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Entre faculté et devoir : l’office du juge et la sanction procédurale de la violation du dessaisissement

Il résulte de la combinaison des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d’un jugement concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d’ordre public, doit être relevée d’office par le juge.

Pour ceux intéressés par le droit judiciaire privé et le droit des entreprises en difficulté, ou plus encore, par l’interaction entre ces deux matières, l’arrêt sous commentaire tombe à point nommé.

Du reste, la décision a ceci d’exceptionnel qu’elle est le siège de la rencontre de deux notions fondamentales au sein de leur domaine d’intervention respectif. Il s’agit des fins de non-recevoir, d’une part, et du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, d’autre part.

Quelques éléments de mise en contexte

Les fins de non-recevoir sont classiquement définies comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir (C. pr. civ., art. 122). Autrement dit, si la demande ou la défense d’une partie est rejetée en raison d’une fin de non-recevoir, c’est que cette dernière ne satisfait pas aux conditions exigées pour pouvoir soumettre au juge cet acte processuel (T. Le Bars, K. Sahli et J. Héron, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 148).

À ce propos, le risque que constitue le prononcé d’une fin de non-recevoir pèse particulièrement sur le débiteur placé en liquidation judiciaire.

Nous formulons cette remarque, car l’ouverture de cette procédure entraîne obligatoirement le dessaisissement du débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, mais également de ses droits et actions concernant son ou ses patrimoine(s) soumis à la procédure collective, lesquels sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur (C. com., art. L. 641-9, I).

Sur le plan procédural, cette règle se traduit notamment par un défaut de qualité pour agir du débiteur pour toutes les actions ayant une incidence sur son ou ses patrimoine(s) soumis à la procédure collective. À titre d’illustration, à compter de l’ouverture de la liquidation judiciaire, il est irrecevable à exercer une action en recouvrement de créance (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-10.711 NP ; Com. 15 nov. 2017, n° 16-21.066 NP). Corrélativement, la privation pour le débiteur du droit d’agir en justice, lorsque l’action a une nature « patrimoniale », emporte reconnaissance de la qualité pour agir du liquidateur (v. par ex. Com. 11 mars 2008, n° 06-19.616 NP).

Problématique au cœur de l’arrêt

C’est le régime de cette fin de non-recevoir, tirée d’une violation du dessaisissement, qui est au cœur de l’arrêt sous commentaire avec l’épineuse question de connaître l’office du juge face à cette sanction procédurale : a-t-il le devoir de la relever d’office ou dispose-t-il à cet égard d’une simple faculté ?

L’affaire

En l’espèce, une société, maître de l’ouvrage, a confié le 15 juin 2012 à un entrepreneur principal un chantier. Au cours de l’année suivante, l’entrepreneur a sous-traité une partie de celui-ci à une autre société, le paiement de cette dernière devant être réalisé directement par le maître de l’ouvrage.

Après la réalisation des travaux, le sous-traitant n’a pu obtenir le paiement de ses factures et a assigné le maître d’ouvrage en paiement de certaines sommes, mais un jugement du 28 juin 2016 a rejeté ses demandes.

Le sous-traitant a alors interjeté appel de ce jugement le 29 juillet 2016 et notons, qu’entre temps, il a été mis en liquidation judiciaire le 6 juillet.

Du reste, cette affaire a été renvoyée à la mise en état et l’ordonnance de clôture révoquée en raison de la liquidation judiciaire. Par une ordonnance du 24 janvier 2018, le conseiller de la mise en état a constaté « l’interruption de l’instance » et enjoint aux parties de régulariser la procédure.

Relevons encore, car cela aura une importance pour la compréhension de l’arrêt, que, par une ordonnance du 16 octobre 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions d’incident et au fond signifiées par le maître d’ouvrage.

Quoi qu’il en soit, et après l’intervention volontaire du liquidateur judiciaire à l’instance, la cour d’appel a infirmé le jugement entrepris et a condamné le maître d’ouvrage à payer une certaine somme au liquidateur.

Le maître d’ouvrage a alors formé un pourvoi en cassation.

En substance, il reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir relevé d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir résultant du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire. En somme, il contestait également le fait que la cour d’appel n’ait pas pris la peine de constater que l’intervention du liquidateur était survenue dans le délai d’appel, ce qui était pourtant crucial dans la mesure où il s’agit de l’unique hypothèse dans laquelle l’intervention du liquidateur pourrait régulariser la procédure initiée par le seul débiteur dessaisi (Com. 14 déc. 1999, n° 97-15.361 P, Société Sivel c. Société CDR Créance groupe Consortium réalisation, D. 2000. 65 , obs. A. Lienhard ; 15 nov. 2017, n° 16-21.066 NP, préc.).

Malheureusement pour le demandeur – qui, nous allons le voir, pourra nourrir certains regrets – la Cour de cassation va rejeter son pourvoi.

La solution posée

Pour cela, la haute juridiction indique qu’il résulte des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d’un jugement « concernant son patrimoine » et que cette fin de non-recevoir, qui est d’ordre public, doit être relevée d’office par le juge. Cependant, la Cour de cassation prend le soin de préciser, très classiquement, et nous ne reviendrons pas dessus, que celle-ci peut être régularisée par l’intervention du liquidateur dans le délai d’appel (C. pr. civ., art. 126, al. 2).

À s’en tenir à ces seules énonciations, le lecteur serait susceptible de ne pas comprendre pourquoi le pourvoi a été rejeté, dans la mesure où, étant en présence d’une fin de non-recevoir d’ordre public, le juge devait donc bien la relever d’office, ce qui aurait pu entraîner la cassation de l’arrêt d’appel.

Pourtant, telle n’est pas la solution rendue par la haute...

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