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Enquêtes AMF : le Conseil constitutionnel écarte l’obligation de notification du droit de se taire

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution de l’article L. 621-12, alinéa 1, du code monétaire et financier en ce qu’il prévoit, à l’occasion d’une opération de visite conduite par les agents de l’AMF, la possibilité du « recueil, (…) des explications des personnes sollicitées sur place », le Conseil constitutionnel écarte l’obligation de notification du droit de se taire à ce stade de l’enquête.

Comment concilier l’objectif d’efficacité et de célérité de la recherche probatoire avec la protection des droits fondamentaux de tous les intervenants susceptibles d’être soumis aux mesures d’enquête ? Cette question, qui irrigue toute matière répressive, a encore été posée avec acuité au Conseil constitutionnel concernant les mesures d’enquêtes mises en œuvre par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

La décision commentée apporte la réponse à une question prioritaire de constitutionnalité portée par l’Association des avocats pénalistes (ADAP), dans le cadre du recours en annulation formé à l’encontre de la décision implicite de rejet du Premier Ministre concernant la demande d’abrogation des articles R. 621-34, R. 621-35 et R. 621-36 du code monétaire et financier – relatifs aux modalités de mise en œuvre des pouvoirs conférés aux enquêteurs et contrôleurs de l’AMF, notamment en matière d’audition ou de recueil d’explications auprès de personnes présentes sur place au cours d’opérations de visite et saisie.

Les termes de cette question portaient sur les mots « et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place », figurant au premier alinéa de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier, fondement des articles règlementaires précités. L’ADAP soutenait que ces dispositions, en ce qu’elles ne prévoient pas la notification de leur droit de se taire aux personnes dont les enquêteurs de l’AMF sollicitent les explications au cours d’une visite domiciliaire autorisée par le juge des libertés et de la détention, porteraient atteinte aux droits garantis par l’article 9 de la Déclarations des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu’il garantit le droit de ne pas s’auto-incriminer dans le cadre d’une procédure répressive et donc, corrélativement, le droit de se taire.

Pour les mêmes motifs, l’ADAP reprochait par ailleurs au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence, « dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées » (décision commentée, § 3).

Le Conseil constitutionnel a néanmoins déclaré conformes à la Constitution les dispositions critiquées, identifiant le stade de la procédure concerné et le contrôle a priori de la mesure par le juge des libertés et de la détention comme les éléments permettant de s’assurer que les droits des intervenants sont respectés.

Cette décision est éclairante sur l’appréciation par le Conseil constitutionnel du moment auquel un individu peut être considéré comme mis en cause dans le cadre d’une procédure répressive, moment à partir duquel il convient de le faire pleinement bénéficier des droits protecteurs qui sont attachés à ce statut.

Après avoir rappelé la récente évolution des contours constitutionnels du droit de se taire et de l’obligation de le notifier, les principaux apports de la décision commentée seront mis en exergue.

L’évolution récente des contours constitutionnels du droit de se taire et de l’obligation de le notifier

C’est initialement par sa décision du 2 mars 2004 que le Conseil constitutionnel a pour la première fois, sur le fondement de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme précité, reconnu comme principe à valeur constitutionnelle le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser ». Il a utilement pu en déduire – une dizaine d’années plus tard et après avoir étudié la question sous l’angle de la « notification » de ce droit (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Dalloz actualité, 30 août 2010, obs. S. Lavric ; AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. de La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ) – qu’il découle de ce principe un « droit de se taire » participant effectivement aux droits de la défense, dont doit bénéficier la personne mise en cause dans le cadre d’une garde à vue (Cons. const. 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC, D. 2017. 395 , note A. Gallois ; AJ pénal 2017. 27, note P. de Combles de Nayves et E. Mercinier ).

Plusieurs décisions du Conseil ont déjà permis d’établir les contours de ce droit, appliqué à la matière pénale. C’est ainsi qu’il a pu être décidé que le droit de se taire doit être notifié à la personne poursuivie entendue : par un magistrat instructeur (Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC, Dalloz actualité, 30 mai 2024, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2024. 402, obs. D. Miranda ; Légipresse 2024. 282 et les obs. ; ibid. 363, comm. M. Kantor ; ibid. 386, obs. G. Lécuyer ; ibid. 2025. 121, obs. N. Verly ), un juge des libertés et de la détention (Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC, Dalloz actualité, 7 oct. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 1767 ; AJ pénal 2021. 540 ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton ; 18 juin 2021 n° 2021-920 QPC, D. 2021. 1192 ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier ) ou par la chambre de l’instruction (Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-895/901/902/903 QPC, AJ pénal 2021. 269 ; D. 2021. 699 ; RSC 2021. 483, obs. A. Botton ) au cours d’une information judiciaire ; par un juge des libertés et de la détention dans l’attente d’un jugement (Cons. const. 4 mars 2021, n° 2021-934 QPC, AJ pénal 2021. 540, obs. S. Fucini ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton ; D. 2021. 1768 ) ; mais également à la personne suspectée lorsqu’elle est entendue au cours de l’enquête policière (Cons. const. 25 févr. 2022, n° 2021-975 QPC, Dalloz actualité, 25 févr. 2022, obs. S. Goudjil ; D. 2022. 690 , note V. Tellier-Cayrol ; AJ fam. 2022. 110, obs. L. Mary ; RSC 2022. 419, obs. A. Botton ).

Le principe de notification du droit de se taire n’est néanmoins acquis que dès lors que la personne est « effectivement » mise en cause (v. sur ce point, le commentaire du Conseil constitutionnel de la...

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