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La loi prévoit l’encellulement individuel en maison d’arrêt depuis 1875. En 2000, 2003, 2009, 2014 et 2019 des moratoires avaient repoussé l’entrée en application de cette mesure. Elle devait entrer en application le 31 décembre 2022. Face à la surpopulation carcérale, l’objectif a, à nouveau, été repoussé de cinq ans par les députés via un nouveau moratoire. Récit d’un échec annoncé.
par Pierre Januel, Journalistele 10 novembre 2022
« Prévoir que, d’ici trois ans, toute personne placée en détention provisoire devra "bénéficier" - c’est un bien grand mot - d’une cellule individuelle, alors que, je le rappelle, elle n’a pas encore été jugée, cela ne me semble pas un défi impossible à relever ! C’est un objectif à nous de trouver les moyens de l’atteindre. » C’est par ces propos qu’en février 2000, la députée Frédérique Bredin fit voter, à l’unanimité, un amendement imposant l’encellulement individuel en maison d’arrêts au 15 juin 2003. Car si la loi impose l’encellulement individuel dans les centres pour peine, ce n’est pas le cas pour les maisons d’arrêts.
Mais trois ans après, les prisons étaient pleines. Le Parlement a donc du repousser l’échéance, par un article à la loi sur les violences routières. Et il l’a fait à nouveau en 2009 (loi pénitentiaire), 2014 (loi Taubira) et 2019 (loi Belloubet). Cette dernière loi promettait une entrée en vigueur de l’encellulement individuel au 31 décembre 2022. Selon l’étude d’impact, 7 000 nouvelles places devaient être livrées d’ici 2022 (15 000 en 10 ans) et le nombre de détenus devait baisser de 8 000 grâce à la réforme des peines .
Pendant la crise sanitaire, face à l’urgence, le nombre de détenus avait diminué de 12 500, grâce à une action volontariste. Mais depuis 2021, les incarcérations ont fortement repris. Selon les propos tenus par Eric Dupond-Moretti à l’Assemblée le 27 octobre : « Nous comptabilisons plus de 71 300 détenus pour 60 700 places opérationnelles, soit un déficit de 10 000 places de prison. Cela porte la densité carcérale à 120 % pour l’ensemble des établissements et à 139,7 % pour les maisons d’arrêt dans la dernière mesure mensuelle. »
L’échec du moratoire Belloubet
Cet échec était déjà anticipé en janvier dernier par l’important rapport de la commission d’enquête parlementaire Abadie-Benassaya sur les prisons (Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. P. Januel). Deux explications à cet échec. Sur les 7000 places promises entre 2017 et 2022, seules 2 441 places de prisons auront été livrées indique le rapporteur budgétaire Patrick Hetzel. Et selon un rapport fourni par le gouvernement au Parlement, déjà évoqué par le Canard enchaîné, les résultats de la réforme des peines sont mitigés.
Si le nombre de peines fermes inférieures ou égales à six mois a diminué de 18 % entre 2019 et 2021, il y a eu une augmentation des peines plus longues (entre 6 mois et 1 an). Le nombre d’assignations à résidence sous surveillance électronique n’est passé que de 326 à 500 entre 2019 et mai 2022. « Il est également observé une utilisation limitée du mandat de dépôt à effet différé ». Pourtant, les peines alternatives augmentent constamment. Au 1er juillet 2022, il y avait 14 703 personnes en détention à domicile sous surveillance électronique. Le nombre de mesures post-sentencielles suivies en milieu ouvert est passé de 166 795 en 2019 à 185 080 en 2022. Mais cette hausse des peines alternatives ne diminue pas la sévérité des peines fermes prononcées : le ministère constate globalement une « plus grande sévérité dans le prononcé des peines en matière criminelle comme délictuelle » et « une hausse du nombre total d’années d’emprisonnement prononcées par les juridictions en 2021 qui s’est stabilisée en 2022 ». La justice est de plus en plus sévère.
L’échec annoncé du moratoire Dupond-Moretti
Si Éric Dupond-Moretti a fait le choix d’un nouveau moratoire c’est parce que « sur le plan juridique, outre le contentieux portant sur le droit à des conditions de détention conformes à la dignité, le surencombrement en maison d’arrêts est également de nature à placer le ministère de la Justice en situation d’illégalité au regard du droit à l’encellulement individuel. » L’amendement adopté par les députés, et repris par le gouvernement dans son 49.3, prévoit que le moratoire sera repoussé au 31 décembre 2027.
D’ici là, le gouvernement espère que les places de prison seront livrées. Mais le rapport budgétaire précité indique que sur les 13 775 places prévues entre 2022 et 2027, 8 361 sont annoncées pour la seule année 2027. Ce qui laisse craindre de nouveaux dépassements. Par ailleurs, l’administration pénitentiaire projette que la population détenue va continuer à progresser annuellement de 926 personnes par an (soit + 1,3 %).
De plus, à partir du 1er janvier 2023, entrera en vigueur la réforme prévue par la loi Dupond-Moretti qui a supprimé les réductions automatiques de peine. En contrepartie, les possibilités de prononcer des réductions par les juges ont été étendues. Actuellement le taux d’accord des réductions de peines supplémentaire est de 45 %.
Le ministère espère qu’il passera à 68 % pour qu’il n’y ait pas d’impact sur la surpopulation.
Le rapport des États généraux de la justice préconisait la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale : sans fixer un numerus clausus strict par établissement pénitentiaire, un seuil de criticité serait défini, « à partir duquel les services de l’établissement ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la qualité de la prise en charge des condamnés ». En cas de dépassement, les différents acteurs de la chaîne pénale seraient réunis pour envisager certaines mesures de régulation et encourager les alternatives à la détention (Dalloz actualité, 9 juin 2022, obs. P. Januel). Cela fait 150 ans que parlement, gouvernement et magistrats se renvoient la balle sur l’échec de l’encellulement individuel. Et pour les détenus, l’attente va continuer.
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