Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Éducatrice, journaliste, CGLPL : Dominique Simonnot, une vie marquée par la prison

Dominique Simonnot, la nouvelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), est une ancienne figure de la presse judiciaire. Rencontre. 

par Gabriel Thierryle 30 novembre 2020

Sa dernière audience au tribunal judiciaire de Paris pour Le Canard enchaîné lui a broyé le cœur. Mais Dominique Simonnot, alors journaliste à l’hebdomadaire satirique, a eu au moins une satisfaction. Celle de voir un magistrat prononcer des aménagements de peine ab initio – la loi Justice de 2019 a abaissé le seuil d’aménagement d’une peine d’incarcération à un an, contre deux ans auparavant. À 68 ans, cette figure de la presse judiciaire française entame une nouvelle vie.

L’ancienne journaliste à la plume acide est depuis plus d’un mois la nouvelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Elle dirige désormais la trentaine d’agents de l’autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux dans tous les lieux de privation de liberté, des établissements pénitentiaires, évidemment, aux locaux de garde à vue, de rétention douanière aux centres éducatifs fermés, une liste pas exhaustive.

Son arrivée au poste de contrôleuse générale, après, selon Le Monde, des approches de l’Élysée auprès du conseiller d’État Christian Vigouroux et de la journaliste Florence Aubenas, n’était pourtant pas évidente. « J’ai d’abord dit non » à ce mandat de six ans, confie Dominique Simonnot à Dalloz actualité. Cigarette à la main dans le petit patio intérieur de l’immeuble du XIXe arrondissement qui abrite ses nouveaux locaux, cette femme menue au regard vif, cheveux bouclés et dents du bonheur ajoute aussitôt « puis j’ai considéré l’occasion de pouvoir me consacrer à un job qui résume toute ma vie de journaliste ».

Ses premières priorités

Après des premières semaines dédiées à sa prise en main du poste et des visites dans des lieux de privation de liberté – elle s’est déplacée au centre de rétention administrative et à l’hôtel de police de Coquelles, dans le Pas-de-Calais, et au commissariat d’Aubervilliers, en banlieue parisienne –, la contrôleuse générale a ses axes de travail en tête. La crise sanitaire, d’abord, avec un courrier envoyé aux ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Santé. « La covid-19 flambe, mais rien n’est fait pour reprendre la même mécanique qu’au printemps, s’inquiète-t-elle. C’est troublant, regrettable, et même inconscient. Dans les cellules en garde à vue, on se retrouve à trois. C’est un scandale pour les policiers et les gens placés. Le ministre de l’Intérieur parle d’ensauvagement. Qu’il visite donc les locaux où il laisse pourrir ses troupes. Je me demande qui est bien sauvage. »

Après l’urgence de la pandémie viendra le temps de l’accompagnement des décisions du Conseil constitutionnel – comme celle du 2 octobre dernier sur la possibilité, pour les personnes en détention provisoire, de saisir le juge en cas d’incarcération dans des conditions indignes. Mais aussi la question de la privation de liberté dans les hôpitaux psychiatriques. Et, plus largement, sur tous ces « petits droits », combats du quotidien : ne plus devoir enlever son soutien-gorge pour des déplacements en détention ou ne plus se retrouver à la porte de la prison, à la nuit, avec un seul ticket de métro.

« Elle n’a peur de rien »

Son arrivée à ce nouveau poste est saluée par ses proches. « Dominique Simonnot n’a peur de rien, elle est courageuse et rien ne l’arrête, rappelle l’ancien magistrat Serge Portelli, un vieil ami. Mais va-t-on pour autant l’écouter alors que nous sommes dans un contexte épouvantable ? » Nageuse à ses heures perdues, Dominique Simonnot peut s’emporter à la fois contre l’injustice du monde carcéral tout en pestant contre les dangereux cyclistes du quai de la Loire, le siège du CGLPL. « Elle a un caractère bien trempé et beaucoup d’éthique », résume une ancienne de Libération, son premier journal. « Elle ne court pas après le fric ni le succès, et n’hésitera pas à partir en cas de désaccord », ajoute cette source. « Elle est drôle, dynamique, met une ambiance d’enfer, et en même temps elle a la puissance de travail d’un char d’assaut », se souvient de son côté le journaliste François Reynaert, un ancien de Libération.

