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Écrou extraditionnel : précisions sur la demande de mise en liberté

La Cour de cassation vient apporter d’utiles précisions sur la procédure à suivre devant la chambre de l’instruction en cas de demande de mise en liberté présentée par une personne placée sous écrou extraditionnel.

par Hugues Diazle 26 février 2020

Un ressortissant brésilien, possédant également la nationalité française, a été condamné pour des faits d’homicide par la chambre criminelle du tribunal de Sao-Gabriel : visé par un mandat d’arrêt, il a été placé sous écrou extraditionnel par le délégué du premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 30 mai 2018. Après avoir sollicité de l’État requérant des précisions complémentaires, la chambre de l’instruction a finalement rendu un avis favorable à la demande d’extradition par un arrêt du 16 janvier 2019. L’intéressé a alors formé un pourvoi en cassation arguant de ce que la cour n’avait pas valablement répondu à l’argument selon lequel la mesure d’extradition risquait de l’exposer à des traitements inhumains et dégradants. La chambre criminelle a rejeté son pourvoi après avoir retenu que les juges du fond avaient valablement recherché, comme ils le devaient, s’il bénéficierait, en cas de remise, de la garantie de ne pas être exposé à de tels traitements, notamment après avoir examiné les engagements pris à cet égard par l’État brésilien (Crim. 11 déc. 2019, n° 19-81.092, Dalloz jurisprudence).

Par déclaration du 9 octobre 2019, la chambre de l’instruction a été saisie d’un mémoire intitulé « Requête en annulation de la procédure d’extradition et en demande de mise en liberté », qu’elle rejetait par arrêt du 23 octobre 2019, contre lequel était exercé un nouveau recours en cassation.

Il faut ici rappeler que l’extradition est une procédure à caractère international au terme de laquelle un État requis organise la remise de l’auteur d’une infraction trouvé sur son territoire afin qu’un État requérant puisse le juger ou lui faire exécuter sa peine (v. not. Dalloz actualité, 3 sept. 2019, obs. D. Goetz). Le « droit commun de l’extradition a trouvé son premier fondement législatif avec la loi du 11 mars 1927 sur l’extradition des étrangers, laquelle a été abrogée par la loi du 9 mars 2004 qui l’a codifiée dans le code de procédure pénale aux articles 696 à 696-24 et 696-34 à 696-47. En plus du droit commun, le code de procédure pénale comprend également, aux articles 696-25 à 696-33, des dispositions relatives à la procédure simplifiée d’extradition entre les États membres de l’Union européenne » (Cons. const. 9 sept. 2016, comm. de la décis. n° 2016-561/562 QPC).

Placée sous écrou extraditionnel, la personne peut, à tout moment de la procédure, demander à la chambre de l’instruction sa mise en liberté selon les modalités prévues aux articles 148-6 et 148-7 (C. pr. pén., art. 696-19, al. 1er). Par arrêt rendu dans les conditions prévues à l’article 199 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction doit alors statuer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les vingt jours de la réception de la demande, réduits à quinze jours si la demande de mise en liberté a été formée dans les quarante-huit heures de la mise sous écrou (C. pr. pén., art. 696-19, al. 2). S’appuyant notamment sur le renvoi à l’article 199, la doctrine semblait jusqu’alors considérer que cette procédure devait se tenir en chambre du conseil – la jurisprudence de la chambre criminelle n’apparaissant pas sur ce point parfaitement lisible (Crim. 10 févr. 1987, n° 86-96.131 ; 24 nov. 2004, n° 04-85.365, D. 2005. 113  ; 9 nov. 2005, n° 05-85.096, Bull. crim. n° 289 ; 26 juill. 2006, n° 06-83.971, Dalloz jurisprudence).

Dans un premier moyen de cassation, le demandeur au pourvoi reprochait précisément à la chambre de l’instruction d’avoir tenu les débats, puis rendu son arrêt, en audience publique, en méconnaissance selon lui des dispositions susvisées. La réponse que vient lui apporter la Cour de cassation lève définitivement toute difficulté d’interprétation au sujet de la publicité de l’audience : « il se déduit des termes de l’article 696-19 du code de procédure pénale qui renvoie aux dispositions de l’article 199 du même code que, si la personne placée sous écrou extraditionnel qui sollicite sa mise en liberté est majeure, les débats se déroulent et l’arrêt est rendu en audience publique, sauf décision contraire de la chambre de l’instruction rendue sur opposition du ministère public, de la personne ou de son avocat ».

