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Enquête pénale et prise en charge par l’employeur des frais de défense d’un ancien salarié : précision en cas de transaction

Dans un arrêt rendu le 11 mai 2023, la Cour de cassation s’est penchée sur le statut particulier de l’ancien salarié poursuivi après son départ de l’entreprise par une autorité étrangère. La chambre sociale a estimé que le salarié ne pouvait prétendre obtenir la prise en charge de ses frais de défense dès lors qu’il avait signé une transaction avec son ancien employeur aux termes de laquelle il s’était estimé entièrement rempli de ses droits actuels et futurs.

Un ancien responsable juridique (ci-après le « Salarié ») de la banque BNP Paribas SA (ci-après la « Banque »), embauché en 1997, avait eu la charge de coordonner une enquête interne menée par la Banque, en lien étroit avec les autorités américaines. L’enquête interne avait précisément porté sur des transactions que les autorités américaines avaient estimées susceptibles d’être en infraction avec la législation des États-Unis sur les embargos financiers. Courant 2013, un autre juriste avait été affecté par la Banque pour assurer le suivi de cette enquête américaine et le Salarié avait été entendu dans le cadre de l’enquête interne par les conseils américains de la Banque et par des enquêteurs américains dans les locaux de la police judiciaire, en France, de même que plusieurs autres collaborateurs de la Banque.

À l’issue des investigations, la Banque avait décidé de signer une transaction avec le gouvernement américain, lequel avait posé comme préalable que la Banque se sépare de six employés, dont le Salarié, apparus aux yeux des enquêteurs américains comme susceptibles d’avoir pris part aux faits objets des poursuites. En conséquence, le Salarié avait été informé par son employeur de l’imminence d’un accord transactionnel et de ce que la Banque avait décidé de mettre fin à six contrats de travail, dont le sien. La Banque avait ensuite notifié son licenciement au Salarié.

Les parties avaient cependant choisi de négocier les conditions de la rupture du contrat de travail et une transaction avait été signée le 27 juin 2014 qui prévoyait, outre une indemnité transactionnelle de 935 000 €, que :

« Sous réserve de la parfaite exécution de la présente transaction et en particulier du règlement des sommes mentionnées aux articles 1 et 2 du présent protocole, [le salarié] se déclare entièrement rempli de ses droits actuels et futurs vis-à-vis de BNP Paribas, ou toute autre Société du Groupe BNP Paribas en France et à l’étranger du fait tant de l’exécution que de la cessation de son contrat de travail au sein de BNP Paribas à quelque titre et pour quelque cause que ce soit.
[Le Salarié] déclare expressément n’avoir plus aucune autre demande à formuler contre BNP Paribas et/ou toute autre Société du Groupe BNP Paribas du fait tant de l’exécution que de la cessation de son contrat de travail, à quelque titre et pour quelque cause que ce soit. »

La Banque avait annoncé le 1er juillet 2014 être parvenue à un règlement global avec les autorités américaines. Dans le cadre de cet accord, elle avait reconnu sa responsabilité (« guilty plea ») pour avoir enfreint certaines lois et réglementations des États-Unis relatives à des sanctions économiques à l’encontre de certains pays et aux enregistrements des opérations liées. Elle avait, en outre, accepté de payer la somme totale de 8,97 milliards de dollars (6,6 milliards d’euros). Enfin, la Banque avait accepté une suspension temporaire, pour une durée d’un an, de certaines opérations directes de compensation en dollars US, portant principalement sur le périmètre de l’activité de financement du négoce international de matières premières, pour la partie pétrole et gaz, dans certaines implantations. Le communiqué publié lors de la signature de l’accord précisait : « Plusieurs cadres et collaborateurs des entités concernées ont été sanctionnés. D’autres ont quitté le Groupe. ».

Mais l’affaire ne s’arrêtait pas là pour le Salarié. En 2017, la Réserve fédérale américaine, banque centrale des États-Unis, décidait de diligenter une enquête contre les personnes physiques identifiées dans le cadre de l’accord transactionnel, en vue d’éventuelles poursuites.

Afin d’obtenir la prise en charge de ses frais de défense aux États-Unis, le Salarié saisit la formation de référé du conseil de prud’hommes. Au terme d’une « saga » judiciaire, ayant donné lieu à un premier arrêt de la Cour de cassation, le 27 mai 2020, d’un renvoi devant la Cour d’appel de Paris, le 16 décembre 2021, puis d’un second pourvoi en cassation, la Cour de cassation a rendu, le 11 mai 2023, un arrêt important. Il déclare irrecevable la demande de prise en charge de ses frais de défense par le Salarié dès lors qu’une transaction est intervenue entre les parties aux termes de laquelle le Salarié s’est déclaré entièrement rempli de ses droits actuels et futurs, quand bien même les poursuites, ultérieures à la rupture du contrat, n’auraient pas pu être anticipées par le Salarié.

S’il est bien établi que l’employeur est tenu de prendre en charge les frais de défense des salariés en raison de poursuites engagées sur des faits commis dans le cadre de leurs fonctions, cette décision vient préciser qu’une transaction entre employeur et salarié peut venir encadrer cette obligation. Ce faisant, il pose plus largement et une nouvelle fois la...

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