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Article
Enfant né de GPA au sein d’un couple d’hommes : une condamnation de la Suisse pour l’exemple ?
Enfant né de GPA au sein d’un couple d’hommes : une condamnation de la Suisse pour l’exemple ?
Le 22 novembre 2022, la CEDH a condamné la Suisse pour ne pas avoir reconnu avant 2018 la filiation, établie en droit californien en 2011, entre un enfant né d’une GPA et son père d’intention, partenaire enregistré du père génétique. En étendant sa position bien établie aux couples d’hommes, la Cour envoie un message à l’ensemble des États parties.
par Marie Mesnil, Maîtresse de conférences en droit privé, Université de Rennes 1le 11 janvier 2023
Une situation ancienne, aujourd’hui résolue ?
Deux hommes, liés par un partenariat enregistré depuis le 11 février 2011, sont déclarés pères d’un enfant né par gestation pour autrui (GPA) en Californie en 2011. Leur demande de transcription du certificat de naissance établi aux États-Unis, conformément au jugement du tribunal californien, est refusée le 21 mars 2012 par l’office de l’état civil du canton de Saint-Gall. Ils obtiennent toutefois du Département de l’intérieur du canton de Saint-Gall, le 10 juillet 2013, leur inscription à l’état civil en tant que pères de l’enfant. L’Office fédéral de la justice (OFJ) forme un recours auprès du tribunal administratif cantonal de Saint-Gall, qui le rejette au regard de l’intérêt de l’enfant. Le Tribunal fédéral, saisi par l’OFJ, annule l’arrêt de la juridiction cantonale le 21 mai 2015 compte tenu de l’interdiction d’ordre public de toutes les formes de maternités de substitution : seul le lien de filiation entre l’enfant et son père génétique est reconnu mais pas celui entre l’enfant et son second père d’intention. Ayant épuisé les voies de recours internes, les deux hommes ainsi que l’enfant introduisent une requête auprès de la CEDH en faisant valoir une atteinte à l’article 8 combiné à l’article 14 de la Convention. En parallèle de l’instruction de la requête, le droit suisse a évolué de manière à ce que les couples de même sexe, liés par un partenariat enregistré, puissent devenir parents d’un enfant. À la suite de cette modification du code civil suisse, l’homme a introduit une requête en adoption de l’enfant de son partenaire, qui est prononcée par les autorités cantonales le 21 décembre 2018.
Compte tenu de ces évolutions du droit suisse, le gouvernement estime que le litige est résolu et qu’aucune conséquence négative ne résulte de la situation passée. Au contraire, les requérants font valoir l’absence de reconnaissance et de réparation de la violation résultant de l’absence de lien de filiation entre l’enfant et son second parent. Pour la Cour, l’impossibilité de faire reconnaître de manière définitive la filiation de l’enfant à l’égard du second parent d’intention durant presque sept ans et huit mois n’est pas effacée par l’évolution du droit suisse. Elle souligne par ailleurs que la question du « lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui et les parents d’intention qui sont de même sexe et unis par un partenariat enregistré – met en jeu une importante question d’intérêt général, en particulier pour les États parties à la Convention qui n’ont pas adopté de lois permettant la reconnaissance du lien de filiation dans des circonstances similaires à celles qui se trouvent à l’origine de la présente affaire » (§ 38). Aussi, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de radier les requêtes.
Une violation, bien établie, du droit au respect de la vie privée de l’enfant
En examinant cette affaire, la Cour étend aux couples d’hommes sa position bien établie concernant la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger : par six voix contre une, une violation du droit au respect de la vie privée de l’enfant est reconnue.
Il existe en effet une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de l’enfant ainsi que « dans l’exercice du droit au respect de la “vie familiale” de tous les requérants » (§ 70). Cette ingérence est prévue par la loi suisse qui prohibe la maternité de substitution (art. 119 de la Constitution fédérale et art. 4 de la LPMA, RS 810.11 du 18 déc. 1998) et poursuit un but légitime, à savoir « la protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ». Elle examine ensuite si une telle ingérence est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces buts. Pour réaliser ce contrôle, la Cour s’appuie sur la position qu’elle a développée dans l’affaire Mennesson, aussi bien dans son arrêt du 26 juin 2014 (CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11, Dalloz actualité, 30 juin 2014, obs. T. Coustet ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs. , note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d’Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud ) que dans son avis consultatif rendu le 10 avril 2019 (avis consultatif n° P16‑2018‑001, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. T. Coustet ; AJDA 2019. 788 ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2019. 1084, et les obs. , note H. Fulchiron ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 677, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJCT 2022. 259, étude S. Benmimoune ; Rev. crit. DIP 2022. 35, chron. C. Bidaud ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer ).
Dans l’affaire Mennesson, la Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée des enfants car la filiation est un aspect essentiel de l’identité des individus (Mennesson, § 96). Concernant le lien de filiation entre les enfants et le père d’intention, qui était leur père biologique, la Cour a jugé qu’en y faisant obstacle, l’État français allait au-delà de la marge d’appréciation qui lui était reconnue (Mennesson, § 100). Interrogée à propos de la filiation à l’égard de la mère d’intention par la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. T. Coustet ; D. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 613 ; ibid. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 640 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2018. 847, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2019. 90, obs. A.-M. Leroyer ), la CEDH a estimé, dans son avis, qu’il convient d’offrir, en droit interne, une telle...
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06/2024 -
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Auteur(s) : Xavier Henry; Alice Tisserand-Martin; Guy Venandet; Pascal Ancel; Estelle Naudin; Nicolas Damas; Pascale Guiomard