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Entre symbole et précision : la ratification implicite de la créance déclarée sans pouvoir

Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance. Selon la Cour de cassation, puisqu’aucune forme particulière n’est prévue pour cette ratification, celle-ci peut être implicite. Dès lors, un créancier qui conclut devant une cour d’appel à l’admission de la créance déclarée en son nom par un préposé, mais sans pouvoir, a nécessairement ratifié la déclaration, ne serait-ce qu’implicitement.

par Benjamin Ferrarile 26 mars 2021

L’ouverture d’une procédure collective sonne, pour le créancier soumis à la discipline collective, le glas de son droit de poursuite individuelle contre le débiteur. Cette limitation de l’activité juridique du créancier est néanmoins compensée, d’une part, par l’habilitation à défendre l’intérêt collectif des créanciers conférée au mandataire judiciaire (C. com., art. L. 622-20) et, d’autre part, par l’obligation faite aux créanciers de procéder à leur déclaration de créance (C. com., art. L. 622-24). Si la déclaration de créance vient pallier l’interdiction des poursuites individuelles, c’est qu’elle peut être définie comme l’acte par lequel le créancier manifeste l’intention d’obtenir, dans le cadre de la procédure collective, paiement de ce qui lui est dû par le débiteur (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2021-2022, 11e éd., n° 661.111). Autrement dit, la déclaration de créance se substitue à l’action en paiement qui aurait pu être exercée en dehors de la procédure collective.

Figure emblématique du droit des entreprises en difficulté, le régime de la déclaration de créance a été bouleversé par l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014 (ord. n° 2014-326, 12 mars 2014, réformant la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives). Cette réforme a introduit un véritable changement de paradigme dans les textes. Pour l’essentiel, si, auparavant, seul le créancier était doté du pouvoir de déclarer sa créance, la réforme a introduit la possibilité pour le débiteur de déclarer pour le compte du créancier (C. com., art. L. 622-24, al. 3) et la faculté pour ce dernier de ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue (C. com., art. L. 622-24, al. 2). L’arrêt ici rapporté précise le régime de cette ratification.

En l’espèce, le responsable du service contentieux d’une banque a déclaré une créance au passif d’un débiteur en redressement judiciaire. Cette créance est admise au passif, mais la cour d’appel infirme l’ordonnance d’admission au motif que la déclaration de créance avait été accomplie par une personne dépourvue du pouvoir pour le faire. La banque forme un pourvoi en cassation. Elle fait valoir devant la haute juridiction que le créancier déclarant peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance. Or, en invalidant la déclaration sans examiner si la banque, qui a conclu à l’admission de la créance, n’a pas ratifié, par là même, la déclaration, la cour d’appel aurait violé l’article L. 622-24 du code de commerce dans sa rédaction issue des dispositions de l’ordonnance du 12 mars 2014.

La Cour de cassation souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle que le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance, sans qu’une forme particulière soit exigée pour cette ratification, laquelle peut être implicite. Dès lors, bien qu’en l’espèce, la chaîne des pouvoirs ne soit pas complète et que la déclaration de créance n’ait pas été dûment ratifiée en cours de procédure, la banque, en concluant devant la cour d’appel à l’admission de la créance déclarée, avait toutefois nécessairement, mais implicitement, ratifié la déclaration.

D’une façon générale, l’arrêt sous commentaire est intéressant en ce qu’il affine les dispositions relatives au régime de la déclaration de créance introduites par l’ordonnance du 12 mars 2014.

D’une façon plus particulière, deux aspects de la solution méritent l’attention. D’une part, elle comporte une valeur symbolique en ce qu’elle confirme l’extinction du contentieux portant sur l’identité de l’auteur de la déclaration de créance. D’autre part, elle apporte une précision importante résidant dans le possible caractère implicite de la ratification de déclaration de créance.

