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Entre « incompréhension » et « étonnement », les ex-activistes refusent leur extradition vers l’Italie

Neuf anciens membres de mouvements d’extrême gauche italiens, huit Italiens et un Français, réclamés par l’Italie pour des crimes commis durant les « années de plomb », ont refusé mardi leur extradition lors d’une première audience de pure forme. Le fond sera examiné les 9, 23 et 30 juin.

par Pierre-Antoine Souchardle 6 mai 2021

Ils ont patienté une bonne partie de l’après-midi, avec leurs proches, dans le morne couloir de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avant que leur demande d’extradition ne soit examinée lors d’une audience de notification. Sept hommes, deux femmes, la chevelure oscillant entre le poivre et sel, le blanc, voire la teinture pour les plus coquets.

Un à un, ils ont défilé devant la cour. Un même rituel formel où ils déclinent leur identité, se voient rappeler les faits reprochés. À tous, la présidente pose la même question : « Acceptez-vous d’être remis à l’État italien ? » Et tous de répondre par la négative avant de manifester leur étonnement, voire leur incompréhension.

Les faits pour lesquels ils ont été condamnés se situent entre 1972 et 1982. Soit les « années de plomb », cette période noire où la péninsule fut le théâtre de violentes actions et attentats menés tant par l’extrême gauche que par l’extrême droite. Ils se sont réfugiés en France à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt. Ils y ont refait leur vie, certains travaillent encore, d’autres sont à la retraite. En 1981, le président François Mitterrand accepte d’accueillir ceux qui auront renoncé à la lutte armée et n’ont pas de sang sur les mains, la « doctrine Mitterrand ».

Rafaele Silvio Ventura, 71 ans, s’est réfugié en France en 1982. Il a renoncé quatre ans plus tard à sa nationalité pour devenir français. Ce qui pourrait poser quelque difficulté à son extradition. Il lui reste un reliquat de quatorze ans à purger en Italie. « J’ai commis des actions violentes, souvent à la limite de la légalité, mais jamais je n’ai utilisé d’armes à feu », explique à la cour cet homme condamné pour meurtre aggravé. « J’ai toujours respecté les principes qui conditionnaient ma présence en France. »

Giorgio Pietrostefani est le plus âgé, 77 ans. Il est arrivé en France en 1975. L’Italie le réclame pour un reliquat de peine de quatorze ans, deux mois et onze jours. « Le crime pour lequel j’ai été condamné, moi je me suis toujours déclaré innocent. Je n’ai rien à faire avec ça », explique ce vieillard voûté, la voix étouffée par son masque FFP2.

Trois d’entre eux, Enzo Calvitti, 66 ans, Narciso Manenti, 64 ans et Marina Petrella, 66 ans, ont déjà fait l’objet de demandes italiennes dans les années. Pour les deux premiers, elle s’est soldée par un avis défavorable, comme l’ont rappelé leurs avocats. En 2008, l’extradition de Marina Petrella, signée par le Premier ministre François Fillon avait été suspendue par le président Nicolas Sarkozy.

Manteau bleu sombre, cheveux blancs, Marina Petrella s’est dite bouleversée par cette nouvelle demande d’extradition. « Ces trente années de refuge en France ont été des années de douleur et je tiens à dire que l’exil est une forme d’expiation à part entière, un parcours à l’enseigne de la déchirure, de l’abandon de sa terre natale, de ses proches », a-t-elle déclaré à la cour. « Une forme d’expiation perpétuelle, sans remise de peine, sans grâce », ajoutera-t-elle ensuite. « À presque 70 ans, on ne rentre pas en Italie pour purger une peine de réclusion à perpétuité. On rentre pour mourir en prison », a-t-elle conclu.

Roberta Capelli, 65 ans, éducatrice spécialisée, condamnée à la perpétuité, a exprimé sa « gratitude » pour l’accueil qu’elle a reçu en France. « Il n’y avait pas de complaisance envers notre histoire. Il s’agissait d’imaginer simplement une autre trajectoire possible que le tout pénal. »

La chambre de l’instruction examinera en juin les demandes d’extradition sur le fond. Presque tous les avocats se sont opposés à la demande d’intervention volontaire de l’État italien à l’audience. « Nous sommes les otages judiciaires de petits arrangements entre États », a regretté Irène Terrel, avocate de plusieurs de ces anciens activistes.