Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

En Russie, l’inviolabilité du domicile en quête de sens

En moyenne, 500 perquisitions ont lieu chaque jour en Russie. Pour l’ONG de défense des droits de l’homme Agora, ce nombre démontre que le concept d’inviolabilité de la vie privée aurait perdu aujourd’hui « tout son sens ». Et cache une dérive politique dont seuls les cabinets d’avocats sont protégés.

par Maxence Peniguetle 15 mai 2018

Selon l’article 25 de la Constitution de la Fédération de Russie, « le domicile est inviolable. Nul n’a le droit d’entrer dans un logement contre la volonté des personnes qui y résident, sauf dans les cas prévus par la loi fédérale ou sur la base d’une décision de justice ».

Ainsi, sur les dix dernières années les forces de l’ordre russes ont reçu de la part de la justice presque deux millions d’autorisations pour mener des perquisitions dans des foyers, donnant le feu vert à 96,32 % des demandes. Si l’on prend en compte le dernier recensement de 2010, le pays compte 54,6 millions de résidences, dès lors, un logement sur 27 a fait l’objet de fouilles durant les dix dernières années.

Ces données ont été analysées par l’ONG russe de défense des droits de l’homme Agora, qui note par ailleurs que le « nombre total de requêtes (et donc d’autorisation) a augmenté d’environ 50 %. Actuellement, en moyenne, plus de 500 perquisitions sont effectuées quotidiennement en Russie ». En mettant en parallèle ces chiffres avec ceux d’une précédente étude sur les demandes d’interception de correspondances (communications téléphoniques, lettres, emails…) dont le taux d’autorisation par la justice se montait à 98,3  % sur la même période, le rapport « Perquisitions politiques : le fantôme de l’immunité » estime qu’avec « moins de 4 % de refus de permis de perquisitionner et moins de 2 % pour les mises sur écoute et l’interception des messages », le concept d’inviolabilité de la vie privée « perd tout son sens ».

Pressions et statistiques incomplètes

Malheureusement, les données disponibles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. En effet, les auteurs du rapport précisent que les recherches policières dans les lieux non dédiés à l’habitat ne nécessitent pas d’autorisation de la part de la justice. C’est également sans compter les inspections que sont habilités à effectuer d’autres ministères et agences gouvernementales, dont les chiffres sur ce type de fouilles ne sont pas rendus publics.

Le rapport cite en exemple la visite du personnel du bureau du procureur, du ministère de la Justice et du ministère de l’Éducation lors d’une session de formation juridique organisée par Agora dans la ville de Kazan, la capitale du Tatarstan. Un déplacement déclenché par la réception d’un email de délation faisant état de l’utilisation d’argent étranger pour former des défenseurs des droits de l’homme – alors qu’Agora n’était pas déclarée comme agent de l’étranger, étiquette obligatoire pour les organisations recevant un soutien international et engagées dans des activités dites politiques.

Pression sur les journalistes

D’autres genres d’inspections existent aussi, précise Agora. Les services du ministère des Situations d’urgence seraient ainsi « souvent » utilisés pour « paralyser/suspendre les activités des organisations. Les exigences de sécurité en matière d’incendie en Russie sont si complexes et détaillées, sont si difficiles à mettre en œuvre et coûteuses, que, si nécessaire, la recherche de lacunes et d’incohérences n’est pas difficile ».

Les organisations de la société civile ne sont pas les seules à être visées. « Je suis en train de me faire perquisitionner (…). Suite à mon article dans le New Times, mon téléphone est saisi », écrivait sur Twitter le journaliste Pavel Nikolin en janvier dernier, quand la police a pénétré son domicile avant de l’interroger sur une affaire de terrorisme sur laquelle il travaillait presque un an auparavant.

Les cabinets d’avocats, exception des exceptions

Depuis avril 2017, les avocats bénéficient, eux, d’une protection supérieure. En effet, explique le rapport, le code de procédure pénale prévoit, avant toute perquisition d’un cabinet d’avocat, la création d’un dossier criminel sur la base d’une décision de justice – et que les fouillent se fassent en présence d’un membre du Barreau. Une mesure qui aurait fait baisser leur nombre, selon le vice-président de la Chambre fédérale des avocats, Andrei Suchkov, cité par le journal Vedomosti.

La pratique a cependant du mal avec l’évolution de la théorie, au point de l’affronter après l’entrée en vigueur de la nouvelle règle. Il s’agit ici de la perquisition déclarée a posteriori devant la justice (comme il était possible de le faire avant et encore dans d’autres cas) et de l’arrestation du juriste Maxim Zagorsky. Si cette perquisition a d’abord été reconnue comme légale, une décision en appel a confirmé que l’unique possibilité pour conduire des fouilles dans le domaine était de recevoir une autorisation préalable.