Le symbole : l’extinction du contentieux portant sur l’identité de l’auteur de la déclaration

Sous l’empire des textes antérieurs à l’ordonnance du 12 mars 2014, l’obligation de procéder à la déclaration de créance incombait exclusivement au créancier. Ce principe reposait notamment sur l’idée que la déclaration de créance était assimilée à une action en justice (v. par ex. Com. 14 déc. 1993, n° 93-11.690, Bull. civ. IV, n° 471 ; Rev. sociétés 1994. 100, note Y. Chartier ; RTD com. 1994. 364, obs. A. Martin-Serf  ; 14 oct. 2014, n° 13-16.609 NP). Partant, si le déclarant n’était pas le créancier, il devait en principe être titulaire du pouvoir d’agir en justice pour son compte.

Cette dernière assertion a été la source – peut-être artificielle – d’un contentieux particulièrement irritant pour les personnes morales créancières, et spécifiquement, pour les créanciers institutionnels (P.-M. Le Corre, op. cit., n°  661.121).

En principe, les représentants légaux de la personne morale – parce qu’ils ont le pouvoir de l’engager – ont corrélativement le pouvoir de procéder à la déclaration de créance (v. par ex. Com. 12 juill. 2011, n° 10-18.444 NP, Dalloz actualité, 27 juill. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 2031, et les obs. ; Rev. sociétés 2011. 527, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2012. 192, obs. A. Martin-Serf ).

Toutefois, la situation était parfois plus délicate, car le créancier pouvait donner mandat spécial et écrit à un tiers (Cass., ass. plén., 26 mars 2010, n° 09-12.843, Bull. ass. plén., n° 2 ; Dalloz actualité, 1er avr. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 887, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010. 610, obs. A. Martin-Serf  ; BJS sept. 2010, n° 9, p. 754, note P. Pétel ; Rev. pr. coll. 2011/2, comm. 36 note M.-N. Legrand et F. Legrand ; Act. proc. coll. 2010/8, n° 116, note J. Vallansan ; JCP 2010. 383, note P. Roussel Galle ; Com. 22 juin 2010, n° 09-65.481, Bull. civ. IV, n° 113 ; Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1702 ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. sociétés 2011. 304, note F. Mélin ; RTD com. 2010. 783, obs. A. Martin-Serf  ; BJS sept. 2010, n° 9, p. 755, note J.-L. Vallens ; Dr. sociétés 2010/11, comm. 112, note J.-P. Legros ; Rev. pr. coll. 2010/6, comm. 217, note M. Menjucq) ou charger un préposé, au moyen d’une délégation de pouvoir, d’accomplir la déclaration (Com. 2 mars 2010, n° 08-20.422 NP ; 17 mai 2017, n° 15-25.363 NP).

Certes, une jurisprudence assez libérale permettait, en cas de contestation de pouvoir, d’en rapporter la preuve jusqu’à ce que le juge statue (Cass., ass. plén., 4 févr. 2011, n° 09-14.619, Bull. ass. plén., n° 2 ; Dalloz actualité, 8 févr. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 439, obs. A. Lienhard ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2011. 387, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2011. 412, obs. A. Martin-Serf  ; Gaz. Pal. 10 mars 2011, n° 69, p. 13, note L. Antonini-Cochin ; BJE mai 2011, n° 2, p. 130, note P.-M. Le Corre ; Dr. sociétés 2011/6, comm. 119, note J.-P. Legros ; Procédures 2011/5, comm. 177, note B. Rolland ; JCP 2011. 381, note L.-C. Henry), mais à défaut de pouvoir, la déclaration de créance ne pouvait être ratifiée (Com. 28 mai 1996, n° 94-13.304, Bull. civ. IV, n° 148 ; RTD com. 1996. 713, obs. A. Martin-Serf  ; 17 déc. 1996, nos 94-19.489 et 94-19.550, Bull. civ. IV, n° 313 ; D. 1997. 31 ; RTD com. 1997. 510, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 512, obs. A. Martin-Serf ).

Ces éléments permettent d’expliquer qu’en l’espèce, puisque le préposé de la banque ne justifiait d’aucune délégation de pouvoir, la régularité de la déclaration de créance et son admission au passif aient été contestées. Les habitudes ont la vie dure !

La haute juridiction rompt avec cette logique. Elle casse l’arrêt d’appel et confirme que, sous l’empire des textes instaurés par l’ordonnance du 12 mars 2014, la déclaration de créance peut être effectuée sans pouvoir dans la mesure où le créancier a la possibilité de la ratifier jusqu’à ce que le juge statue. Certes, concédons que la lettre du deuxième alinéa de l’article L. 662-24 du code de commerce n’est pas aussi affirmative, mais la définition même du terme de ratification abonde en ce sens. Il se définit comme l’acte par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle, mais sans pouvoir, par une tierce personne (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016, p. 851).