Dans un deuxième moyen de cassation, le demandeur au pourvoi contestait le rejet de l’exception de nullité tirée de l’inapplicabilité alléguée d’une convention d’extradition franco-brésilienne. Pour rappel, le mémoire saisissait la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté, mais également d’une requête en annulation de la procédure, ce qui mérite à ce stade quelques clarifications complémentaires.

En effet, si le Conseil constitutionnel a pu juger conforme à la Constitution l’article 696-11 du code de procédure pénale (relatif au placement sous écrou extraditionnel), il a toutefois pu formuler un certain nombre de réserves d’interprétation (Cons. const. 9 sept. 2016, n° 2016-561/562 QPC, D. 2016. 1757 ; Constitutions 2016. 536, chron. ). Plus spécifiquement, le Conseil s’est attaché à garantir l’exercice d’un recours juridictionnel effectif contre la décision de placement sous écrou, étant observé qu’une telle décision n’est pas susceptible d’être frappée d’appel. Après avoir relevé la possibilité offerte à la personne écrouée de demander à tout moment sa mise en liberté, le Conseil a ajouté qu’à « cette occasion, [la personne détenue devait pouvoir] faire valoir l’irrégularité de l’ordonnance de placement sous écrou extraditionnel » (ibid., consid. 14).

S’appuyant très probablement sur cette réserve d’interprétation, la défense avait cherché, au bénéfice de sa demande de mise en liberté, à se prévaloir d’une irrégularité procédurale. Néanmoins, la Cour de cassation vient objecter que « la décision d’avis favorable à l’extradition donné par la chambre de l’instruction, devant laquelle il appartenait à l’intéressé de contester l’applicabilité de la convention franco-brésilienne, étant définitive, le moyen est devenu sans objet ». Assez logiquement, la réserve constitutionnelle ne semble valoir que pour garantir l’exercice d’un recours effectif préalablement à l’avis définitif de la chambre de l’instruction, toute contestation procédurale devenant par la suite sans objet.

Dans un troisième et dernier moyen de cassation était enfin soutenu, d’une part, que la personne écrouée disposait de liens affectifs et sociaux avec la France ainsi que de sérieuses garanties de représentation, d’autre part, que la chambre de l’instruction n’avait pas recherché si les autorités françaises avaient conduit la procédure d’extradition avec une diligence suffisante au regard de la durée de la privation de liberté.

Il faut ici préciser que, selon le Conseil constitutionnel, l’autorité judiciaire doit contrôler la durée de l’incarcération en tenant compte notamment des éventuels recours exercés et des délais dans lesquels les autorités ont statué : ce « contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention, dans le cadre de la procédure d’extradition, excède un délai raisonnable » (ibid., consid. 20). Selon une approche identique, la Cour de cassation juge que la procédure d’extradition doit être menée avec toute la diligence requise et dans le respect des prescriptions de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (Crim. 5 oct. 2016, n° 16-84.669 B, Dalloz actualité, 27 oct. 2016, obs. S. Fucini ; 8 juin 2016, n° 16-81.912, Bull. crim. n° 175 ; Dalloz actualité, 29 juin 2016, obs. C. Fonteix ; D. 2016. 2067 ), alignant de fait sa jurisprudence avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme (v. not. CEDH 24 juin 2015, req. n° 11620/07, G.S. c. Italie).

Au cas de l’espèce, la haute juridiction vient rejeter le grief dans la mesure où « la chambre de l’instruction qui, ayant examiné la diligence avec laquelle la procédure a été conduite par les autorités françaises, en conclut que la durée de la privation de liberté de la personne placée sous écrou extraditionnel n’est pas excessive et dont les énonciations de l’arrêt mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer qu’elle s’est déterminée par référence aux garanties offertes par l’intéressé en vue de satisfaire à la demande d’extradition n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ».