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EDM et la magistrature : je t’aime, moi non plus

Les deux principaux syndicats de magistrats ont indiqué jeudi ne plus vouloir rencontrer le ministre de la justice et en appellent au chef de l’État pour mettre un terme au conflit d’intérêts auquel serait confronté Éric Dupond-Moretti après l’ouverture d’une enquête administrative sur le parquet national financier (PNF).

par Pierre-Antoine Souchardle 2 octobre 2020

Rachida Dati et Éric Dupond-Moretti ont au moins un point commun. Celui d’avoir réussi à se mettre à dos les syndicats de magistrats en un temps record.

Jeudi, lors d’une conférence de presse commune, les présidentes du Syndicat de la magistrature (SM) et de l’Union syndicale des magistrats (USM), Katia Dubreuil et Céline Parisot, ont déclaré ne plus vouloir rencontrer le ministre en situation de conflit d’intérêts, selon elles, depuis l’ouverture d’une enquête administrative sur trois magistrats du PNF.

Ces trois magistrats, dont l’ex-cheffe du PNF, étaient chargés de la procédure visant à identifier la « taupe » qui a averti Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoutes dans une affaire de corruption.

Dans cette affaire, les fadettes de plusieurs avocats – dont celle de Me Dupond-Moretti –, mais également de magistrats, ont été épluchées. L’informateur n’a jamais été identifié au terme de six années de procédure. L’avocat Dupond-Moretti a porté plainte contre le PNF, avant de la retirer une fois nommé ministre de la justice.

Si la première inspection de fonctionnement du PNF a été ordonnée par l’ex-ministre de la justice, Nicole Belloubet, l’enquête administrative l’a été par Éric Dupond-Moretti. Les syndicats ont beau jeu de rappeler la « porosité » entre l’Inspection générale de la justice (IGJ) et le ministre de la justice.

Ils reprochent à ce dernier, concerné par une affaire lorsqu’il était avocat, d’utiliser ses prérogatives de garde des Sceaux pour régler ses comptes. Ils dénoncent une « difficulté démocratique et institutionnelle majeure ».

Par ricochet, cette enquête administrative déstabilise le PNF, une institution qui a fait preuve de son efficacité dans la lutte contre la délinquance financière. « Le ministre de la justice apporte de l’eau au moulin » des détracteurs du PNF, selon Mme Parisot. Elle arrive à quelques mois du procès de Nicolas Sarkozy, de son avocat Thierry Herzog, et d’un ex-haut magistrat, Gilbert Azibert, dans cette affaire de corruption supposée. L’alignement idéal des planètes, selon Céline Mamelin, trésorière de l’USM.

Fait exceptionnel, les deux plus hauts magistrats du pays, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, procureur général près la Cour, se sont, dans une tribune publiée mardi dans Le Monde, inquiétés de la « situation inédite dans laquelle se trouve l’institution » depuis l’ouverture de cette enquête administrative.

Désormais, c’est la guerre froide. « Nous refusons de rencontrer un ministre qui n’a jamais répondu à nos sollicitations », souligne Céline Parisot. « Il n’y a pas de dialogue. Il distille des petites phrases », renchérit Katia Dubreuil. La garde des Sceaux, selon les syndicats, n’a pas répondu aux interrogations des syndicats sur les remontées d’informations dans les dossiers qu’il avait lorsqu’il était avocat.

Sans jamais demander la démission du ministre, les deux syndicats en appellent au président de la République, garant de l’indépendance de la magistrature, pour trouver une solution. « Le président de la République a choisi Éric Dupond-Moretti. Il doit trouver une solution. » Ils lui ont d’ailleurs écrit mi-septembre. Et se donnent un mois avant d’aviser.

Les attaques incessantes du garde des Sceaux sur leur corporatisme supposé heurtent les magistrats. Celui qui devrait les défendre les pilonne. Ce n’est pas tant la nomination d’une avocate à la direction de l’École nationale de la magistrature (ENM) que les propos qui l’ont accompagnée. « Traditions surannées », « tentation du vase clos et de l’entre-soi » ont fait déborder le vase.

Depuis, de nombreuses assemblées générales se sont tenues dans les juridictions (quatre-vingt-deux, selon les deux syndicats).

« Nommer une avocate, première femme à la tête de l’ENM, c’est un coup de génie. Mais il a tout gâché en se faisant plaisir pour pas cher », constate un magistrat passé par la Chancellerie. « C’est dommage, parce qu’il a obtenu une augmentation historique du budget de la justice », poursuit-il.

Avant cette conférence de presse, le ministre a reçu des représentants syndicaux à l’occasion d’un comité technique ministériel (CMT). Selon son entourage, il aurait pris la défense (quoi de plus normal pour un avocat) des magistrats de l’IGJ, qui travaillent « en toute indépendance ».

Ensuite, il a expliqué que c’est le bureau de la déontologie de la Direction des services judiciaires qui a estimé que les faits mis en évidence dans le rapport « pouvaient recevoir des qualifications disciplinaires ». « Ne pas donner suite aux recommandations de ses services aurait pu lui être reproché », fait valoir cette même source. Avant d’ajouter que la porte du ministre « était toujours ouverte ». Porte ouverte et écoute close ?

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