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Éloges funèbres de la possibilité de rétractation anticipée

Le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire.

L’arrêt rapporté marque la fin de la possibilité de rétractation anticipée dans la promesse unilatérale de vente (v. déjà H. Barbier, La jurisprudence « Consorts Cruz » est morte, vive la clause « Consorts Cruz » !, ses obs. ss. Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, RTD civ. 2021. 630 ). Très critiquée (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, Bull. civ. III, n° 174 ; D. 1994. 507 , note F. Bénac-Schmidt ; ibid. 230, obs. O. Tournafond ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 ; ibid. 351, étude M. Azencot ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre ), elle mérite cependant quelques éloges funèbres, en raison de ce qu’elle symbolisait, à tort ou à raison. Il ne faut cependant pas exclure une forme de résurrection, ou du moins qu’elle revienne nous hanter. Mais avant de jeter ces regards vers le passé et l’avenir, rappelons les faits du présent arrêt.

Une personne avait vendu un ensemble de parcelles à une société. Le contrat contenait une convention par laquelle l’acquéreur devait exploiter par extraction des substances minérales, et les revendre au vendeur, si bon lui semblait, moyennant un euro symbolique à la fin de l’extraction. C’est cette convention de rétrocession, analysée en l’espèce comme étant une promesse unilatérale de revendre qui fait difficulté en l’espèce. L’acquéreur promettant rétracte en effet sa promesse de revendre. Le vendeur bénéficiaire l’assigne afin que les ventes soient déclarées parfaites, et que soit ordonnée leur réalisation forcée. La cour d’appel rejette ces demandes, estimant que la rétractation du promettant, intervenue avant la levée de l’option, excluait toute rencontre des consentements et faisait donc obstacle à la réalisation des reventes.

Il était donc question de savoir si la rétractation anticipée du promettant fait obstacle à la réalisation forcée de la vente projetée au profit du bénéficiaire.

La haute juridiction répond par la négative : la rétractation du promettant est impossible et, à moins d’une clause contraire, la réalisation forcée de la vente peut être ordonnée. Plus précisément, la Cour reprend sa solution rendue quelques mois plus tôt par laquelle elle changeait sa position sur la question de la rétractation anticipée du promettant dans la promesse unilatérale de vente (Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, D. 2021. 1574 , note L. Molina ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier, préc.) : « le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire ».

Portée de la clause de stipulation contraire

Tout est désormais dit : la possibilité de rétractation anticipée n’est plus. Certes, il y a toujours la possibilité de prévoir une « stipulation contraire ». Cette clause a été présentée comme une « clause de renonciation à l’exécution forcée de la promesse unilatérale » ou encore comme une « clause de révocabilité de la promesse » (H. Barbier, art. préc.).

Toutefois, le signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige toujours « définitivement » à vendre, même si une stipulation peut lui donner la possibilité de révoquer la promesse. On a relevé que « le dispositif pourrait tomber sous le coup de la prohibition des conditions purement potestatives (art. 1304-2) ou bien sous celui de l’article 1170 qui prohibe la clause qui “prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur” » (O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 184, note 202).

La faculté pour les parties d’inclure une telle « stipulation contraire » ne change donc pas vraiment l’annonce définitive de la mort de la possibilité de rétractation.

Éloges de la possibilité de rétractation, symbole de liberté, de propriété et de continuité

Quelques éloges doivent cependant être adressés à cette défunte possibilité, pour ce qu’elle symbolisait, à tort ou à raison.

D’abord, elle symbolisait la liberté contractuelle, entendue au sens de la liberté, pour le promettant, de contracter ou de ne pas contracter la vente éventuelle projetée, qui est distincte et autonome du contrat actuel de promesse (M. Fabre-Magnan, De l’inconstitutionnalité de l’exécution forcée des promesses unilatérales de vente, D. 2015. 826 ). Désormais, il faudra considérer que le promettant donne un consentement unique à la fois au contrat actuel de promesse et au contrat éventuel de vente, puisque le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige « définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat ».

Ensuite, elle symbolisait le droit de propriété du promettant. Cet aspect a été moins débattu, mais il fut un temps où l’on insistait davantage sur le fait que le promettant demeure propriétaire et assume les risques de la chose tant que le bénéficiaire n’a pas levé l’option (R.-J. Pothier, Traité du contrat de vente, 1777, Deburre et Orléans, Rouzeau-Montaut, n° 476 ; R.-T. Troplong, Le droit civil expliqué dans l’ordre du code civil. De la vente, t. 1, 4e éd., 1895, Charles Hingray, p. 143, n° 114 ; G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 3, 1884, Larose et Forcel, p. 273, n° 445 ; M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1902, Cotillon, p. 437, n° 1402 ; A. Colin et H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, t. 2, 1915, Dalloz, p. 414 s. ; L. Josserand, Cours de droit civil positif français, t. 2, 3e éd., 1939, Sirey, p. 639, n° 1072 ; v. cependant A.-M. Demante, continué par E. Colmet de Santerre, Cours analytique de code civil, t. 3, 1873, p. 21 s., n° 10 bis, qui a soutenu que le bénéficiaire avait une propriété conditionnelle), position réitérée plusieurs fois par la Cour de cassation elle-même (req. 20 janv. 1862, S. 1862. I. 708 ; 26 mai 1908, DP 1909. I. 425 ; 21 févr. 1910, S. 1910. I. 288). On considérait par conséquent que « le promettant peut aliéner la chose, ou la grever de droits réels, puisqu’il a conservé intactes ses prérogatives de propriétaire » (L. Josserand, op. cit.), et il ne pouvait être sanctionné que par une condamnation à des dommages et intérêts (M. Planiol, op. cit., p. 437, n° 1403), le bénéficiaire pouvant tout au plus exercer une action paulienne si les conditions étaient remplies (A. Colin et H. Capitant, op. cit. ; L. Josserand, op. cit.).

