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Ester (ou « être esté ») n’est pas être

Si, lorsqu’une opération de fusion-absorption se réalise en cours d’instance, la société absorbante a qualité pour poursuivre l’instance engagée à l’encontre de la société absorbée, encore faut-il que son adversaire formule des prétentions à son encontre.

« Tout n’a-t-il pas été déjà excellemment écrit à propos de l’incidence d’une fusion sur les actes accomplis par (ou à l’encontre de) la société absorbée dans une instance judiciaire ? » (J.-J. Barbieri, Être et ester, une conjugaison délicate, note ss. Com. 13 mars 2007, n° 05-21.594, BJS, n° 9, 965). C’est la question que se posait déjà, en 2007, notre regretté collègue, Jean-Jacques Barbieri, à qui l’intitulé de la présente note entend rendre hommage. La brillante note qu’il rédigea à la suite de cette interrogation démontre qu’il n’en était rien. Il faut croire que, dix-sept ans plus tard, la Cour de cassation n’a toujours pas dit ses derniers mots sur cette question. En témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 18 septembre 2024, publié au Bulletin.

Un contrat de location de véhicules a été conclu le 23 avril 2014 entre la société Via Location et la société Transport approvisionnements généraux (TAG). À compter du second semestre 2016, la société TAG, locataire, ne procède plus au paiement régulier des factures, ce qui conduira la société Via Location à l’assigner devant le Tribunal de commerce de Paris. Lequel, par jugement du 10 décembre 2020, a condamné la société TAG au paiement de diverses factures.

À partir de ce moment, la chronologie des évènements devient importante.

La société TAG interjette appel du jugement et sollicite, par conclusions du 15 octobre 2021, l’infirmation du jugement déféré et la condamnation de la société Via Location aux paiements de différentes sommes.

En cours d’instance, la société Via Location fait cependant l’objet d’une fusion-absorption. En effet, le 20 juillet 2022, celle-ci est absorbée par la société Fraikin France (la société Via Location étant radiée, le même jour, du RCS).

Par conclusions du 18 septembre 2022, la société absorbante est intervenue à l’instance, pour venir aux droits de la société Via Location. Aucun nouveau jeu de conclusions ne sera déposé à la suite de cette intervention par la société TAG.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 16 janvier 2023, donne acte à la société Franklin France de son intervention aux droits de la société Via Location et confirme le jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions aux motifs que la société TAG aurait dû formuler ses demandes à l’encontre de la société Fraikin France, la société Via Location n’existant plus. La cour d’appel a considéré que le jugement n’étant pas critiqué, il ne pouvait qu’être confirmé.

La société TAG forme alors un pourvoi en cassation sur le fondement des articles L. 236-3 du code de commerce et 32 et 126 du code de procédure civile, auquel la Cour de cassation répond, par une motivation lapidaire : « Si, lorsqu’une opération de fusion-absorption se réalise en cours d’instance, l’intervention de la société absorbante permet d’écarter la fin de non-recevoir tirée de la disparition du droit d’agir de la société absorbée, elle ne dispense pas l’autre partie de présenter ses demandes à l’encontre de la société absorbante ».

En somme, en cas de fusion-absorption, l’intervention à l’instance de la société absorbante permet la poursuite de l’instance engagée à l’encontre de la société absorbée, mais des prétentions doivent être expressément formulées à l’encontre de la société absorbante. Cette dernière, lorsqu’elle intervient à l’instance, peut bien « être estée » en justice, ou, autrement dit poursuivre l’instance engagée contre la société absorbée. Toutefois, son adversaire, s’il souhaite solliciter sa condamnation, doit prendre en compte sa personne, son « être » et doit ainsi la viser, ad personam, au sein de sa demande.

La poursuite par la société absorbante de l’instance engagée à l’encontre de la société absorbée

Au sein de sa motivation, la Cour de cassation commence par donner raison au demandeur au pourvoi. En effet, reprenant les termes du moyen, issu d’ailleurs de plusieurs décisions déjà rendues en ce sens (v. par ex., Soc. 22 sept. 2015, n° 13-25.429, VDI Group (Sté) c/ Da Silva, D. 2015. 1952 ; RDT 2015. 700, obs. F. Guiomard ; Com. 13 mars 2019, n° 18-20.252, BJS 2019, n° 07-08, 49, obs. O. Staes ; Gaz. Pal. 2019. 50, obs. J.-M. Moulin), elle rappelle que « lorsqu’une opération de fusion-absorption se réalise en cours d’instance, l’intervention de la société absorbante permet d’écarter la fin de non-recevoir tirée de la disparition du droit d’agir de la société absorbée ».

Ce point paraît désormais acquis. Si une société qui a d’ores et déjà, avant toute instance, fait l’objet d’une fusion-absorption ne peut, à défaut d’existence, ni agir ni être attraite en justice (v. par ex., Com. 7 juill. 2009, n° 08-19.827, BJS 2009. 1058, note O. Staes), la solution diffère lorsque l’opération de fusion-absorption se réalise en cours d’instance.

En effet, conformément à la lettre de l’article L. 236-3 du code de commerce qui prévoit la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, la société absorbante peut poursuivre les instances en cours engagées par ou à l’encontre de la société absorbée. Cette solution est acquise en jurisprudence que les instances en cours, au moment de l’opération de fusion-absorption, aient été engagées par la société absorbée elle-même (v. par ex., Com. 30 nov....

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