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Encore l’autorité de chose jugée !

En statuant sur le fondement d’un moyen qui n’avait pas été invoqué devant le juge du fond et sans relever l’existence d’un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée d’un précédent jugement, une cour d’appel viole l’article 1355 du code civil.

par Corinne Bléryle 19 janvier 2021

Lors du premier confinement, l’autorité de la chose jugée nous avait offert un dérivatif « inoffensif » à la crise du covid-19 (C. Bléry, Retour sur l’autorité de la chose jugée, Le droit en débats, 28 avr. 2020). Ce retour sur l’autorité de la chose jugée était l’occasion de prendre conscience que, alors même que la notion est très ancienne, elle est aussi actuelle. Il s’agissait notamment d’évoquer l’évolution de l’effet positif (qui permet de se prévaloir, dans un autre procès, des éléments d’une précédente décision) de cet attribut du jugement, sous l’influence récente et presque insidieuse de la justice « prédictive » et des algorithmes. Il s’agissait aussi de rappeler que la Cour de cassation est souvent amenée à statuer sur des questions relatives, soit à la notion stricto sensu, soit à une obligation procédurale que la Haute juridiction lui a rattachée depuis 2006 : l’obligation de concentration des moyens – voire des demandes – qui incombe aux plaideurs (v. encore, Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.972, FS-P+B+I et  n° 18-23.370, FS-P+B+I, Dalloz actualité, 24 avr. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 493 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ).

C’est à nouveau le cas, ainsi qu’en atteste un arrêt du 10 décembre 2020, une fois de plus destiné à une large publication. La deuxième chambre civile y rappelle la teneur de la notion telle qu’elle est inscrite (artificiellement) dans l’article 1355 du code civil (reprenant mot à mot l’historique art. 1351) et la façon dont elle doit être, selon elle, être mise en œuvre entre obligation de concentration des moyens et évolution des faits ; elle profite de l’occasion, au détour de l’attendu de principe pour rappeler quelle partie de la décision, selon elle, est revêtue de l’autorité de la chose jugée. La deuxième chambre civile reproche à la cour d’appel d’avoir mal mis en œuvre la notion.

Les faits, à l’origine de l’arrêt, sont assez complexes : ils concernent une opération immobilière qui tourne mal. Un couple acquiert un terrain sur lequel il doit faire construire une maison d’habitation pour la vendre. L’opération est financée par un prêt, sans intérêt : il est stipulé remboursable en une seule échéance au plus tard le 3 juillet 2008, le remboursement devant se faire sur le bénéfice réalisé par la vente de la maison d’habitation, celui-ci étant partagé par moitié entre le prêteur et les débiteurs. Le tout est constaté par acte notarié.

Par la suite, les acquéreurs font édifier la maison et le créancier veut obtenir remboursement, alors que la maison n’est pas encore vendue, sans doute postérieurement à la date butoir. Pour ce faire, le créancier agit devant un tribunal de grande instance. Cette juridiction rejette la demande en paiement de la somme prêtée, la condition préalable de vente de la maison édifiée n’était pas réalisée.

Plus tard, et en dépit du jugement, le créancier engage des poursuites de saisie immobilière à l’encontre des débiteurs, portant sur le bien en cause, sur le fondement de l’acte notarié.

À l’audience d’orientation, les débiteurs s’opposent à la saisie en invoquant, notamment, l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de grande instance. Le créancier objecte que les débiteurs empêchent la réalisation de la condition. Il invoque – pour la première fois – l’application de l’article 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et selon lequel la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement ; autant dire qu’il prétend que la condition est potestative.

Le juge de l’exécution rend un jugement d’orientation, dont le perdant interjette appel.

La cour d’appel déclare régulière et valide la procédure de saisie immobilière, ordonne la vente forcée du terrain et renvoie pour le surplus les parties devant le premier juge (le JEX), pour poursuite de la procédure de saisie immobilière.

Pour juger ainsi, et donc pour écarter l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de grande instance, l’arrêt « qui constate que la maison n’est pas vendue, retient que cette condition est purement potestative et que [les débiteurs] ne justifient pas de leur volonté d’exécuter de bonne foi les stipulations contractuelles, de sorte que le prêt est devenu exigible, la condition étant réputée acquise ».

Les débiteurs se pourvoient en cassation. Leur moyen est divisé en deux branches, qui reprochent l’une et l’autre à la cour d’appel une violation de l’article 1351, devenu 1355, du code civil. Les deux branches rappellent d’abord l’obligation de concentration qui incombe au demandeur, à savoir « présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci » ; la première branche critique ensuite la cour d’appel d’avoir admis la recevabilité d’un nouveau moyen tiré de l’ancien article 1178 du code civil et la seconde lui reproche de ne pas avoir constaté que l’empêchement de la réalisation de la condition suspensive qu’elle retenait, aurait constitué une circonstance nouvelle postérieure au prononcé du jugement.

Au visa de l’article 1351, devenu 1355 du code civil, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel. Comme déjà dit, elle expose la teneur de l’article visé (n° 6) et rappelle de manière très ramassée deux règles qu’elle a elle-même posée à l’occasion d’arrêts (n° 7) : posées à partir des textes : « attachée au seul dispositif de la décision, l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ». Or, en statuant comme elle l’a fait (n° 8), « sur le fondement d’un moyen qui n’avait pas été invoqué devant le juge du fond et sans relever l’existence d’un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée par le jugement du 25 février 2014, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (n° 9).

La cassation n’est pas très surprenante, tant l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante au regard de l’autorité de la chose jugée, de la concentration des moyens et du fait nouveau. Il est en revanche curieux d’avoir ajouté l’incise qui ne parait pas nécessaire, tenant à la localisation de l’autorité de la chose jugée.

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