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Escroquerie au jugement : retour sur la matérialité du délit

Si le seul mensonge n’est pas suffisant pour constituer une manœuvre caractéristique du délit d’escroquerie, il en va différemment du délit d’escroquerie au jugement où la production d’un document simplement mensonger suffit à caractériser cette condition. Tel n’est toutefois pas le cas d’un simple courrier adressé à un juge d’instruction par l’avocat d’une partie pour contester la valeur d’une charge. La décision du juge d’instruction de rejeter une demande de non-lieu en cours d’information judiciaire n’est pas davantage un acte susceptible d’opérer obligation ou décharge au sens de l’article 313-1 du code pénal, et par là même de causer un préjudice au mis en examen.

Il est aujourd’hui convenu que la jurisprudence sanctionne de manière constante, au titre de l’escroquerie, l’escroquerie au jugement (v. not., Crim. 4 avr. 1944, Bull. crim. n° 152 ; 8 nov. 1962, Bull. crim. n° 312 ; 16 mai 1979, RSC 1980. 447, obs. P. Bouzat ; 14 nov. 1979, n° 79-90.407 ; 3 juin 2004, n° 03-84.959).

Cette forme d’escroquerie qui consiste, pour le plaideur, à mettre en place une machination destinée à tromper le juge, ou plus largement « la justice », afin qu’il (elle) rende une décision portant préjudice à la victime (v. not., Crim. 26 mars 1998, n° 96-85.636, D. 1998. 149 ; RTD com. 1998. 955, obs. B. Bouloc ), n’est pas à négliger, tant elle se retrouve partout.

Récemment encore, cette infraction a été particulièrement mise en lumière dans le cadre d’une affaire dans laquelle deux avocats parisiens ont été renvoyés, devant le tribunal correctionnel de Paris, des chefs de complicité de tentative de ce délit pour avoir produit un faux document en faveur de leurs clients, soupçonnés de faits de trafic de stupéfiants jugés aux assises en 2018 (pour un rappel de cette affaire, M. Léna, Complicité. De tentative. D’escroquerie au jugement, AJ pénal 2023. 57 ) et dont le délibéré est fixé au 18 avril prochain.

Si cette déclinaison prétorienne du délit d’escroquerie obéit naturellement au régime de l’article 313-1, alinéa 1er, du code pénal, reste que l’approche adoptée par la jurisprudence des différents éléments constitutifs diverge. Au stade des manœuvres frauduleuses permettant de caractériser l’escroquerie au jugement, la Cour de cassation adopte une approche large.

L’interprétation large du document mensonger

Pour rappel, en matière d’escroquerie, pour être caractérisée, la manœuvre frauduleuse suppose l’existence d’un mensonge corroboré. Un simple mensonge, quand bien même serait-il écrit, est en effet insuffisant à la caractérisation de ce moyen frauduleux (Crim. 20 juill. 1960, Bull. crim. n° 382). Ce mensonge doit ainsi être accompagné d’un autre élément destiné à lui « donner force et crédit » (Crim. 12 nov. 1864), cette corroboration du mensonge allégué par l’agent pouvant se faire au travers de l’intervention d’un tiers, de l’élaboration d’une mise en scène ou encore de la production d’écrits.

L’escroquerie au jugement exige, de la même manière, un mensonge extériorisé. C’est ainsi que les manœuvres frauduleuses se trouvent notamment caractérisées dès lors que des documents mensongers sont produits au cours d’une instance judiciaire, dans le but de surprendre la religion du juge (v. not., Crim. 24 sept. 1996, n° 94-84.528, RSC 1997. 643, obs. R. Ottenhof ; 26 mars 1998, n° 96-85.636, préc.).

Notamment, dans un arrêt du 31 janvier 2018, la chambre criminelle a cassé l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait confirmé l’ordonnance de refus d’informer des chefs de faux, tentative et usage de faux s’agissant de la production, à l’appui d’une action en justice, d’une facture ne correspondant à aucune prestation réelle, jugeant que « la production de mauvaise foi à l’appui d’une action en justice, dans le but de surprendre la religion du juge, d’une facture mensongère, même non constitutive d’un faux au sens de...

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