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Enfant né d’une personne transgenre : exit le « parent biologique »

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier qui, devant le caractère inédit de la situation, avait ordonné qu’une femme selon l’état civil, père biologique d’un enfant, soit désignée dans l’acte de naissance de ce dernier comme « parent biologique ».

par Laurence Gareil-Sutterle 22 septembre 2020

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile du 16 septembre 2020 sont bien connus tant l’arrêt de la cour d’appel (Montpellier, 14 nov. 2018, n° 16/06059, Dalloz actualité, 28 nov. 2018, obs. V.-O. Dervieux), qui l’a précédé, avait fait couler beaucoup d’encre (D. 2019. 110, obs. A. Dionisi-Peyrusse , note S. Paricard ; ibid. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 856, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2018. 684, obs. G. Kessler ; ibid. 641, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; JCP 2019. 95, note F. Vialla et J.-P. Vauthier ; Dr. fam. 2019. Comm 6, par H. Fulchiron ; adde S. Paricard, L’enfant biologique de la personne ayant changé de sexe : quand les magistrats comblent le silence coupable du législateur, D. 2019. 110 ; L. Brunet et P. Reigné, De la difficulté d’être mère… pour une femme transidentitaire, JCP 2019. 91 ; J.-R. Binet, Transsexualisme et filiation : brouillage de (re)pères !, Dr. fam. 2018. Repère 11).

Il est néanmoins crucial de les rappeler. M. Benjamin V… est marié avec Mme D… et le couple a eu deux garçons quand, en 2011, Benjamin V… obtient la rectification de son état civil (sexe et prénom) pour devenir Clarisse V…. Toutefois, même s’il se présente sous une apparence féminine, il a conservé son appareil reproductif masculin. C’est ainsi que le couple conçoit naturellement une petite fille qui naît en 2014. Mme D… ayant accouché de l’enfant, elle figure sur l’acte de naissance de celle-ci en qualité de mère en vertu de l’article 311-25 du code civil. De son côté, Mme V… avait fait une reconnaissance de maternité prénatale dont elle demande la transcription à l’état civil.

L’officier de l’état civil, sur instruction du procureur, refusa de procéder à la transcription car l’enfant avait déjà une filiation maternelle établie (v. C. civ., art. 320). Ce refus fut confirmé par le tribunal de grande instance de Montpellier saisi par Mme V…. Le tribunal rappela les solutions qui s’offraient à cette dernière, dans l’absolu, en l’état du droit positif : admettre l’inscription d’une filiation paternelle – ce qui lui imposerait de se replacer pour un instant dans son « état » d’homme en établissant une reconnaissance de paternité – ou prendre pleinement en compte sa nouvelle identité féminine et en passer par une adoption de l’enfant du conjoint qui, seule, permet d’établir deux liens de filiation de même sexe sur un enfant. Mme V… fit appel.

La cour d’appel de Montpellier releva alors l’existence d’un vide juridique découlant du fait que, si l’article 61-8 du code civil règle le sort des enfants nés avant la conversion sexuelle (« la modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet […] sur les filiations établies avant cette modification »), le législateur n’a rien prévu pour les enfants nés après la conversion. Afin de combler ce vide, la cour d’appel, soupesant les intérêts en présence, a cherché une solution conforme à l’intérêt – supérieur – de l’enfant et aux textes internationaux invoqués par les parties. De façon tout à fait inédite, elle décida in fine d’établir judiciairement la filiation de Mme V… à l’égard de l’enfant et ordonna l’inscription de Mme V… comme « parent biologique » sur l’acte de naissance de ce dernier. L’inventivité des juges d’appel ne rencontra toutefois pas l’effet sans doute escompté puisque Mme V… comme le procureur général décidèrent de former un pourvoi en cassation, pourvois qui sont joints dans l’arrêt rendu ce 17 septembre.

