle a dans un second temps ajouté que « dès lors qu’elle était limitée à l’interception des communications des seules lignes téléphoniques identifiées à partir du boîtier de téléphone, dont le numéro d’identification était précisé, et qui avait été désigné par les enquêteurs au juge d’instruction comme étant en possession [du mis en examen], la décision d’interception, d’enregistrement et de transcription des correspondances répondait aux exigences des articles 100 et suivants du code de procédure pénale ». Cette décision, qui conduit ainsi à affirmer que le juge d’instruction peut autoriser, par une seule et même commission rogatoire, le placement sur écoutes de toutes les lignes utilisées depuis un même boîtier téléphonique, est nouvelle et appelle plusieurs observations.

Le mis en examen estimait que l’acte d’investigation qui avait été mis en œuvre ne constituait pas une interception de correspondances téléphoniques mais un recueil de données à partir d’un IMSI catcher. Le recours à un tel dispositif durant l’enquête et l’instruction est possible depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (sur cette loi, v. S. Fucini, Ce que prévoit la loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, Dalloz actualité, 14 juin 2016 isset(node/179548) ? node/179548 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>179548 ; D. Goetz, Terrorisme : accord de la commission mixte paritaire, Dalloz actualité, 18 mai 2016 isset(node/179009) ? node/179009 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>179009). Cet acte d’investigation est désormais prévu aux articles 706-95-4 et suivants du code de procédure pénale, et ne peut être utilisé qu’en matière de terrorisme et de criminalité organisée. L’article 706-95-5, I, prévoit notamment que « si les nécessités de l’information relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 du présent code l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser les officiers de police judiciaire à utiliser un appareil ou dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal [c’est-à-dire un IMSI catcher] afin de recueillir les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur, ainsi que les données relatives à la localisation d’un équipement terminal utilisé ». Une telle autorisation ne peut être donnée que pour deux mois, renouvelable deux fois. Pour écarter l’applicabilité de ces dispositions, ce qui aurait entaché l’acte de nullité puisqu’il n’a pas été mis en œuvre conformément à l’article 706-95-5, la chambre criminelle se contente d’affirmer « que le dispositif mis en place, au moyen de réquisitions à des opérateurs privés de télécommunications, ne constitue pas un appareil ou dispositif technique » au sens de cette disposition.

Cette affirmation ne fait aucun doute : les écoutes n’ont pas été réalisées à l’aide d’un IMSI catcher mais par des réquisitions adressées aux opérateurs téléphoniques, ce qui correspond à des interceptions classiques de correspondances téléphoniques au sens des articles 100 et suivants du code de procédure pénale. Cependant, la difficulté tient à ce que les différentes lignes téléphoniques placées sur écoutes ont été identifiées comme étant celles utilisées à partir d’un boîtier téléphonique déterminé, identifié par son numéro IMEI. Or, rien ne permet de savoir comment les enquêteurs ont, d’une part, identifié le boîtier téléphonique et, d’autre part, déterminé les lignes téléphoniques utilisées à partir de ce boîtier. L’IMSI catcher permet, outre l’interception de correspondances téléphoniques émises à proximité de l’appareil, l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur. La chambre de l’instruction se contente de relever que les enquêteurs, sans recourir à un IMSI catcher ou à un autre acte d’investigation, avaient identifié le numéro IMEI du boîtier téléphonique en possession du mis en examen alors incarcéré. Le manque d’information ne permet pas de savoir si cet élément a été légalement recueilli, mais la chambre criminelle reste silencieuse sur ce point.

Ensuite, la chambre criminelle estime que le juge d’instruction, peut, par une commission rogatoire unique, autoriser l’interception des correspondances téléphoniques émises sur plusieurs lignes différentes à partir de la seule identification du boîtier IMEI. Cette affirmation est étonnante tout en étant contradictoire avec la distinction qu’elle a préalablement opéré entre les interceptions de correspondances téléphoniques relevant des articles 100 et suivants et les interceptions de communications opérées à l’aide d’un IMSI catcher relevant des articles 706-95-4 et suivants. Il s’agissait en l’espèce d’écoutes téléphoniques classiques puisqu’elles avaient été mises en place au moyen de réquisitions à des opérateurs privés de télécommunications. Or, précisément, les articles 100 et suivants ont pour objet le placement d’une ligne téléphonique sur écoute, et non pas le placement sur écoute d’un boîtier téléphonique.

Ensuite et surtout, l’affirmation de la chambre criminelle semble en contradiction avec les articles 100 et suivants du code de procédure pénale. L’article 100 prévoit qu’« en matière criminelle et correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques ». L’article 100-1 précise que la décision prise par le juge d’instruction en application de l’article 100 « doit comporter tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, l’infraction qui motive le recours à l’interception ainsi que la durée de celle-ci ». La chambre criminelle avait ainsi relevé, il y a quelques années, que « les mentions relatives au numéro de la ligne et à l’identité de ceux qui l’utilisent figurant sur les commissions rogatoires sont suffisantes au regard des exigences de l’article 100-1 du code de procédure pénale » (Crim. 25 févr. 2003, n° 02-87.745). Le principal élément d’identification de la liaison à intercepter est ainsi le numéro de la ligne téléphonique, constituant la liaison au sens de l’article 100-1. Cependant, le boîtier téléphonique, identifié à partir de son numéro IMEI, ne constitue en aucun cas une « liaison » mais un équipement terminal, à partir duquel plusieurs lignes téléphoniques, donc plusieurs liaisons, peuvent être utilisées. La décision du juge d’instruction qui, outre les éléments de motivation justifiant la mesure, comporte la seule identification du numéro IMEI du boîtier téléphonique, ne semble pas répondre aux exigences de l’article 100-1.

De surcroît, sur le fondement de cette seule commission rogatoire, n’identifiant pas une liaison mais un équipement terminal, les enquêteurs ont requis plusieurs opérateurs téléphoniques pour procéder aux interceptions des correspondances de plusieurs lignes téléphoniques, à savoir toutes celles utilisées à partir du boîtier IMEI identifié. Or, les articles 100 et suivants du code de procédure pénale laissent penser qu’une décision d’interception doit être prise par le juge d’instruction pour chaque ligne placée sur écoute. En principe, ce n’est donc que par l’identification de la liaison à intercepter que l’officier de police judiciaire peut valablement, sur commission rogatoire, requérir l’opérateur pour l’interception des correspondances. L’article 100-1 du code de procédure pénale vise précisément à garantir le caractère justifié et proportionné de l’atteinte à la vie privée résultant de la mesure. Sans identification de la liaison à intercepter et par la seule identification d’un équipement terminal par le biais duquel plusieurs lignes téléphoniques peuvent être utilisées, les garanties offertes par l’article 100-1 sont amoindries. En définitive, il aurait été préférable, pour ne pas encourir la critique, que le juge d’instruction prenne une nouvelle décision d’interception à chaque identification d’une ligne téléphonique susceptible d’être utilisée par le mis en examen.