L’arrêt ici rapporté est éminemment symbolique.

À notre connaissance, il constitue la première « retombée » jurisprudentielle – au stade de la cassation à tout le moins – de l’une des dispositions phares de la réforme de 2014 : la possibilité pour le créancier de ratifier la créance déclarée sans pouvoir.

D’un symbole à un autre, nous pourrions même ajouter que l’arrêt commenté apporte au débat relatif à la nature juridique de la déclaration de créance. Au lendemain de la réforme, il avait été affirmé en doctrine que la possibilité de ratification de la créance par le créancier – et donc la faculté corrélative de déclarer la créance sans pouvoir – conduisait à abandonner l’idée selon laquelle la déclaration de créance équivalait à une demande en justice (P.-M. Le Corre, Déclaration et vérification des créances : quels changements, Gaz. Pal. 3 janv. 2015, n° 203d8, p. 26 ; P. Pétel, Entreprises en difficulté : encore une réforme !, JCP E 2014. 1223). Bien que l’analyse soit contestée (G. Teboul, La déclaration des créances : actualité et perspectives, Gaz. Pal. 23 févr. 2016, n° 8, p. 21 s. ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 12e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2020, n° 764), la déclaration de créance devrait aujourd’hui plutôt être qualifiée d’acte conservatoire du droit de créance auquel le code de commerce fait produire les effets classiquement attachés à une action en justice (C. com., art. L. 622-25-1).

Quoi qu’il en soit, le principe est aujourd’hui que le créancier n’a plus à justifier a posteriori d’avoir confié un pouvoir à un mandataire ou à un préposé de déclarer la créance pour son compte. Désormais, un tiers sans pouvoir peut déclarer une créance, laquelle en cas de difficulté sera ratifiée par le créancier qui confirmera alors sa volonté de voir opposer son droit de créance à la procédure collective, et ce jusqu’à ce que le juge statue.

L’arrêt ici rapporté confirme donc que la question du pouvoir pour déclarer les créances est morte (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1530). Prenons garde toutefois à ne pas extrapoler la solution. Celle-ci ne vaut que pour les procédures ouvertes à compter du 1er juillet 2014, date de l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance du 12 mars 2014 (Com. 22 mars 2017, nos 15-18.219 et 15-18.220 NP).

Une fois la possibilité de ratification entérinée par l’arrêt sur le fondement des textes issus de la réforme de 2014, il faut encore s’interroger sur les spécificités techniques de cette ratification. Là est le deuxième intérêt de l’arrêt ici rapporté.

La précision : le possible caractère implicite de la ratification

Pour la haute juridiction, quand bien même le créancier n’aurait pas réalisé un acte positif tendant à ratifier la déclaration de créance au cours de la procédure, le seul fait d’avoir conclu à l’admission de la créance devant la cour d’appel suffisait à emporter implicitement la ratification de la déclaration.

Si nous souscrivons volontiers à cette solution, elle mérite néanmoins quelques précisions.

Concédons, d’abord, que dans un autre domaine que celui de la déclaration des créances – mais toujours en matière de droit des entreprises en difficulté – la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de refuser le caractère « seulement » tacite d’une ratification. Cette situation s’est présentée à propos d’un acte accompli par un débiteur en liquidation judiciaire au mépris de son dessaisissement. Dans ce cas, le liquidateur peut faire le choix de ratifier un tel acte. En revanche, cela suppose une démarche positive de la part du mandataire. Par exemple, si le liquidateur est autorisé par le juge-commissaire à vendre un immeuble ayant été acquis au moyen d’un prêt contracté au mépris du dessaisissement, l’autorisation du juge-commissaire n’emporte pas pour autant ratification implicite du prêt ou de l’acquisition de l’immeuble par le débiteur (Com. 19 mai 2004, n° 01-13.596, Bull. civ. IV, n° 96 ; D. 2004. 1813 , obs. A. Lienhard ).

