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« EGALIM 3 » : le droit des relations commerciales réformé à tâtons (Quatrième partie : l’application internationale du titre IV du livre IV du code de commerce)

La loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, souvent désignée « Egalim 3 » pendant la discussion parlementaire, a été publiée au Journal officiel du 31 mars. Elle poursuit plusieurs objectifs déjà présents dans les lois Egalim 1 et 2, mais s’en démarque par un recentrage sur les produits de grande consommation, plutôt que sur les produits alimentaires. Au programme, le rééquilibrage des négociations commerciales, l’accroissement des règles relatives aux pénalités logistiques, la répartition de la valeur au cours de la chaîne de distribution et l’application du droit français aux centrales d’achat internationales. Après avoir examiné les changements apportés aux négociations commerciales (Première partie, Deuxième partie et Troisième partie), il faut envisager l’application internationale du titre IV du livre IV du code de commerce.

Application interne. La loi du 30 mars 2023 est entrée en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, soit le 1er avril 2023, sauf pour les dispositions qui font l’objet d’une application différée1. Elle s’applique donc en principe immédiatement à l’ensemble des contrats conclus à compter de cette date, ce qui inclut les contrats conclus tardivement, à la suite d’une absence d’accord au 1er mars 2023.

Cette nouvelle réforme du droit des relations commerciales a été l’occasion de ratifier au passage les deux ordonnances du 24 avril 2019, relatives à l’action en responsabilité pour prix abusivement bas et portant réforme du titre IV du livre IV du code de commerce2. Cette ratification sèche permettra d’éviter la poursuite d’un contentieux relatif à la légalité des textes, qui s’était développé devant les juridictions administratives. Dans l’attente de sa ratification, les ordonnances étaient toujours dotées d’une valeur réglementaire, de sorte que le Conseil d’État était seul compétent pour apprécier leur légalité. C’est ce qui l’avait récemment conduit, à l’occasion d’une question préjudicielle posée par une juridiction civile, à affirmer la conformité de l’article L. 442-1 du code de commerce au regard de la loi d’habilitation3. Une fois les ordonnances ratifiées par le Parlement, il ne sera plus possible de contester le non-respect par le gouvernement des pouvoirs qui lui ont été donnés par la loi d’habilitation4. Les recours éventuels devront donc s’appuyer sur la non-conformité éventuelle du droit des négociations et des relations commerciales à la Constitution ou aux engagements internationaux de la France.

Application internationale. Mais la question la plus intéressante sur ce terrain est évidemment l’ambition du législateur de garantir l’applicabilité du titre IV du livre IV du code de commerce dans un contexte international5. L’applicabilité du droit français des relations commerciales à des opérateurs étrangers fait l’objet de vifs débats et d’un contentieux soutenu depuis plusieurs années, particulièrement au sujet de l’action du ministre. La volonté d’éviter les importantes prérogatives dont dispose l’administration en matière procédurale et probatoire explique d’ailleurs en partie la création et le développement de centrales d’achat à l’étranger. Perçues comme visant à délocaliser la négociation commerciale, elles ont fait l’objet de sanctions administratives prononcées par la DGCCRF en 2020 et 2022. C’est dans ce contexte d’« évasion juridique » que s’inscrivait la proposition de loi visant à « confirmer »6, présupposant donc la solution bien établie, que les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce s’appliquent à tous les produits et services commercialisés en France et la compétence des juridictions françaises. Les travaux parlementaires ont fait évoluer à plusieurs reprises la formulation retenue, sans pour autant qu’il soit certain que le texte finalement adopté présente bien l’efficacité attendue. Est créé un chapitre IV comportant un texte unique, l’article L. 444-1 A, qui prévoit l’application des articles L. 441-1 à L. 443-8 à « toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français » et la compétence exclusive des juridictions françaises pour les litiges portant sur leur application. Sont donc visées aussi bien les questions de compétence juridictionnelle des tribunaux français que de loi applicable au litige.

Compétence des juridictions françaises en matière de négociations et pratiques commerciales. Le processus d’adoption de la loi du 30 mars 2023 a été marqué par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 22 décembre 20227. Rendu à l’occasion d’actions du ministre français contre des centrales d’achat européennes, il a tranché la question de l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis en retenant que « la notion de “matière civile et commerciale”, au sens de cette disposition, n’inclut pas l’action d’une autorité publique d’un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis dans le premier État membre, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d’agir en justice ou des pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers ». La portée de cette décision, plus modeste que celle décrite dans des premiers commentaires alarmistes, est malgré tout importante.

Concrètement, il faut désormais distinguer deux situations. Pour les actions entre les parties, le règlement Bruxelles I bis continue à s’appliquer, l’action relevant de la matière civile et commerciale. En revanche, la juridiction compétente pour connaître l’action du ministre n’est pas déterminée en application du règlement Bruxelles I bis. Pour trancher la compétence juridictionnelle, il faudrait dès lors revenir au droit commun national8, ce qui ne règle pas nécessairement la question de manière satisfaisante9. Peut-être faut-il malgré tout réserver l’hypothèse où le ministre se contente de demander la cessation des pratiques ou la nullité des clauses, car la solution est limitée à la réunion de pouvoirs d’enquête et d’amende civile, éléments exorbitants10.

C’est dans ce contexte d’incertitude que le législateur a affiché l’ambition de donner compétence exclusive aux juridictions françaises pour connaître de l’application du droit de la négociation et des pratiques commerciales. La proposition de loi visait ainsi, de manière assez imprécise, « la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve de l’application d’une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen ou un traité...

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