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En Russie, le NLF Group s’attaque à Apple

Elle se proclame première structure russe d’investissement dans le financement de contentieux. Après deux années de service aux entreprises, son équipe tente une « expérience sociale » en s’adressant aux consommateurs. L’objectif : Apple et le ralentissement des anciens iPhones.

par Maxence Peniguetle 7 février 2018

Maxim Karpov, l’un des fondateurs du National Legal Finance Group (NLF Group), reçoit dans les bureaux de l’entreprise, dans le sud de Moscou. Rien de trop brillant, une atmosphère classique de bureaux d’affaires règne dans cet ensemble immobilier.

« Cela vous dérange si j’appelle mon jeune collègue en charge de l’affaire contre Apple », demande M. Karpov. Ce n’est pas que ce dernier ignore le contenu du dossier, c’est plutôt que le premier « est plein de talents et commence dans le métier, ça lui fera une bonne expérience de parler à un journaliste ». Entre donc Anton Denisov.

Un marché encore nouveau

Pendant près d’une heure, ils expliquent avec passion leur travail. D’abord, Maxim Karpov met les points sur les i : « Ce n’est pas un cabinet d’avocats, c’est une société d’investissement qui investit dans des contentieux ». Et de préciser : « Nous sommes la première entreprise russe spécialisée dans le domaine ».

Concrètement, le NLF Group donne de l’argent à des demandeurs ou à des cabinets d’avocats en échange de parts sur les futures sommes recouvrées en cas de succès devant le juge. En cas d’échec, c’est donc l’argent de l’entreprise qui est perdu et pas celui des plaignants. « C’est un marché relativement récent au niveau international », explique Maxim Karpov.

Pour innover dans cette nouvelle direction, la société russe s’est penchée sur un modèle anglo-saxon : celui de Burford Capital, leader dans cet environnement. Depuis 2016 et sa création, le NFL Group se dédie au secteur B2B (business to business). Pour raconter un exemple marquant des débuts de l’entreprise, Anton Denisov prend la parole. Il explique qu’une société de développement spécialisée dans la construction a bénéficié d’un financement du groupe NLF pour un litige contre un réseau local d’acheminement du gaz.

Le but était d’obtenir la permission pour se raccorder à ce réseau, plutôt que d’investir dans un nouveau. Le litige, qui a duré un an et demi, a entraîné la victoire du client, ce qui lui a permis d’économiser environ 100 millions de roubles (1,4 million d’euros) sur la construction d’un nouveau réseau.

La pomme dans le viseur

L’entreprise fonctionne ainsi jusque fin 2017 et l’annonce du ralentissement des anciens modèles d’iPhones par Apple. « C’était évident, lâche Maxim Karpov, avant de se lancer dans sa propre histoire. J’avais un sentiment étrange, quand ils sortaient de nouveaux modèles, les plus vieux devenaient plus lents. Cela me poussait à acheter le dernier sorti. » Puis, des tests ont prouvé que la firme de Cupertino ralentissait sciemment les anciens iPhones.

« Même au regard de la loi russe, c’est un acte étrange de la part d’Apple. Ralentir la propriété de quelqu’un, sans son accord, c’est une violation de propriété », soutient-il. Et de confier que c’est à ce moment qu’il fallait agir en Russie : « Quand Apple s’est excusé, j’ai pensé que la situation était idéale pour faire arrêter ces pratiques, qu’il s’agisse d’Apple ou d’autres fabricants ».

Il faut ensuite deux à trois semaines au NLF Group pour décider si, oui ou non, se lancer dans une aventure juridique est jouable. La réponse, dans ce cas, est oui. Vient alors la recherche de plaignants. Pas difficile à trouver dans l’entourage pour ce cas aux allures « d’expérience sociale », comme le qualifie Maxim Karpov, puisque c’est à la fois un test en Russie et pour son entreprise, qui en profite pour se lancer dans le B2C (business to consumer).

« Nous allons éteindre votre téléphone pour le reste de votre vie »

Interrogé sur la validité de la plainte alors que les utilisateurs donnent leurs accords à des conditions d’utilisation que très peu lisent, le jeune Anton Denisov ne désarme pas : « C’est un bon argument, mais quand vous mettez à jour iOS [le système d’exploitation de l’iPhone, ndlr], il n’y a pas d’information sur ce qui peut arriver à votre processeur ».

Et son supérieur de reprendre la main, d’expliquer qu’en Russie, dans ce genre de conditions d’utilisation, le consommateur est considéré comme une partie faible au contrat. Donc, « même si en page 74, en petites lettres, ils indiquent que, “au fait, nous allons éteindre votre téléphone pour le reste de votre vie”, le consommateur garde le droit de se défendre, car l’entreprise abuse alors de ses droits ».

Ce que recherche le NLF Group, maintenant, même sans forcément faire du profit avec cette procédure, c’est de faire jurisprudence. Le droit russe n’explore pas la question de l’obsolescence programmée ou de l’intrusion de constructeurs dans les produits des consommateurs sans consentement.

Il faudra donc faire jurisprudence pour que les fabricants soient contraints à obtenir clairement l’accord de leurs acheteurs avant de changer le fonctionnement de leurs appareils. Un autre but dans cette procédure, c’est également d’aider, au travers la Russie, les cabinets d’avocats et les plaignants ayant le souhait de s’engager dans un cas similaire, en mettant à disposition le travail déjà fait, et cela de façon pro bono. « C’est notre cadeau à la communauté », avance Maxim Karpov.

Les affaires sont épargnées par la corruption

Les procédures dans lesquelles il s’engage avec son équipe peuvent dépasser le million d’euros. Avec de telles sommes, le NLF Group a-t-il déjà eu affaire à une quelconque forme de corruption ? « Le niveau reste raisonnable, explique M. Karpov. Dans 99 % des procédures, si la Cour suprême a déjà tranché un cas similaire auparavant, les nouvelles demandes jugées au niveau inférieur suivront ces décisions. Si vous voulez éviter ça, il vous faut faire appel à toutes vos connexions. Cela coûte très cher. »

Il contraste toutefois avec les procédures à connotations politiques, où son propos doit alors être nuancé. Mais, insiste Anton Denisov, le « monde des affaires n’est pas aussi affecté » par la corruption que celui de la politique.

Une bonne nouvelle, pour le NLF Group, qui affiche l’objectif d’investir un milliard de roubles (14 millions d’euros) dans le financement de contentieux d’ici la fin de l’année.