Le pourvoi formé par Mme V… reposait sur un moyen unique divisé en huit branches. En substance, pour elle, une seule solution est acceptable et préserve à la fois l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de la vie privée de ce dernier comme la sienne : la transcription de sa reconnaissance maternelle prénatale. En effet, on ne saurait la forcer à établir une filiation paternelle alors qu’elle est désormais de sexe féminin et la voie de l’adoption intraconjugale lui est fermée du fait du refus de Mme D… d’y consentir. Selon elle, le refus de transcrire sa reconnaissance est, en outre, discriminatoire. Enfin, le droit français ne connaît pas les termes de « parent biologique ». Elle invoquait au soutien de ses prétentions la violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 3, § 1, et 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et enfin 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Le pourvoi du procureur rejoignait le moyen de Mme V… sur un point : il n’était pas possible d’inscrire les termes « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant. Le procureur invoquait ainsi la violation de l’article 57 du code civil au motif que seuls peuvent être mentionnés sur l’acte de naissance les « père » et « mère » de l’enfant, et que le juge ne peut pas créer une nouvelle catégorie de l’état civil. 

La réponse de la Cour de cassation est ferme. Son raisonnement se fait par étapes.

Tout d’abord, elle affirme que les articles 311-25 et 320 du code civil « s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption ». Ensuite, elle précise qu’en application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, « une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père ».

Se livrant alors à un contrôle de conventionnalité, elle considère que ces dispositions « poursuivent un but légitime », au sens du second paragraphe de l’article 8 de la Convention européenne, « en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation ». D’après la Cour, elles sont en outre conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, « en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité […] garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles » et évitent des « discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur ». Elle ajoute que la possibilité offerte à une personne transgenre MtF d’établir par la reconnaissance de paternité un lien de filiation conforme à la réalité biologique avec son enfant concilie « l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue ». Enfin, la Cour de cassation écarte le grief de la discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, « dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché ». Ainsi, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Mme V….

En revanche, la Cour de cassation va casser l’arrêt sur le pourvoi du procureur général. Au visa des articles 57 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle affirme qu’en ordonnant l’inscription de Mme V… en qualité de parent biologique « alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle », la cour d’appel a violé les textes visés.

Elle casse donc l’arrêt d’appel « sauf en ce qu’il rejette la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité » de Mme V… à l’égard de l’enfant, « remet, sur les autres points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ». C’est donc un retour à la décision du tribunal de grande instance de Montpellier qui, rappelons-le, n’avait pas prononcé de second lien de filiation à l’égard de l’enfant…

Le format de cette rubrique ne permet pas d’aller plus loin dans l’exposé de la solution retenue. Il nous semble tout de même important de préciser que l’arrêt est rendu sur avis contraire de l’avocat général, Mme Caron-Déglise. En effet, celle-ci, après un exposé très riche relatif à l’évolution des données et connaissances sur le genre et l’identité ainsi qu’à l’état du droit positif et prospectif de la filiation, préconisait une absence de renvoi et une transcription de la reconnaissance maternelle anténatale de Mme V….

La Cour de cassation, en décidant tout l’inverse, montre sans doute sa détermination à ne pas faire œuvre prétorienne en la matière. Peut-on réellement lui en vouloir alors même que le législateur a pris soin de ne pas tirer lui-même les conséquences de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 autorisant le changement de sexe à l’état civil sans réassignation sexuelle ou stérilisation (v. A. Marais, Le sexe (si) que je veux, quand je veux !, JCP 2016. 1164, qui considère qu’en omettant de fixer les règles de la filiation applicables à la suite d’un changement de sexe, le législateur s’est placé dans une situation d’« incompétence négative ») ? C’est peut-être même un appel à bon entendeur.

En attendant, la cour d’appel de renvoi devra faire avec ce qu’elle a (et n’a pas…) en se demandant où se situe l’intérêt supérieur de cet enfant, qui n’a toujours qu’un parent aux yeux de la loi…