Un temps tentée par la profession de magistrat, Dominique Simonnot, alors une « post-soixante-huitarde assez rebelle », selon ses propres mots, étudie le droit à Paris I après avoir enchaîné des petits boulots après son bac, obtenu en 1971. « Le droit m’a passionné, j’aime beaucoup le raisonnement que cette matière implique », explique-t-elle. À la demande du chargé de travaux dirigés de droit pénal, elle se rend un jour à la 23e chambre correctionnelle, celle des flagrants délits. « Tout était en décalage avec les manuels, se souvient-elle. Il n’y avait aucune sérénité, aucune recherche de preuve, aucun temps pris pour réfléchir à qui on juge. »

Une expérience fondatrice : plus tard, devenue journaliste, ses chroniques judiciaires de ces audiences correctionnelles vont devenir sa marque de fabrique. « Ses articles, une piqûre de rappel médiatique importante, ont permis de continuer à garder un œil sur ces affaires du quotidien », salue Me Francis Szpiner. En quelques lignes bien ciselées, sans commentaire, dans les colonnes de Libération d’abord, puis dans celles du Canard enchaîné, Dominique Simonnot fait le décompte des échanges poignants qui suffisent parfois à envoyer un prévenu au trou.

« Les comparutions immédiates, cela en dit beaucoup sur notre société, remarque-t-elle. C’est une justice d’abattage, expéditive, la plus grande pourvoyeuse en prison. Comme me l’a dit un juge, c’est plus simple d’envoyer quelqu’un en détention que de trouver une autre solution. Mais il faudrait que ce soit l’inverse. » Un miroir réaliste tendu à la justice, remarque ce magistrat niçois, qui ne reflète toutefois pas toute la justice pénale.

Sa vocation initiale, éducatrice

Un engagement, et non du militantisme, « trop compliqué » à ses yeux, précisera Dominique Simonnot aux parlementaires lors de ses auditions par les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Qui ont largement approuvé sa nomination avec 22 voix pour et 18 contre – un veto parlementaire aurait nécessité les trois cinquièmes des suffrages exprimés de ces deux commissions. Il y a eu quelques réserves. « Vos prédécesseurs avaient, avant leur nomination, des fonctions de fonctionnaire d’État ou de magistrat qui les prédisposaient peut-être davantage à ces fonctions », observera en commission des lois le député Didier Paris.

La belle carrière de Dominique Simonnot dans la presse ne doit pas occulter sa vocation initiale, éducatrice. « La dernière roue du carrosse, c’est la justice, la prison et nous, les éducateurs », lâche-t-elle encore aujourd’hui. Embauchée au comité de probation et d’assistance aux libérés de Nanterre en 1979, elle essaye de faire avancer concrètement ses idées : moins de prison, plus de réinsertion.

Dans son bureau, on retrouve parfois sa fille, alors enfant, en train de trier les dossiers. Elle suivra l’engagement de sa mère en travaillant pour une association œuvrant pour les détenus. « Nous étions une bande très soudée, on faisait notre boulot et on se marrait beaucoup, car nous avions une institution, l’administration pénitentiaire, qui n’avait rien à faire de notre travail », souligne Isabelle Gauthier, une ancienne collègue. Quitte à tambouriner aux portes des hôtels, à essuyer un coup de feu ou être à deux doigts, comme « Domi », de se prendre une armoire sur la tête.

De cette époque, Dominique Simonnot dit avoir découvert comment « les gens qui ne sont rien se heurtent à des montagnes ». « Cela devenait nos montagnes, et cela nous énervait, poursuit-elle. On passait notre temps à appeler les foyers d’hébergement pour avoir des places. Mais on se heurtait à des règles absurdes. » Exemple avec ce jeune homme de 19 ans, face à Dominique Simonnot dans son bureau de Nanterre. Au bout du fil, le responsable d’un foyer.

— Avez-vous une place pour lui ?, demande-t-elle.

— C’est à lui de faire la démarche, lui répond-on.

— Je vous le passe ?

— Non, il doit rappeler.

— Vous voulez qu’il aille à la cabine en bas ?

— Oui, ce serait mieux.

Autre anecdote à propos de son ancien job. Au bureau, un de ses probationnaires s’empare de ses clés alors qu’elle est partie faire des photocopies. À son retour à domicile, elle découvre son appartement cambriolé. « À l’audience, on m’a demandé si j’étais certaine que c’était lui, glisse Dominique Simonnot. Mais je ne pouvais pas le jurer, même si on avait retrouvé mon portefeuille dans les chiottes d’un hôpital où il se fournissait en méthadone. Cela pouvait être quelqu’un d’autre. Le procureur était fou de rage, mais je ne pouvais pas aller contre mes convictions. » Le prévenu sera relaxé. Elle n’hésite par contre pas à révoquer la conditionnelle de cet autre probationnaire, qui lui crache à la figure en retour. « Mais si je n’avais rien fait, il serait peut-être mort, confie-t-elle. Il vendait de la fausse héroïne dans son quartier. »

Et de s’interroger sur ses anciens clients, principalement des toxicomanes et petits voleurs. « À quoi cela sert-il de les mettre en prison ? Aujourd’hui, les juges sont moins folkloriques, plus policés, plus technos. Mais malheureusement, le résultat est le même, la prison tombe à chaque fois. »