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Efficacité de la justice en Europe : comparer ce qui est comparable

Jeudi 4 octobre était présenté le rapport 2018 (données 2016) de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEJEP). Reconnu comme un outil statistique de référence, il s’accompagne désormais d’une base de données interactive accessible au public. Budget des juridictions, professionnels de la justice, usagers et efficacité des tribunaux des 45 États membres du Conseil de l’Europe ayant participé à l’exercice sont comparativement analysés.

par Maud Lénale 9 octobre 2018

Jean-Paul Jean, président du groupe de travail de la CEPEJ, et Stéphane Leyenberger, chef de la Division pour l’indépendance et l’efficacité de la justice, ont commencé la présentation de ce septième cycle biennal d’évaluation par un avertissement : « comparer n’est pas classer » ! En effet, cela n’a aucun sens de comparer le nombre de magistrats pour 100 000 habitants en France, pays où les juges sont majoritairement professionnels (mais pas toujours : conseils des prud’hommes, tribunaux de commerce), et en Angleterre et au Pays de Galles où une part très importante des affaires est jugée par des magistrats non professionnels, ou bien de comparer les systèmes informatiques de pays de tradition juridique ancienne (où il faut accompagner des évolutions partant de systèmes existants et lourds) et de la Slovénie (qui s’est construit un système presque clé en main, moderne et perfectionné, mais à partir de rien). Il s’agit donc, pour que les comparaisons aient un sens, de les réaliser en sélectionnant des groupes d’États pertinents, en fonction par exemple de leur taille, de leur système judiciaire (États de droit romain/de common law), de leur situation économique et historique (États de la zone euro ; États de transition), etc.

Le budget des systèmes judiciaires européens

Le premier poste d’études, toujours très commenté, est celui du budget des systèmes judiciaires. Rappelons tout d’abord que la notion doit être entendue au sens de de la CEPEJ, c’est-à-dire se concentrant sur les budgets alloués aux tribunaux, au ministère public et à l’aide judiciaire, à l’exclusion donc du budget de l’administration pénitentiaire – ce que l’on peut au passage regretter et en profiter pour suggérer modestement à la commission une évolution sur ce point. Dans la plupart des pays, l’évolution du budget alloué au système judiciaire suit celle des dépenses publiques ; c’est donc la stabilité qui est la caractéristique essentielle ici. La moyenne est de 64,5 € par habitant, la médiane de 52,7 €. Dans un groupe comparable en termes de PIB, l’Allemagne (121,9 € par habitant), les Pays-Bas (119,2) ou la Suède (118,6) sont des pays qui investissent beaucoup pour la justice. La France (65,9) mais aussi la Finlande (76,5) ou la Belgique (82,3) font « moins d’efforts ». En revanche, selon le rapport, seuls trois États prévoient l’accès au tribunal sans frais : le Luxembourg, l’Espagne et la France. Et si l’on m’a fait observer (merci chers amis twittos) que ce n’est pas tout à fait exact pour notre pays en raison des timbres, dépens et droits fixes de procédure au pénal, nous sommes très très loin de l’Autriche où les droits de procédure payés par les parties dépassent largement les coûts de fonctionnement de l’ensemble du système judiciaire. 

Les professionnels de la justice

S’agissant des magistrats du siège, le tableau met en évidence des disparités considérables, y compris entre pays de taille et de niveau de revenus comparables, en raison comme il a été dit de la part très variable des procédures pouvant être prises en charge par des juges non professionnels. La féminisation des juges professionnels est une tendance européenne globale mais la parité diminue au fur et à mesure que l’on grimpe les échelons : en première instance, 57 % des magistrats sont des femmes (67 % en France), mais elles sont seulement 39 % à être présidentes de leur juridiction (39 % également), et au niveau des cours suprêmes 37 % des postes sont occupés par des femmes (49 %), mais seuls 25 % dirigent une haute juridiction (aucune femme en France en 2016). Les pays du Nord, contrairement à ce que l’on peut parfois imaginer, ne sont pas des modèles en la matière (par exemple, en Suède, 67 % des juges de la Cour suprême sont des hommes).

Au niveau européen, la charge de travail des procureurs reste très importante, mais peut-être un tout petit peu moins qu’en 2014. Le constat n’est pas vrai en France, dans laquelle la CEPEJ reconnaît « incontestablement » que se trouvent les parquets les plus chargés, à l’aune des trois critères qu’elle étudie principalement, soit le nombre de procureurs pour 100 000 habitants (3 en France pour une moyenne européenne de 12 et une médiane de 11), le nombre de procédures reçues pour 100 000 habitants (7,5 en France pour une moyenne de 3,1 et une médiane de 2,1), le nombre de fonctions différentes exercées. L’Autriche et l’Italie ont également des parquets sous dotés.

Le nombre d’avocats continue d’augmenter, bien que moins rapidement que sur les exercices précédents (+ 3 %), ce qui peut certainement être perçu dans les pays d’Europe centrale comme un développement de l’État de droit. La moyenne est de 162 avocats pour 100 000 habitants, la médiane se situe à 119. Le plus petit nombre est de 9 avocats pour 100 000 habitants en Azerbaïdjan, les plus importants se trouvant au Luxembourg où l’on sait pourquoi, en Grèce ou en Italie (plus de 400). En France : 97,7 avocats pour 100 000 habitants.

L’efficacité des tribunaux

La CEPEJ mesure grâce à différents indicateurs la capacité des juridictions à faire face à leur charge de travail, et, corrélativement, la possibilité pour les justiciables d’obtenir une décision sur le fond dans un délai raisonnable. Le Clearance rate (taux de variation du stock d’affaires pendantes : au-dessus de 100 % le tribunal est capable de traiter plus d’affaires qu’il n’en reçoit et son arriéré diminue, en dessous l’arriéré augmente) global s’améliore, avec des performances notables pour huit pays (Bosnie-Herzégovine, Finlande, Malte, Slovénie, Slovaquie, Espagne, Grève et Monaco). Le Disposition Time moyen (durée estimée du stock d’affaires pendantes, qui mesure la durée théorique nécessaire pour qu’une affaire soit résolue) des affaires civiles et commerciales contentieuses s’est lentement mais constamment amélioré. En France et en Pologne, le Disposition Time a augmenté au fil du temps mais reste inférieur à un an. En ce qui concerne les affaires pénales, le Clearance Rate s’est nettement amélioré pour huit États dont la France (106 % contre 95 en 2014 ; moyenne et médiane à 101 %). Pour les affaires administratives, le Clearance rate français s’établit à 99 % et le Determination time à 314 jours (moyenne de 357, médiane de 192).

Enfin, pour la première année, la CEPEJ a mesuré l’impact des affaires relatives aux demandeurs d’asile, à l’entrée et au séjour des étrangers (on rappelle que les données datent de 2016). Elles ont eu un impact significatif sur les juridictions de neuf États. Le nombre de personnes déboutées de leurs demandes et qui sont allées devant les tribunaux est particulièrement important en Suède (13 448), en Italie (53 462), en France (39 986) et en Allemagne (181 996).

Toutes les données sont accessibles sur le site CEPEJ-STAT.