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Les époux Balkany condamnés pour fraude fiscale ou la sanction de « la délinquance fortement rémunératrice »

La 32e chambre correctionnelle a condamné vendredi Patrick et Isabelle Balkany pour fraude fiscale, au titre des années 2009 à 2014, à respectivement quatre et trois ans d’emprisonnement. Le maire de Levallois s’est vu décerner un mandat de dépôt à l’audience. Leurs avocats ont immédiatement fait appel de cette décision.

par Pierre-Antoine Souchardle 13 septembre 2019

Il y a des signes qui ne trompent pas. Le port de mocassins plutôt que des chaussures à lacets lors du prononcé du jugement. Vendredi jour du jugement, Patrick Balkany avait chaussé des mocassins noirs et affichait un sourire crispé dans la salle d’audience. Son épouse, absente lors des débats en raison d’une tentative de suicide, est apparue, fatiguée, au bras de son époux. Leur fils Alexandre, poursuivi dans le second volet, était présent à leurs côtés. 

À 13h40, le président du tribunal, Benjamin Blanchet, a commencé la lecture des attendus dans un silence de plomb. À la demande du magistrat, le couple s’est approché de la barre, s’y est accroché pressentant la tempête qui allait s’abattre sur eux, avant que Mme Balkany ne soit invitée quelques minutes plus tard à regagner son siège.

Lui devant, elle derrière dans le mauvais temps, le couple a écouté sans broncher le président égrener le dispositif, tour à tour cinglant, cruel et terrible à leur endroit. « Atteinte au corps social, dommage occasionné à la solidarité nationale, indéniable enracinement dans une délinquance fortement rémunératrice, comportement contraire aux valeurs fondamentales de la République ».

Dès la première phrase, le ton est donné. « Le tribunal juge qu’il est démontré que M. et Mme Balkany ont, d’une part, déposé sciemment des déclarations séparées en matière d’impôt sur le revenu (…) et, d’autres part, très largement minoré le montant réel de leurs revenus ». La fraude fiscale est avérée.

Les époux ont « intentionnellement minoré la valeur vénale du moulin de Cossy et dissimulé à l’administration fiscale la propriété de la villa Pamplemousse et celle de la villa de Marrakech ainsi que les avoirs financiers correspondants en ayant recours à une kyrielle de sociétés extraterritoriales à même de leur garantir l’anonymat inhérent à l’impunité fiscale ». Soit un patrimoine estimé entre 17 et 18 millions d’euros sur les années 2010 à 2015 sans que le couple ne fasse de déclaration au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Un tel écart entre l’évaluation par l’administration fiscale et celle du couple sur leurs feuilles d’impôts séparées ne peut s’expliquer, selon le jugement, que « par la volonté résolue ayant mû les époux Balkany de dissimuler méthodiquement (au FISC), au moyen de montages juridiques complexes impliquant l’utilisation de structures extraterritoriales implantées dans des États réputés pour leur indulgence fiscale et leur grande hospitalité traditionnellement manifestée aux fraudeurs fiscaux du monde entier, l’étendue réelle de leur patrimoine ».

Balayées les explications de Patrick Balkany sur l’usage de fonds familiaux cachés en Suisse puis revenus en France à la faveur de l’amnistie fiscale de juillet 1986. « Le prévenu n’a produit aucun document justificatif de nature à démontrer la véracité de ses allégations alors qu’il lui était parfaitement loisible de solliciter de l’établissement bancaire suisse concerné la délivrance de toutes attestations utiles ».

Les époux, en déduit le tribunal, « ont intentionnellement dissimulé à l’administration fiscale la majeure partie de leurs revenus dans l’unique dessein de réduire frauduleusement et substantiellement le montant de la contribution publique qu’ils étaient acquitter en application de la loi ».

Le tribunal a rejeté les explications confuses de M. Balkany qui affirmait ne pas être le véritable bénéficiaire économique du compte bancaire de la société de droit panaméen Himola sur lequel l’industriel George Forrest a versé 5 millions de dollars en deux fois en juin 2009. Somme qui a servi ensuite à payer la villa de Marrakech. Celui-ci avait affirmé avoir rétribué le maire de Levallois en tant qu’apporteur d’affaire. Et que ce dernier lui avait griffonné le numéro d’un compte ouvert à la Commerzbank de Singapour. Ce que M. Balkany a démenti tout au long de l’enquête et du procès. Le tribunal relève cependant que pour virer la somme, M. Forrest « devait impérativement avoir été préalablement avisé des 7 chiffres composant le numéro confidentiel de ce compte ».

Sur les peines, le tribunal a opéré une différence entre Patrick et Isabelle Balkany, le « niveau de responsabilité de cette dernière ne se (situant) pas exactement au même degré que celle de son époux ». Le tribunal n’a pas ordonné l’incarcération de Mme Balkany, son état de santé étant incompatible avec la détention.

Le tribunal a justifié les quatre ans d’emprisonnement de M. Balkany au regard de la gravité des infractions et de la personnalité de la qualité d’élu, « dont le devoir d’exemplarité est consacré par la loi qui érige en circonstance aggravante la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique ».

Quant au mandat de dépôt à la barre, celui-ci s’explique par « l’indéniable enracinement de M. Balkany, sur une longue période, dans une délinquance fortement rémunératrice et de la circonstance qu’il ne saurait être exclu que les intérêts économiques de l’intéressé continuent de diverger du sol national et que celui-ci soit dès lors incité à se soustraire, autrement que par les voies de recours légalement prévenues, à l’application de la sanction pénale nonobstant l’exercice de son mandat municipal ».

Le tribunal a prononcé également une inéligibilité d’une durée de dix ans à leur encontre ainsi qu’une interdiction d’exercer sur la même durée. Les avocats du couple ont immédiatement fait appel. Le ministère public avait requis quatre ans et mandat de dépôt contre M. Balkany et quatre ans dont deux avec sursis contre son épouse.

Le 18 octobre, le tribunal doit se prononcer sur le volet blanchiment de fraude fiscale et corruption dans lequel une peine de sept ans a été requise contre M. Balkany.