Il est vrai que dans l’arrêt rapporté, il ne s’agissait pas de la violation de la promesse par la vente de la chose à un tiers, mais de la rétractation. On pouvait cependant se demander si au fond, la défunte rétractation anticipée, comme la vente du bien promis à un tiers, n’était pas simplement un exercice abusif du droit de propriété par le promettant. Si tel était le cas, ne fallait-il pas sanctionner la rétractation par des dommages et intérêts comme dans le cas de la vente du bien à un tiers ? La sanction de la rétractation par la réalisation forcée de la vente touchait, au moins indirectement à ce droit qui est considéré comme « inviolable et sacré » (DDHC, art. 17). C’est ainsi du moins que l’on pourrait expliquer la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour à ce sujet et n’ayant pas donné lieu à un renvoi (Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 19-40.028, Dalloz actualité, 3 déc. 2019, obs. A. Gailliard ; D. 2019. 2037 ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; AJDI 2020. 386 , obs. F. Cohet ; RTD civ. 2019. 851, obs. H. Barbier ). La Cour semble considérer dans sa réponse que le promettant donne, comme « par avance » son consentement au transfert de propriété de son bien. La signature même de la promesse serait un acte de disposition de son bien par le promettant, et il ne manquerait pour parfaire cet acte de disposition que le consentement du bénéficiaire de la promesse.

L’arrêt sous étude va dans le même sens, car il ne s’agit que d’une mise en harmonie de la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question avec le nouvel article 1124 du code civil, inapplicable à l’espèce. C’est dans ce sens qu’on peut interpréter l’affirmation selon laquelle le promettant s’engage « définitivement à vendre dès la conclusion de l’avant-contrat » : en signant la promesse, le promettant ne fait qu’user de son droit de disposition.

Enfin, la possibilité de rétractation symbolisait, dans une certaine mesure, la continuité avec les siècles précédents. On considérait presque unanimement que le promettant a une obligation de faire (req. 17 juin 1938, S. 1938. I. 387 ; Civ. 7 mars 1938, S. 1938. I. 186 ; req. 26 nov. 1935, S. 1936. I. 52 ; Civ. 14 nov. 1916, S. 1920. I. 365), le fait consistant à signer l’acte de vente une fois l’option levée (R.-J. Pothier, op. cit. ; C.-B.-M. Toullier, Le droit civil français suivant l’ordre du code, t. 9, 4e éd., 1824, Warée, p. 159 s., n° 91 ; R.-T. Troplong, op. cit.) ou à maintenir son consentement pendant le délai d’option (M. Planiol, op. cit. ; v. cependant L. Josserand, op. cit., qui évoque aussi bien l’obligation de faire que de ne pas faire). Ainsi, lorsque la Cour de cassation affirmait le 15 décembre 1993 que l’obligation du promettant ne constitue qu’une obligation de faire, elle est en continuité avec la jurisprudence antérieure sur ce point (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, préc.).

Cependant, la continuité s’arrête là, car la conséquence qu’elle en tire va à l’encontre de ce qui avait été décidé auparavant. Dans un premier temps, la Cour a semblé admettre la possibilité de rétractation du promettant (req. 12 juill. 1847, S. 1848. I. 183), mais cela se justifiait par une certaine confusion entre la promesse unilatérale et la pollicitation (req. 9 août 1848, S. 1848. I. 615). Une fois la distinction clairement établie, la Cour avait dénié au promettant toute possibilité de rétractation, d’abord dans un cas où un délai d’option était prévu (req. 18 mars 1912, S. 1914. I. 12), et ensuite dans un autre cas, plus proche de l’espèce de l’arrêt rapporté, où aucun délai n’avait été stipulé (Civ. 10 juin 1941, S. 1941. I. 164). Tout en considérant que le promettant avait une obligation de faire, la Cour n’en avait pas tiré la conséquence retenue en 1993 sur la possibilité de rétractation. C’est donc surtout ce point qui était à réformer, et pas nécessairement la qualification de l’obligation du promettant.

Il faut alors espérer que la mort de la possibilité de rétractation soit, d’une part, l’occasion pour la Cour de se réconcilier avec sa jurisprudence antérieure et, d’autre part, l’occasion de maintenir une qualification de l’obligation du promettant assurant la continuité avec les générations passées de juristes. S’ils ont considéré que le promettant avait une obligation de faire, le fait consistant à maintenir le consentement pour une conclusion éventuelle de la vente, il semble téméraire de considérer qu’ils ont manqué de bon sens.

Pour que la possibilité de rétractation repose en paix

Tournant désormais le regard vers l’avenir, il est à craindre que la possibilité de rétractation revienne sous une autre forme, comme un fantôme. Ne pouvant plus se rétracter, le promettant ne sera-t-il pas tenté d’abuser de son droit de propriétaire en grevant la chose promise de charges (hypothèque, servitude, bail, etc.), ou en transférant la propriété à un tiers dans le but de décourager le bénéficiaire de la promesse ? Des litiges pourraient naître sur l’opposabilité de ces actes du promettant au bénéficiaire, spécialement lorsque le tiers bénéficiaire de ces actes est de bonne foi.

Conseil pratique
Pour s’assurer que la possibilité de rétractation repose vraiment en paix, la pratique devrait systématiquement stipuler une clause d’inaliénabilité pendant le délai d’option et la faire publier (Décr. n° 55-22, 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 28, 2°).