Las, aucune conclusion ne peut être tirée de cet exemple, car la ratification par le liquidateur des actes accomplis au mépris du dessaisissement ne découle d’aucun texte contrairement à la situation qui nous intéresse en l’espèce. Au demeurant, certes, la lettre de l’article L. 622-24 du code de commerce reste muette sur la forme que doit revêtir la ratification par le créancier de la déclaration de créance produite par le tiers. Toutefois, au bénéfice de l’arrêt commenté, nous pourrions avancer qu’en application de l’adage ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, il n’appartient pas au juge de distinguer là où la loi ne distingue pas. Dès lors, si l’article L. 622-24 du code de commerce ne distingue pas entre la ratification expresse ou implicite, il n’y a pas lieu de distinguer et d’exclure la seconde possibilité.

Pour cette unique raison, la solution édictée par l’arrêt sous commentaire nous paraît déjà justifiée. En outre, une telle décision n’est pas inédite lorsque l’on étend le spectre de l’analyse au droit des obligations.

Parfois, le législateur prévoit directement la faculté de ratifier un acte de façon implicite. Tel est le cas de l’article 1998 du code civil. Ce texte prévoit que le mandant doit exécuter les engagements contractés par le mandataire, mais il n’est pas tenu pour ce qui a pu être fait au-delà, sauf en cas de ratification expresse ou tacite de sa part (Civ. 3e, 17 sept. 2020, n° 19-17.393 NP, RDI 2020. 676, obs. J.-P. Tricoire  ; Gaz. Pal. 8 déc. 2020, n° 392h7, p. 86, note V. Zalewski-Sicard).

Cependant, il est d’autres hypothèses où le législateur reste muet sur la forme de la ratification, ce qui a permis à la jurisprudence d’en déduire que celle-ci pouvait être seulement tacite. Ce cas se retrouve, par exemple, en matière de représentation (C. civ., art. 1156, al. 3) où la jurisprudence a reconnu que la ratification par le représenté d’un acte accompli par un représentant sans pouvoir pouvait résulter de l’exécution, en connaissance de cause, de l’acte conclu (Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 13-19.626, Bull. civ. I, n° 118 ; Dalloz actualité, 25 juill. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1493 ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2015. 215 , obs. N. Le Rudulier ; RTD civ. 2015. 455, obs. N. Cayrol  ; CCC 2014/11, comm. 238, note L. Leveneur).

Dans la même veine, le régime de la promesse de porte-fort (C. civ., art. 1204) éclaire utilement la solution adoptée en l’espèce par la Cour de cassation. Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, la haute juridiction a admis que cette ratification pouvait être expresse ou tacite (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008, Bull. ass. plén., n° 4 ; Dalloz actualité, 4 mai 2011, obs. X. Delpech ; D. 2011. 1870, obs. X. Delpech , note O. Deshayes et Y.-M. Laithier ; ibid. 2012. 244, obs. N. Fricero ; Rev. sociétés 2011. 547, note J. Moury ; RTD civ. 2011. 795, obs. P. Théry ; ibid. 798, obs. P. Théry  ; BJS juill. 2011, n° 7, p. 567, note A. Couret ; JCP 2011. 715, note Y.-M. Sérinet). Or, si elle est tacite, l’essentiel est de prouver un réel engagement clair et non équivoque de la part du tiers pour qui l’on se porte fort (Com. 24 mai 2016, nos 14-15.042, 14-16.703 et 14-14.933 NP).

Ces critères peuvent être transposés à la ratification par le créancier de la déclaration de créance accomplie par son préposé sans pouvoir. En l’espèce, il nous semble que les conclusions du créancier tendant à l’admission de la créance devant la cour d’appel pouvaient effectivement constituer une ratification tacite de la déclaration de créance, car en défendant la créance « au fond », le créancier a manifesté sa volonté claire et non équivoque d’être reconnu comme tel au sein de la procédure collective de son débiteur.

Au lendemain de la réforme du 12 mars 2014, un auteur constatait qu’un vent de clémence allait souffler sur la déclaration de créance (P.-M. Le Corre, Déclaration et vérification des créances : quels changements, art. préc.)… Au regard de l’arrêt ici rapporté, il ne sera donc pas surpris de constater que le vent en question s’est bien levé !